Docteure en sciences de l’éducation et auteure de deux ouvrages parus chez l’Harmattan sur « L’éducation communautaire en pays Bamiléké. Une ressource pour repenser les pratiques en protection de l’enfance en France », en février 2023, et « La résilience communautaire, une perspective africaine. L’exemple des Bamiléké du Cameroun », l’Harmattan, août 2024, elle analyse le principe de la mise sur pied de la Commission Mémoire et les questions que pourraient poser les conclusions de ses travaux.

La Commission mémoire Cameroun, composée de personnalités scientifiques et de la société civile, voulue par le président français Emmanuel Macron, après le Sommet France-Afrique de Montpellier, pour élucider les zones d’ombre qui jalonnent l’histoire des relations de la France avec le Cameroun entre 1945 et 1971, a remis son rapport à l’Élysée à Paris, mardi 21 janvier 2025, en attendant la même restitution le 28 janvier 2025, à Etoudi à Yaoundé. Quel est votre sentiment au sujet de cette commission et comment avez-vous accueilli la nouvelle de la restitution de son rapport ?

Je me suis intéressée de près à la mise en place de cette commission et je l’aborde d’ailleurs très rapidement dans mon dernier livre portant sur la résilience communautaire, puisque ces faits de l’histoire du Cameroun, cette somme d’épreuves vécues pendant cette période-là, ces évènements tragiques sont fondateurs et font partie de la constitution de la mémoire communautaire traumatique des populations touchées. De prime abord, j’ai été saisie à l’annonce de cette commission, dans le sens où effectivement, le Président de la République française E. Macron semblait vouloir aller un cran plus loin que son prédécesseur F. Hollande dans le désir de souhaiter que la France reconnaisse ses torts. Et tout cela faisait suite à la démarche du sommet Afrique-France de Montpellier que j’avais trouvé dynamique de prime abord sans parier sur les suites. Ensuite, une fois les caractéristiques de la commission, ses modalités de mises en œuvre et finalités révélées, plusieurs questions émergeaient. La première me concernant a été de savoir ce qu’on apprendrait de plus qu’on ne sache déjà au regard des différents documents existants, notamment et je le cite pour l’avoir trouvé complet et documenté, le travail pertinent d’un point de vue historique de Thomas Deltombe et des co-auteurs dans l’ouvrage « Kamerun ! », par exemple. D’autant plus qu’effectivement la question des ressources documentaires, des données historiques et de leur traçabilité, la question des archives dans une société à tradition orale qui ne s’est pas structurée au niveau national pour rendre son histoire intelligible et assurer une transmission est un réel défi et parcours du combattant pour tout chercheur voulant se lancer dans une démarche scientifique. La deuxième question a été de savoir à quoi ou plutôt à qui cela servirait réellement ? La responsabilité de la France est-elle encore une question ? Et quand bien même ! C’est le besoin de justice qu’il faut assouvir au-delà d’une commission. Le peuple a soif de justice, car seule la justice permet de tourner la page. L’exemple de l’Afrique du Sud porté par le Président Mandela est parlant, bien que le processus Vérité et Justice n’ait pas été achevé. Il est important que justice soit faite par l’identification des crimes et qu’ils soient reconnus afin qu’on ne se retrouve pas avec un rapport qui ne servira qu’à expier les fautes. Quant à la restitution des travaux de la commission trois ans après son lancement, je suis bien entendu curieuse, comme d’autres, de parcourir les 1000 pages. Mais encore là, une question reste en suspens quant à cette commission mixte et ses modalités opératoires. Le rendu se fait d’abord en France auprès du président de la République avant de se faire au Cameroun auprès des autorités du Pays ?

De ce document, produit par la Commission, co-dirigée côté français par l’historienne Karine Ramondy, et côté camerounais par l’artiste Blick Bassy, on sait pour l’instant qu’il contient 1.000 pages. Le contenu n’ayant pas été dévoilé dans l’attente de la remise du rapport au président Paul Biya du Cameroun. Qu’en espérez-vous, néanmoins ?

La composition de la commission m’a tout d’abord fortement interpellé à sa création. Je me suis posée la question, sûrement comme d’autres, sur les profils des pilotes, à savoir du côté français une expertise scientifique qui dirige la recherche, et du côté camerounais, un musicien qui s’occupera de la dimension artistique. L’idée m’a semblé audacieuse, à l’image de son initiateur E. Macron qui a malgré tout a su faire bouger les lignes d’un certain conservatisme français en créant une succession d’inédits. L’articulation de la recherche et de l’art, pourquoi pas, l’idée est bien noble de faire sortir la science hors les murs. Mais le travail de mémoire d’une communauté, d’un pays, d’un peuple, un travail historique de cette envergure-là, nécessite de toutes parts une rigueur scientifique sans précédent au regard du drame historique que cela représente. Cette différence de profil peut également être questionnée dans une dynamique d’égalité, notamment en termes d’injustices épistémiques quand nous savons que la production des savoirs, théories et concepts, sont systématiquement remis en cause quand ils n’appartiennent pas à un environnement donné. Il est tout à fait connu, me semble-t-il, que le crédit ou discrédit des discours et de leurs auteurs se construit ou se déconstruit de manière insidieuse dans les structures érigées et validées par les pouvoirs dominants. À partir de là, que peut-on donc espérer du rapport remis au Président de la République française E. Macron ? Sans mettre en doute l’authenticité de son désir quant à la poursuite de ce travail de mémoire et de vérité ; que peut-on espérer du président français qui a tenu un discours méprisant en direction des pays africains ce 7 janvier 2025 lors de la conférence des ambassadeurs français à Paris ? N’est-ce pas là où se situe toute l’ambivalence de l’histoire et de la relation de la FrançAfrique ? Que peut-on espérer quand on passe de la diplomatie à la « diplo-méprise » ?

En quoi ce rapport, peut-il vraiment contribuer à rétablir la vérité historique et à apaiser les cœurs des familles de victimes des exactions commises ?

« La reconnaissance d’un fait historique n’a point besoin de commission », je cite là l’écrivain Gaston Kelman dans Jeune Afrique du 6 août 2022. Et comme je l’ai dit plus haut, les chercheurs et historiens camerounais et d’autres n’ont pas attendu cette commission pour faire la lumière sur ce qui s’est passé pendant cette période. On sait ce qui s’est passé. Chacun d’entre nous à un parent qui lui a raconté la guerre du Maquis, c’est grâce à ma grand-mère que je m’y suis intéressée, car elle me racontait sa vie de femme à travers ce qu’elle appelait la guerre du Maquis. Chacun d’entre nous avons un bout de notre histoire, transmise explicitement ou implicitement par nos parents. Ce fut une tragédie silencieuse, un évènement traumatique pour les communautés dont on ressent encore aujourd’hui les effets et impacts. Peut-on apaiser le cœur des familles des victimes ? L’histoire est écrite. Effectivement, rétablir la vérité me semble être une condition sine qua non pour construire demain. La question que vous posez me renvoie au débat qui divise les Caraïbes concernant la réparation quant aux crimes commis par l’esclavage. L’oppresseur doit-il se repentir ? « Il n’y a pas de réparation possible pour quelque chose d’irréparable et qui n’est pas quantifiable », voilà ce que disait le poète martiniquais Aimé Césaire dans l’Express du 13 septembre 2001. Son propos vient alors questionner ici la préconisation d’indemnisation proposée par Blick Bassy, musicien camerounais qui a codirigé la Commission mémoire sur la guerre d’indépendance au Cameroun avec l’historienne française Karine Ramondy. En effet, à quel prix peut-on apaiser la souffrance ? Combien coûte l’amenuisement de la douleur ? Surtout quand elle est de cette envergure-là… Pour ma part, l’écueil à éviter réside dans le conditionnement de la suite de l’histoire, c’est-à-dire, dans ce qu’on fait de ce qui nous est arrivé pour que la suite de l’histoire ne dépende pas seulement de la posture de l’oppresseur. C’est une certaine idée de la liberté et c’est ce que nous enseigne la résilience dans sa réalité africaine. Une résilience dite communautaire où la communauté lutte pour assurer sa survie en s’emparant collectivement des épreuves subies pour les transformer par un passage à l’action. Un ensemble de méthodologies de sauvegarde de la communauté que nous enseignent les populations, par des savoirs endogènes développés à partir de leur contexte d’insécurité et d’incertitude devenu permanent. Des savoirs riches d’enseignement et transposables dans d’autres environnements qui s’inscrivent dans une dynamique de développement humain et durable. C’est là la vraie réparation et la source d’apaisement car la transformation est faite par la population et pour la population elle-même et peut profiter à l’ensemble de l’humanité.

Recueilli J.-C. Edjangué

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