Le journaliste de TV5 Monde, spécialiste des questions africaines et amoureux de la littérature, vient de publier son premier roman, chez les Lettres Mouchetées, qui sort de l’oubli la vie et le parcours du Capitaine Charles N’Tchoréré, un officier français originaire du Gabon, qui a participé aux deux guerres mondiales. Présentation de l’ouvrage à Paris, 7 Place de Fontenoy, dans le 7ᵉ arrondissement, le 20 septembre 2024.
« Inspiré du parcours du capitaine Charles N’Tchoréré, Le Testament de Charles retrace l’épopée d’un soldat noir qui s’engage au service de la France au cours des deux guerres mondiales. Fait prisonnier par la Wehrmacht à Airaines, Charles revoit sa vie défiler et comprend alors ce qui lui a toujours échappé : le sens de la vie. À travers ce premier roman, Christian Eboulé, journaliste pour TV5 Monde, restitue l’itinéraire d’un enfant d’Afrique, témoin des bouleversements du siècle et entraîné dans le tourbillon de l’Histoire jusqu’à en perdre le sens de sa propre histoire… », note la quatrième de couverture en guise de résumé.
Un roman historique empreint de spiritualité
Dès la première de couverture, un vieux cahier ou bloc-notes marron, symbolisant probablement le testament, sur lequel est incrustée une carte de l’Afrique en clair, la gravité du sujet abordée transparaît. Ce document historique apparaît en premier plan d’un fond bicolore rouge et bleu ciel, comme pour laisser entrevoir une lueur d’espoir derrière l’abomination, l’innommable.« C’est inéluctable ! Dans quelques heures, nos geôliers, nous aurons tué jusqu’au dernier. La mort cependant n’est plus un drame à mes yeux. J’ai à présent la certitude que mourir n’est une horreur que pour ceux qui ne vivent pas, ceux qui ne comprennent pas ce qu’est la vie ». Le premier paragraphe du « Testament de Charles » de Christian Eboulè, aurait pu faire penser à un autre testament, celui de Charles de Foucauld, dont l’itinéraire spirituel a été publié dès 1958 par Jean-François Six, après avoir retrouvé en 1954, la correspondance entre Charles de Foucauld et l’abbé Huvelin, son père spirituel.
« Le testament de Charles », première production littéraire du journaliste, spécialiste des questions africaines à TV5 Monde, depuis 2003, passionné de littérature, Christian Eboulé, est un roman historique empreint de spiritualité. Et comme tout texte ou travail qui fait appel à l’histoire, au patrimoine culturel, c’est aussi forcément un devoir de mémoire, invite à la transmission, auquel chacune des quatre parties, comprenant entre quatre et six chapitres, convie le lecteur, afin que nul n’en ignore. De « L’éveil de la conscience » jusqu’à « La mort n’est qu’un cri », en passant par « La vie en face » et « Le temps des illusions », l’auteur, habitué, comme journaliste, à scruter le quotidien, puis la vie et l’œuvre des grands auteurs africains et caribéens sur TV 5 Monde, nous dépeint un Charles N’Tchoréré courageux, sincère, touchant, face à la loi de la guerre. Comme dans le début de l’épilogue de trois pages(189, 190, 191).
« Ma mort est imminente. Elle est aussi certaine que la nuit succède au jour. Le Boche est moche, car il n’a de loi que lui. Le reste est à détruire. Il est le bruit. Il a un Führer. Alors que jusque-là le bruit avait été permanent, au point où je n’entendais plus que lui, tout à coup, le silence se fait assourdissant, m’obligeant à l’écoute avec une attention aiguë. Écouter ainsi le silence m’apporte une extraordinaire sérénité. Me reviennent en écho ces mots du vieil Okili, mon grand-père paternel : « Dans les océans, la vie, parfois, ne dure que quelques minutes après son éclosion. De la même manière, nous, les êtres humains, redevenons très vite poussière. », raconte-t-il par la bouche de Charles N’Tchoréré, poursuivant plus loin : « « La voix avait pourtant été claire, durant cette mémorable cérémonie. Le sage Ebelè également, lorsqu’il »était ouvert à moi de son choix spirituel, à Douala, au Cameroun. D’ailleurs, la plupart des rencontres qui jalonneraient ensuite mon existence étaient inscrites dans cette voie que j’ai enjambée en somnambule, inconscient que j’étais des richesses alentour. »
Devoir de mémoire
Terminant cet épilogue, l’auteur rapporte cet autre propos de Charles N’Tchoréré, ascète, philosophe, voire ironique, empreint de sagesse : « J’en suis là de mes méditations. Quelqu’un vient… C’est un jeune officier allemand, l’un de ceux qui enrageaient de me voir m’opposer à la ségrégation raciale et à la manière dont lui et ses frères d’armes violaient les lois de la guerre. Il me bouscule violemment. Ses mâchoires se serrent. En moi, cependant, il n’y a plus rien à broyer ; affliction, peur et douleur ne m’habitent plus. Le souffle de vie s’est déjà retiré de ce corps que l’Allemand martyrise. J’implore Añambyé, le Créateur, de nous accorder son pardon. Je suis enfin libre de faire un avec le Tout. »
Le Capitaine N’Tchoréré n’en demeure pas moins un homme peu ordinaire, probablement comme devaient l’être, nombre de ces conscrits africains et afro-descendants qui ont consenti à oublier leur condition pendant les deux guerres mondiales pour que le drapeau tricolore flotte toujours dans le vent pour l’amour de la patrie française. Ces combattants peu communs, méritent incontestablement honneur et reconnaissance pour l’éternité. Si l’auteur, Christian Eboulè, s’est inspiré de la vie et du parcours Charles N’Tchoréré, né le 15 novembre 1896 à Libreville et mort le 7 juin 1940 à Airaines, dans la Somme, et dont il a découvert l’histoire en 2010, avant de s’y intéresser de plus près via des recherches, c’est qu’à travers le cas de cet officier français, originaire du Gabon, c’est l’histoire des centaines de milliers de soldats français d’origine africaine et afro-descendante qui est ainsi exhumée. Cette histoire participe du devoir de mémoire. Comme Charles N’Tchoréré, ces soldats ont vécu toutes sortes d’humiliations, supporté toutes les injustices, subi les traitements les plus dégradants, ils ont tout accepté y compris l’inacceptable, allant jusqu’à verser leur sang, perdre la vie, sacrifice suprême, pour sauver l’honneur de la République face à la barbarie de l’occupant Allemand.
Merci à Christian Eboulè pour cette contribution écrite dans un style direct, très agréable à lire, et qui, j’en suis sûr, est une pierre importante apportée au vaste chantier de la transmission de l’histoire de l’Afrique en rapport avec le reste du monde, pour le bonheur de l’humanité dont le continent est le berceau.
Par Jean-Célestin Edjangué à Paris
* Le Testament de Charles, Christian Eboulè, les Lettres Mouchetées, 197 pages, septembre 2024, 16 euros.