Directeur Afrique et conseiller spécial du président du National Democratic Institute(NDI) basé à Washington DC, ce Camerounais d’origine, politologue, initiateur des programmes nationaux de soutien à la démocratie en Afrique et promoteur de l’African Statesmen Initiative pour faciliter les transitions politiques sur ce même continent, est un observateur très averti de la vie politique du Cameroun. Dans le contexte de la présidentielle du 12 octobre 2025, il n’est pas superfétatoire de recueillir son analyse des derniers développements de l’actualité sur le triangle national et les perspectives à venir. Sans complaisance !
Merci Christopher Fomunyoh pour votre disponibilité. Vous êtes le Directeur Afrique et conseiller spécial du président du NDI, à Washington DC, et aussi un observateur très averti de la vie politique du Cameroun. Le Conseil constitutionnel a publié, le 05 août 2025, la liste définitive des 12 candidats pour la présidentielle du 12 octobre 2025, sans le nom du professeur Maurice Kamto, principal opposant au régime du président Paul Biya, pour raison de « pluralité de candidatures au MANIDEM », bannière sous laquelle il envisageait de se présenter. Quelle est votre réaction par rapport à cette décision et plus généralement, votre analyse de la situation politique du Cameroun aujourd’hui ?
Je sais que les décisions du Conseil constitutionnel sont du dernier ressort et non sujet à un recours légal, mais on ne peut s’empêcher, comme la plupart des 30 millions de nos compatriotes qui ont suivi le processus, de faire un recours à son âme et conscience. De ma part, je trouve que l’injustice dont a souffert la candidature de Maurice Kamto est criante et effrayante. Comment ne pas se demander si quelque part la modification du calendrier électoral en début de cette année n’était pas motivée par une volonté réelle d’empêcher son parti politique d’obtenir des élus au niveau local et national avant la présidentielle d’octobre 2025. On a aussi vu circuler des actes administratifs qui, du jour au lendemain, remettaient en question le leadership des partis politiques et leur fonctionnement interne. À cette allure, la fragilisation des institutions étatiques et républicaines n’est pas à exclure, ce qui serait un grand danger pour le constitutionnalisme et la démocratie dans notre pays.
Comment entrevoyez-vous la suite du processus électoral et l’avenir de notre pays sur le plan de la concorde nationale ?
Comme vous le savez, une élection se définit pas des actes et des faits dans la durée et non seulement ce qui se passe le jour du scrutin : c’est le règlement du contentieux préélectoral, le fonctionnement des partis politiques, la gestion des espaces de libertés d’expression et d’association pour les citoyens, la société civile et les médias, c’est la transparence et l’impartialité dans le fonctionnement de l’organe chargé de l’organisation du scrutin, en occurrence ELECAM, ainsi que le comportement professionnel et impartial des services de maintien de l’ordre, et bien sûr, d’autres paramètres pertinents à prendre en considération. Pour les deux mois qui restent avant le 12 octobre, beaucoup devrait être fait pour rassurer les populations que le vote se passera de la manière la plus transparente possible, et que les résultats seront un reflet réel de ce qui se serait passé dans les différents bureaux de votes à travers le pays. Quant à l’avenir du pays, je pense que cela dépendra de l’issue de ce scrutin qui devrait être un référendum sur le bilan du Président Paul Biya à 92 ans d’âge et 43 ans passés à la tête de l’état. A mon sens, son bilan est lamentable, voire catastrophique à plusieurs points de vue. Je n’avais jamais imaginé que notre pays pouvait descendre aussi bas sur les différents indicateurs de développement socio-économique, d’harmonie, de dignité et même de respectabilité sur le plan continental et international.
Le Cameroun est probablement, dans la sous-région Afrique centrale, et même au-delà, le pays qui dispose de plus de médias, tous les supports confondus. Mais c’est aussi celui où les femmes et hommes de médias, les journalistes, sont les plus précarisés, avec par ailleurs des conditions extrêmement difficiles d’exercice de leur métier. L’affaire Martinez Zogo en est une parfaite illustration. En quoi peut-on dire que les 43 ans du régime du président Paul Biya ont fait avancer la liberté de la presse et donc la démocratie, dont cette liberté est un des piliers, au Cameroun ?
Une question qui mérite d’être posée aux caciques du RDPC qui parlent de la continuité. Avant le cas Martinez Zogo, il y a eu le cas de Samuel Wazizi décédé en 2019 dans des conditions non élucidées jusqu’à ce jour, et bien d’autres. Qui aurait pu imaginer que plus de deux ans et demi après l’assassinat de Martinez Zogo en pleine capitale politique du pays, Yaoundé, aucune condamnation judiciaire n’ait eu lieu jusqu’à ce jour. Comment les autorités pensent-elles que les familles biologiques endeuillées, ainsi que les hommes et femmes des médias et même les citoyens ordinaires se sentent en sécurité dans notre pays ? Je vois certains candidats aborder déjà ces aspects de la gouvernance des 43 dernières années, et j’espère qu’ils iront plus en profondeur pendant la période de campagne pour que la lumière soit faite et que la vérité puisse triompher pour un avenir plus radieux à notre pays.
Recueilli par J.-C. Edjangué