Voyageuse-chercheuse, Consultante sociale, auteure et directrice artistique des 72 heures du livre de Conakry, dont la 17ᵉ édition aura lieu les 23, 24 et 25 avril 2025, dans la capitale de la Guinée, elle parle du projet éditorial de ses deux nouvelles publications, des difficultés rencontrées et dévoilent la thématique de son prochain livre.

Vous avez sorti deux ouvrages, deux albums photos accompagnés de textes, en avril 2024, chez l’Harmattan. L’un, « Mon Afrique au Sénégal », 85 pages, raconte votre rencontre avec ce pays et votre premier contact avec l’Afrique, en 1984. L’autre « Mon Afrique au Mali », 70 pages, est la découverte du pays d’Amadou Hampâté Bâ, de son patrimoine culturel, notamment. Quel a été votre projet éditorial de cette double publication ?

 Je situe mon travail dans le cadre d’une approche artistique, en lien avecmon histoire familiale. Mon travail s’appuie sur : l’Histoire, la Culture, la Nature, le Mouvement, la Rencontre, le Savoir ainsi que les émotions que cela provoque, aussi bien au niveau du corps, que de l’esprit. Les livres sont tellement importants. Moi, ils m’ont sauvé la Vie, ils contiennent le Monde. Il y a bien longtemps maintenant, je me suis proposée un voyage « initiatique », au début avec mon appareil photographique, puis, un dialogue s’est engagé entre mes photographies et des mots. Des instants de légèreté et de pesanteur. Je suis née en France, à Paris, dans les années 60, période des indépendances en Afrique de l’Ouest. Ma Mère est Martiniquaise, mon Père est né en Côte d’Ivoire, toutefois les racines de la famille da Piedade sont au Bénin. Je porte un nom à consonnance portugaise/brésilienne. Nous sommes des Agoudas, originaire de Ouidah. Les Agoudas sont une communauté afro-brésilienne établie dans plusieurs pays de l’ancienne Côte des Esclaves, ils sont particulièrement importants au Bénin, au Togo et au Nigeria. Ouidah est une ville importante du Bénin en raison des traces de l’histoire, de la traite des esclaves entre le XVIIe et le XIXe siècle. Pendant cette période, environ un million de personnes embarquèrent sur des navires depuis la plage pour des destinations inconnues. Je m’exprime aujourd’hui à travers des clichés, des échanges et mes livres. Mais pendant très longtemps, j’ai été mutique, ces informations majeures, fondatrices, passées sous silence ont été pour moi un empêchement, une quête de sens et d’identité. De façon consciente ou inconsciente, je suis allée à la recherche de mon identité, de mes identités. Je ressentais un vide, du manque, une nécessité, un appel. Mes parents, par protection, ignorance, souffrance psychique et/ou physique, incapacité à désigner et à accompagner l’innommable, n’ont pas pu aborder des traumatismes invisibles, inscrits sur plusieurs générations et territoires qui empêchent la transmission. Lorsque j’étais enfant, j’ai constaté que nous n’avions pas de modèles, qu’il manquait certainement des pages dans les manuels scolaires. Ma démarche personnelle et singulière, à ma majorité, a été de me rendre sur le continent africain, mon continent, celui de mes ancêtres sans avoir été nourrie de son Histoire, ses traditions, ses traumatismes et ses forces pour tenter de comprendre. Je ne comprenais pas pourquoi lorsque les gens parlent de l’Afrique, ils nomment un continent, alors que comme tout continent, nous avons des pays ; Sénégal, Mali, Guinée, Bénin… Je suppose que pour ne pas me confronter de façon trop frontale à mon histoire, j’ai choisi comme destination le Sénégal. Le Sénégal a pendant longtemps été le pays qui était cité, lorsque l’Afrique de l’Ouest francophone était évoquée. Après-coup, je pourrais émettre l’hypothèse d’un effet miroir, le Sénégal a aussi son lieu de mémoire, l’Ile de Gorée, lieu symbolique de la mémoire de la traite négrière en Afrique, reconnu officiellement par l’Organisation des Nations unies (ONU) en 1978. Ma Rencontre avec le Mali a été le passage d’un rêve, d’un désir à la réalité. Je voulais découvrir Bamako, Djenné, les falaises de bandiagara, le pays Dogon… Cependant, j’ai rencontré une grande difficulté au départ pour entrer dans les écrits d’Amadou Hampâté Bâ, car je ne réussissais pas à appréhender une architecture complexe, structurer mentalement sa présentation de la Famille, la place de chacun(e), les systèmes de parenté, les systèmes de pensée. Je me suis accrochée, j’ai dû en partie me déconstruire de présupposés afin de pouvoir poursuivre mon voyage « initiatique » et découvrir la force du patrimoine.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour passer du projet d’écriture à la finalisation et quels types de difficultés avez-vous rencontrés dans sa réalisation, sachant qu’il s’agit ici d’un double projet ?

L’écriture ne faisait pas partie de mes projets. J’ai commencé par la photographie, l’argentique, l’époque des pellicules, j’avais découvert le travail des grands photographes maliens, Malick Sidibé et Seydou Keïta. J’ai commencé par prendre des clichés, sans projet, en cherchant à capter l’invisible, le sensible. Cette période a duré plusieurs décennies. Ensuite, j’ai pensé qu’il pouvait être intéressant de partager mon voyage « initiatique ». J’ai fait appel à mes compétences graphiques pour créer mes livres. J’observe des équilibres ou déséquilibres, je vois de la force, des fragilités. Je cherche. J’aime les clichés en noir et blanc, je ressens de la profondeur, un univers abyssal et puissant qui m’attire. La parution de ces deux ouvrages a peut-être comme fonction et humilité de m’inscrire dans mon Histoire, d’insister sur le fait que le continent Africain à des Histoires, qu’il est composé de 54 pays et près de 2 000 langues.

On imagine, que la série « Mon Afrique au… » va continuer. Quels pays vont suivre après le Sénégal et le Mali ?  En d’autres termes, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos prochaines publications ?

Vous abordez là une question qui m’a immédiatement été posée de façon subtile ou directe. Je travaille actuellement sur « Mon Afrique en Guinée », puis viendra l’heure de « Mon Afrique au Bénin ». Avant de poursuivre avec « Mon Afrique au/en…. » Côte d’Ivoire, Maroc, Burkina Faso, Togo… et quelques surprises.

Recueilli par J.-C. Edjangué

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