L’ancien chef adjoint de la cuisine principale du bloc du tristement célèbre lieu de terreur, en plein cœur de la capitale guinéenne, se souvient, comme hier, des trois ans qu’il a passé dans cet enfer sur terre. Nous l’avons rencontré à paris, le 25 janvier, lors de la conférence organisée par l’association des victimes du camp boiro (avcb).
Ibrahima diallo, rescapé du camp boiro
« Je suis fils de feu Gaétan Abdou Karim, ancien officier de l’armée coloniale en Guinée de Pita Guémé. J’ai été arrêté le 1er janvier 1981, accusé de complot contre l’État. Je suis sorti du camp Boiro en 1983. Et dès 1984, je suis parti de la Guinée pour l’Espagne, où j’ai vécu 27 ans, via la Côte d’Ivoire, et actuellement, je vis en France ». Le visage marqué par les années passées dans le mouroir, le Camp Boiro, à Conakry. Son chapeau mexicain sur la tête, sa veste marron en cuir, les yeux vifs avec un léger sourire en coin, l’homme n’a pas perdu la mémoire que ses bourreaux ont tenté de lui enlever durant les trois passés dans l’enfer sur terre. Bien au contraire ! La preuve, quand on lui demande ce qu’il garde comme souvenirs de son internement au Camp Boiro, les mots surgissent, spontanément, comme si ça coulait de source. « Les souvenirs, j’en ai encore pas mal. Parce que ce sont de tristes souvenirs. J’étais le plus jeune détenu du Camp Boiro, à l’époque, j’avais 25 ans. Je venais de terminer mes études à l’IPK », Ibrahima Diallo, la voix pleine d’émotion. Il continue : « À l’époque, il y avait peu de jeunes dans ce lieu, sinon de jeunes militaires, qui m’ont trouvé au Camp Boiro ». Aujourd’hui, comme tous les membres, adhérents ou sympathisants de l’Association des Victimes du Camp Boiro(AVCB), structure créée en 1985, Ibrahima Diallo réclame vérité et justice.
« La cuisine au Camp Boiro »
« J’étais Chef adjoint de la cuisine principale du bloc et en même temps, j’avais la deuxième cuisine qui était chargée spécialement de nourrir les officiers. Les choses étaient organisées de sorte qu’il y avait un magasin de vivres ravitaillé par l’État », raconte encore Ibrahima Diallo, précisant : « Pour ce qui concerne le manger, il y avait trois sauces : la première pour les gardes et quelques officiers, la deuxième pour les gens qui ont passé beaucoup de temps dans le lieu et la troisième était pour les arrivants. À côté de cela, il y avait une cuisine spéciale pour les officiers et les cadres détenus au bloc, je m’en occupais personnellement ». Et de conclure : « J’essayais de varier, tant que faire se peut, les sauces, avec différentes marmites (petite et grande) de poisson frais ou fumé, de la viande, avec du riz parce qu’il y en avait toujours. Mais ces marmites n’avaient rien en commun avec celles des officiers supérieurs ».
Comment un homme, le président Ahmed Sékou Touré, panafricaniste convaincu, a-t-il pu développer une telle cruauté, l’instituer en mode de vie pendant des années entières ? Ni les historiens, ni les psychologues et psychiatres, n’ont apporté, à ce jour, de réponse irréfutable à cette question.
Par Jean-Célestin Edjangué