Réalisateur, photographe, Franco-Congolais, il a bien voulu nous accorder un peu de son temps, lundi 16 septembre, à Paris, pour parler de culture, de jeunesse, d’environnement et bien sûr de l’Afrique, avant de s’envoler le lendemain pour Yaoundé. Sans filtre.
Vous êtes un homme de l’image, photographe et réalisateur. Quel est votre regard sur la situation du cinéma africain, notamment sa promotion dans le monde, aujourd’hui ?
C’est une situation paradoxale. Le cinéma africain, les histoires africaines, sont de plus en plus demandés, alors que l’on peine à disposer des moyens pour les produire. C’est une réalité embêtante, d’autant plus que ceux qui mettent de l’argent pour que le cinéma africain vive, sont rarement les Africains eux-mêmes. Cela conduit à une situation désolante qui fait que les financeurs du cinéma africains investissent sur les projets qui les arrangent, mais qui ne vont pas toujours dans le sens de l’intérêt général des populations africaines. Pas une seule série pour enfant, pas un programme digne de ce nom, fait par les Africains. Comme si on ne voulait pas que nos enfants apprennent, qu’ils prennent conscience de leur histoire, qu’ils construisent leur avenir et celui de l’Afrique. Mais, il est vrai que ça coûte cher.
Or, il y a une demande avec Netflix, Amazone, sans oublier les chaînes de télévision française, notamment, qui ont besoin du contenu Africain. C’est le regard qui doit changer.
En 2000, j’ai commis un article « Dépendance africaine » dans les Cahiers de cinéma, qui posait déjà la problématique d’un cinéma africain financé et promu de l’extérieur. 24 ans après, rien n’a changé. Il faut donc, encore une fois, mutualiser les moyens pour construire une Afrique puissante sur le plan économique, culturel, social…
La jeunesse africaine a certainement aussi son rôle à jouer. Comment appréhendez-vous son implication dans la construction du continent, sachant que 70 % de la population africaine a moins de 25 ans ?
C’est à la fois une chance et une préoccupation. Dans les années 70 -75, les migrants Maliens, Sénégalais, pour ne parler que de ces deux pays, n’avaient pas grand-chose. Mais tout ce qu’ils avaient, ils l’investissaient dans leurs pays d’origine. On a la chance aujourd’hui d’avoir une diaspora brillante, intellectuellement, puissante économiquement, riche, mais qui investit insuffisamment en Afrique, alors que le continent en a le plus besoin. L’une des raisons de cette situation calamiteuse, c’est le tristement célèbre plan d’ajustement structurel, qui, dans les années 80-90, a mis nos états à genoux, obligeant nos jeunes à penser que l’ailleurs est meilleur que le chez-soi. Nos États, parfois complices de ce fait, en pâtissent aussi. Ils doivent pouvoir mettre en place des politiques qui répondent aux attentes des populations africaines, particulièrement des jeunes et des femmes. Dans nos sociétés, on doit prendre conscience que nos jeunes de plus en plus instruits, bardés de diplômes, ont besoin d’être accompagnés par des organismes d’État ou des partenariats publics privés, pour investir au profit non seulement des jeunes, mais également du reste de la population.
Malgré ces difficultés, la jeunesse africaine, de l’intérieur comme de la diaspora, doit continuer à croire en elle-même, à son avenir. L’Afrique doit continuer à être le cœur aimant du monde parce qu’elle a du génie. Le continent a fait beaucoup d’avancées dans les domaines de la médecine et santé, l’éducation, l’innovation… Il faut mutualiser les efforts pour poursuivre dans cette dynamique et aller encore beaucoup plus loin, plus vite.
« À quand l’Afrique ? », votre nouveau film qui sort le 30 septembre 2024 à Paris, a déjà remporté plusieurs récompenses. Il y est question notamment de la beauté des paysages africains, du patrimoine environnemental… en combien de temps a-t-il été tourné et dans quels pays ?
Le film sort le 30 septembre 2024, il sera présenté au Sommet de la Francophonie, à Villers-Cotterêts, début octobre, passera à la Gaïté Lyrique à Paris. Il a été sélectionné à Berlin, en février 2024, puis récompensé à Dakhla, au Maroc. Le film, inspiré du livre de Joseph Kizerbo, du même nom, sorti un an avant sa mort, a été tourné, pendant 5 ans, dans 7 pays : Cameroun, Congo, Centrafrique, Angola, Namibie, Botswana, Burkina Faso. La voix de Maka Koto. C’est un questionnement en 90 minutes, sur la place des paysages en Afrique.
Nous avons le Bassin du Congo, longtemps considéré comme deuxième poumon mondial, qui en réalité est devenu le premier, l’Amazonie étant terminée, qui est une source de ressources insoupçonnées. Dans les années 1981, avec l’OMS, j’ai parcouru cette forêt, à la recherche du Singe vert, qu’on a jamais trouvé. Il y a une route qui va de M’baiki (Centrafrique) à Enielle (Congo-Brazzaville), jusqu’au Cameroun. On y trouve de tout, des animaux, des racines… Ce sont des rongeurs qui sont chassés et mangés par des êtres humains qui provoquent des maladies. Les pygmées, quand un animal meurt, évitent le chemin de l’animal mort. Le bantou, lui, se presse de le saisir pour en faire un festin. On doit revenir à nos réalités, à nos traditions. Nous avons été longtemps abrutis par les occidentaux. Nous commençons seulement à découvrir la vérité et à changer le récit tronqué. Nous avons tout. L’Africain a tout. Il nous faut simplement jouer collectif. Je suis foncièrement optimiste par rapport à l’avenir. L’Afrique est belle, l’Afrique est forte, je crois à l’Afrique.
Recueilli à Paris par J.-C. Edjangué