Docteure en Sciences de l’éducation, Assistante sociale, Directrice générale d’un organisme de développement social et culturel, en France, elle explique les motivations de son intérêt pour la double question éducative et de résilience communautaire africaine, sans oublier de lever un coin du voile sur sin prochain projet d’écriture. Très instructif !

Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à l’éducation en pays Bamiléké et à la résilience communautaire de ce peuple ?

En tant que professionnelle en travail social auprès de l’enfance en difficulté, j’ai toujours été interpellée par leur souffrance du fait qu’ils étaient confiés à d’autres professionnels pour une prise en charge partielle ou complète de leur éducation dans le cadre de maltraitances qu’ils avaient subies. Le confiage étant une modalité éducative en pays Bamiléké d’où je suis originaire m’a amené à aller explorer dans le cadre d’une thèse de doctorat en Sciences de l’Education, ce qui d’un côté en France semblait être dysfonctionnant et peu satisfaisant tant pour les professionnels de l’enfance que pour les parents et leurs enfants ; et de l’autre côté en pays Bamiléké, était pensé comme une ressource éducative. Sans concrètement mener une étude comparative, car bien entendu les 2 mondes sont anthropologiquement différents, il m’a semblé opportun par ailleurs de comprendre les enjeux et de voir dans quelles mesures il était possible d’identifier des leviers d’action des savoirs endogènes en pays Bamiléké sur ces questions-là afin de nous permettre de réinterroger les pratiques éducatives en protection de l’enfance en France.  

La chercheuse et directrice générale d’une structure de développement social et culturel que vous êtes s’intéresse à des champs d’investigation aussi divers que la protection de l’enfance, l’éducation et la résilience communautaire, le pouvoir d’agir, l’innovation et la transformation sociale. Quelles difficultés rencontrez-vous au quotidien dans l’appréhension de ses différents champs et comment parvenez-vous à les résoudre ?

Les principales difficultés que je rencontre sont de penser non pas la transposition des ressources que j’identifie, mais leur possible transférabilité. Cela est bien évidemment dans un premier temps dû au contexte anthropologique différent, mais aussi par la valeur que le monde occidental donne aux savoirs issus de l’Afrique, car habituellement, cela se fait à l’envers, la recherche de solutions est toujours pensée du nord vers le sud et jamais le contraire. C’est donc très nouveau comme démarche à faire accepter quand les représentations sociales sont ainsi construites, qu’il s’agisse pour les occidentaux dont le savoir construit est intégré comme dominant, que pour les africains eux-mêmes qui ont intégré la domination de leurs connaissances. On parle alors d’injustice épistémique, c’est-à-dire, que la valeur reconnue de la connaissance se situe plus d’un côté que de l’autre. Dans ce contexte, il est alors difficile de faire valoir qu’une théorie peut naître de pratiques locales et devenir scientifique.

Comme assistante sociale, en France, vous êtes amenée à vous occuper des enfants mis en placement. En quoi l’éducation communautaire en pays Bamiléké peut-elle être une chance par rapport au système du confiage aux pratiques en protection de l’enfance en France ?

Pour ma part, penser l’éducation de manière collective et valider sa responsabilité collégiale ne peut qu’être un atout non seulement pour les enfants, mais pour toute la communauté éducative. Le poids des responsabilités est partagé entre membre de la communauté. Chez les Bamiléké, la parenté est d’abord sociale avant d’être biologique, ce qui est une réelle ressource et donne plus de possibilités d’action. Les enfants ont plus de chance d’être pris en charge le temps qu’il faut sans une judiciarisation accrue des situations. 

Dans votre dernier ouvrage, vous étudiez le cas des Bamiléké comme modèle dans la résilience communautaire africaine. Pourquoi ? 

Dans le cadre de ma recherche pour l’obtention d’un doctorat en Sciences de l’Éducation, la première thématique mise au travail était la question de l’éducation. Au fur et à mesure de l’avancée des travaux, j’ai découvert ce à quoi je ne m’attendais pas du tout, ce qui est devenue pour moi la pépite de ce travail, la résilience communautaire. Elle fonde les pratiques éducatives en pays Bamiléké à partir de la bibliothèque des traumas vécu par ce peuple, la traite négrière, l’esclavage et la guerre de l’indépendance. Il s’est agi pour moi d’une réelle opportunité d’explorer ce champ, car dans la littérature, la résilience est abordée d’un point de vue occidental, dans une dimension clinique et psychologique. Chez les Bamiléké, je lui ai trouvé une acception communautaire et sociale.

Deux livres en moins d’un an. À quand le prochain projet d’écrire et sur quel sujet ?

J’espère le prochain pour l’année prochaine, soit en 2025. Actuellement, je suis en train de travailler sur mon 3ᵉ ouvrage qui va porter sur un guide méthodologique permettant à certaines communautés de chercheurs, notamment africains, mais également d’autres chercheurs issus des communautés qui subissent aussi de l’injustice épistémique de pouvoir avoir une feuille de route qui leur permet d’initier et de développer ce type de démarche qui amène à formaliser les savoirs issus des traditions afin d’éviter leur disparition dans un premier temps, mais également de valoriser les connaissances en les théorisant et enfin dans un dernier temps, d’occuper l’espace scientifique de manière plus équitable dans le monde de la recherche.

Recueilli par J.C. Edjangué

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