Par Dr Bakoa Tonye Serge*

Le décret du 10 juillet 2024, portant réorganisation des missions de la Société nationale des investissements(SNI), au Cameroun, m’inspire quelques réflexions.

Quelques anecdotes pour commencer :  février 2013, le Chef de l’Etat, SEM Paul Biya, est reçu par le Patronat Français (MEDEF International) à l’occasion de sa visite de travail en France. Au cours des échanges, le représentant de la Banque BNP PARISBAS, pose la question suivante, que tout le monde murmure en réalité dans la salle : « n’y a -t-il pas, au Cameroun, une structure dédiée, en charge des questions d’investissement ? » Le ministre Alamine Ousmane Mey esquisse une réponse très diplomatique…Le ministre Louis-Paul Motaze, alors Secrétaire Général Adjoint des Services du Premier Ministère, trépigne sur son siège, on sent bien qu’il veut prendre la parole, mais il se tait…Finalement, on passe à un autre sujet… Face à l’insatisfaction des chefs d’entreprises français, je me retourne vers mes voisins, et leur dit : « cette structure existe, depuis le début des années 1960, elle s’appelle la Société Nationale d’Investissement. Mais sa Directrice Générale n’est pas dans la Délégation… ». Mars 2013 à Delhi, à l’occasion du Confederation of Indian Industries – Eximbank Conclave on India Africa Project Partnership, la délégation du Cameroun présidée par Monsieur le Premier Ministre Yang Philémon rencontre des investisseurs indiens et la même chose se produit : plusieurs entrepreneurs indiens membres de la Confederation of Indian Industries s’interrogent, à voix basse, sur l’existence ou non d’un interlocuteur sur les questions techniques en rapport avec l’investissement au Cameroun…

Ces deux anecdotes, parmi tant d’autres, illustrent le cas singulier de la SNI, l’une des toutes premières institutions économiques post indépendance du Cameroun, discrète à souhait, mal connue, mal comprise, un peu mal aimée parfois, mais oh combien indispensable pour notre pays. A titre de rappel, la SNI a été créée par décret n°64-07-486 pris en application de la loi n°63-25 du 19 juin 1963, sous la forme juridique d’une Société d’Etat régie par les dispositions légales et réglementaires des sociétés anonymes. Son capital social était de 7 050 millions de Fcfa entièrement souscrits et libérés par l’Etat. Elle avait pour objet, lors de sa création, de réaliser toutes études générales sectorielles ou spécifiques de développement économique et social, singulièrement dans les domaines agricole, industriel, et commercial, (ii) d’accueillir des investisseurs et les assister dans la connaissance des milieux d’affaires camerounais, (iii) de prendre des participations dans des sociétés en association avec des partenaires étrangers et nationaux, (iv) d’octroyer des crédits et avals aux sociétés en question, et le plus important, (v) de gérer le portefeuille de l’Etat. Ses ressources étaient constituées de son capital social, des produits de Bons d’Equipement, d’emprunts et des revenus de portefeuille. Au début des années 1980, la SNI dispose d’un total de bilan de 47,4 milliards de Fcfa, d’une soixantaine de sociétés en portefeuille, génère un rendement annuel de 6,8% après provisions.

Son impact économico-social correspond à 370 milliards de Fcfa d’investissements net cumulé, avec plus de 45 000 emplois à la clef, 446,1 millions de Fcfa de chiffre d’affaires annuel hors taxes, plus de 25 milliards de FCFA d’impôts versés à l’Etat, et une valeur ajoutée annuelle de 128 milliards de FCFA.

La SNI recrutait principalement les majors de la faculté des sciences économiques de l’Université de Yaoundé, de l’Ecole Polytechnique de Yaoundé, de l’ESSEC de Douala, et des cadres de l’Administration du Cameroun. Puis, elle les envoyait faire un MBA ou tout autre formation supérieure économico-financière à l’étranger, avec pour objectif de les placer par la suite à la tête des sociétés du portefeuille de l’Etat pour les administrer et préparer leur rétrocession au secteur privé. Des générations de diplômées d’universités et de grandes écoles étrangères ont été directement intégrées dans l’institution par la suite.

D’Ahmadou Bello à Madame Yao Aissatou, (en passant respectivement par Ntamag Laurent, Louis Claude Nyassa, Simon Ngann Yonn, et Esther Dang), chaque dirigeant de cette Institution apportera une touche particulière, notamment pour le peu que nous connaissons (i) la formation et l’allocation des actifs et talents par Ahmadou Bello et Ntamag Laurent, (ii) le déploiement et la respectabilité institutionnelle par Louis Claude Nyassa et Ngann. Les « cadres SNI » prendront le relais par la suite et affronteront les années difficiles de la période de la crise économique du milieu des années 1980 à ce jour, avec Esther Dang (qui va gérer entre autres les négociations de crise avec les Institutions Multilatérales Internationales, la signature du contrat de performance en 1992, et la délicate question du redéploiement de son personnel d’origine dont l’impact affectera longtemps cette Institution), ensuite du duo Yao Aissatou – Ambroise Ondoua Onana (qui va créer la Direction de l’Investissement, la Direction des Programmes Immobiliers pour générer des revenus palliatifs à la dégradation des revenus du portefeuille de participations, et lancer son projet de refondation).

En 2016, l’Etat va commander un audit stratégique sur la refondation de la SNI auprès d’un Consortium Franco-Camerounais. Selon diverses informations disponibles, cet audit conclura, entre autres, à la nécessité de lever 450 milliards de Fcfa pour la restructuration de cette institution, et l’articulation d’une « Nouvelle SNI » qui serait une société mère holding ayant quatre pôles d’activités : le pôle Etudes et Business Intelligence, le pôle Investissements, le pôle Gestion des participations, et une Direction Administrative et Financière. Dans cette proposition de réforme, il serait question d’associer le secteur privé au fonctionnement de la SNI et la doter de deux fonds d’investissements à guichets séparés, l’un pour les projets structurants de l’Etat. (Fonds National d’Investissement Stratégique), et l’autre pour le capital-risque ( Fonds d’Appui au Développement Industriel).

Le décret du 10 juillet 2024, qui vient transformer la SNI en Société à Capital Public ayant l’Etat comme actionnaire unique, semble lancer le top de départ de la refondation de cette Institution, avec des innovations majeures, entre autres :

  • Son passage de la tutelle du Ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement Technologique, à celle du Ministère de l’Economie (pour ce qui concerne les aspects techniques) et du Ministère des Finances (pour ce qui concerne les aspects financiers). Il s’agit d’une orientation stratégique majeure, lourde de sens, et qui tire un trait sur certains aspects du passé de cette Institution ;
  • Son objet social, qui devient principalement la mobilisation et l’orientation des financements en vue de favoriser l’investissement productif notamment dans les secteurs industriel, agricole, minier, financier, commercial et des services. Cet objet social est à saluer dans la mesure où, à notre avis, il remet la SNI dans son rôle de Banquier d’Affaires et de Fonds Souverain du Cameroun, à l’instar de diverses institutions similaires d’Etats étrangers. C’est donc le lieu de plaider pour que toutes les conséquences de cette consécration soient tirées. En effet, à titre d’exemples, dans le cadre des Recommandations sur les enjeux de la participation de l’Etat dans les opérations minières et la création de la SONAMINE SA, nous avions justement conseillé de tirer toutes les conséquences de la refondation de la SNI pour en faire une étape intermédiaire naturelle à la création de cette société minière d’Etat et un pilier du financement de cette société. De plus, aux deux fonds proposés par le Rapport de refondation de cette Institution, nous considérons qu’on devrait nécessairement rajouter le Fonds d’Investissement de la Diaspora qui figure expressément dans les recommandations du Forum sur la Diaspora organisé à Yaoundé par le Minrex en 2017. Compte tenu des 600 milliards de Fcfa environs (au moins !) injectés chaque année par la diaspora au Cameroun, et du nouveau rôle désormais dévolu à la SNI par le décret du 10 juillet 2024, il nous semble que cette Institution devrait être l’un des principaux vecteurs et moteurs de l’orientation des fonds en provenance de cette diaspora vers l’investissement productif au Cameroun ;
  • la possibilité de disposer d’antennes, bureaux ou représentations à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire national. Cette mesure nous semble particulièrement appropriée, dans un contexte où (i) les besoins massifs en investissements et financements de l’économie et des infrastructures camerounaises exigent beaucoup plus de proactivité sur le terrain, et (ii) les interventions en investissements se réduisent, à l’instar de leur baisse pour près de 132 milliards de FCFA dans les charges du budget général de la nation tel que publié récemment par l’Ordonnance du 20 juin 2024. L’investissement est un métier à part entière, qui nécessite une organisation et une structuration spatio-temporelle adéquates ;
  • l’augmentation de son capital de 200 milliards de Fcfa en quatre tranches annuelles successives de 50 milliards de FCFA à compter du 10 juillet 2024. Dans la mesure où ce montant représente moins de la moitié de l’enveloppe globale de 450 milliards de Fcfa identifiée par le Rapport de refondation de la SNI, nous pensons qu’en plus de cette augmentation de capital, et à l’instar des certains domaines prioritaires de l’Etat expressément visés dans son budget annuel, un Compte d’Affectation Spéciale dédié à l’Investissement pourrait être créé et abondé annuellement pour des Programmes établis et suivis au niveau de cette Institution.

C’est donc le lieu de plaider pour que cette auguste Institution, qui a vu passer en son sein des esprits parmi les plus brillants de notre pays, qui eux-mêmes ont pu former une relève fière de leur héritage, de sa culture d’entreprise, et de ses méthodes de travail uniques au Cameroun, puisse retrouver toutes ses lettres de noblesse…

*Avocat aux Barreaux de Paris & Cameroun, Membre du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris (2014 – 2016), Membre du Conseil d’Administration de la Société Métropolitaine d’Investissement de Douala (2018 – 2021).

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