Par Prosper Abega*

Dans la première partie de cette contribution publiée sur NewsAfrica24, lundi 21 juillet 2025, il était question de la « dissolution quasi-coup d’État » (pour reprendre l’expression d’Emmanuel Todd, historien, enseignant et anthropologue français), opérée par le président Emmanuel Macron, dans le contexte du vote français aux élections européennes du 9 juin 2024. L’acte 2 de cette contribution, que nous publions ce 29 juillet 2025, analyse les nouvelles politiques migratoires tant aux États-Unis d’Amérique, en Asie et bien sûr en Europe, avec des conséquences évidentes sur la libre circulation des personnes.

« Certains pays ont érigé des murs et des barrières à leurs frontières ».

En 2006 débuta, aux USA, la construction d’un mur de 1300 km destiné, selon ses concepteurs, à limiter de 25 % l’immigration illégale mexicaine. Ce phénomène que l’on retrouve également en Asie est devenu une singularité de l’Europe qui tente ainsi de se prémunir de migrations non désirées. Si les murs, souvent militarisés, que l’on retrouve dans le monde et notamment à la frontière de l’Inde et du Bangladesh (3 300 km de barrière frontalière ; la plus longue du monde) en passant par les Balkans et le Proche-Orient sont liés à des tensions stratégiques évidentes, il en va différemment des frontières européennes dont les murs sont dits civils et donc gérés par les ministères de l’Intérieur. Bon nombre de ces murs résultent de l’histoire et perdurent.

De six murs en 1989 nous sommes passés à 63 aujourd’hui

Quarante-cinq états en ont érigé. A contrario de l’image d’ouverture véhiculée par les accords de libre circulation de Schengen, l’édification des murs européens est de par sa nature même la plus critiquable ; tant la contradiction entre le principe de la liberté de circulation prônée parait incompatible avec la conception, la construction de tout mur. D’autres états ont imaginé la création d’agences de gardes-frontières et de garde-côtes chargées du contrôle de gestion des frontières extérieures. L’Union européenne procède désormais le plus souvent par externalisation du contrôle des flux migratoires, dans le but de repousser ses frontières sur des territoires tiers.

Depuis 2008, des patrouilles mixtes, associant fonctionnaires européens et des gardes frontières libyens, sillonnent le détroit de Sicile, arraisonnant les embarcations occupées de candidats à la traversée à partir des côtes africaines. Ce mécanisme, destiné à endiguer les arrivées, à faciliter les interceptions, et, aussi, à permettre aisément les refoulements, privilégie les impératifs prétendus de sécurité au détriment de considérations humanitaires et juridiques. Il n’est pas inutile de noter dans la sémantique utilisée qu’officiellement, il ne s’agit pas d’externalisation, mais d’une « dimension extérieure de l’asile et de l’immigration », comme le confirme le titre des chapitres du Programme dit de la Haye pour lequel l’Union européenne a défini sa politique migratoire et d’asile. « La moitié du monde ne sait pas comment vit l’autre moitié », pensait François Rabelais au milieu du XVIe siècle. Aujourd’hui, un huitième du monde ne sait pas ou s’interdit de regarder comment vit les sept autres huitièmes ; Ce huitième, à l’abri du besoin, libre de ses déplacements à travers la planète, bénéficiaire d’une paix appréciable, privilégié par son lieu de naissance… Ne se préoccupe guère ou alors très peu du sort de son prochain.

Claire Rodier, juriste cofondatrice du réseau européen africain, MigrEurop, coordinatrice de l’ouvrage collectif « Immigration, fantasmes et réalités », paru en 2010, évoque dans un article de la Revue Migration Société intitulé « Comment et avec qui l’Europe repousse ses frontières » explique de façon instructive le processus d’adoption de directives et règlements communautaires en ce domaine.

« Les pays tiers d’origine et de transit sont devenus des destinations d’exportation de la politique migratoire de l’Union européenne et du transfert de celle-ci »

C’est ainsi qu’ont été passés des accords avec les pays des programmes MEDA (zone Méditerranée), Tacis (Europe centrale) CARDS (Balkans) et ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Ces dispositifs de coopération, aux coûts faramineux, avec des pays tiers, chargés d’interrompre à tout prix le voyage des migrants, repose également sur une coopération policière avec des partenaires voisins proches, sous-traitant pour le compte de l’Union européenne de la surveillance des mouvements des « exilés ». Que dire ensuite de ce qu’est devenue la Méditerranée : Une barrière maritime naturelle, un cimetière humain, un bassin de rétention de corps engloutis. La même eau sert alors à la fois de tombeau pour les sudistes et de piscine pour celles et ceux qui situés sur la bonne rive profitent des rayons UV sur les côtes calcaires et/ou sablonneuses.

« Toutes les vies comptent ». Celles de ceux qui ont tout perdu et qui, au péril de leur vie, ont pris tous les risques pour fuir le désespoir, devraient, à nos yeux, être pris davantage en considération. Leur fureur de vivre est un message d’espérance qui doit parler à chacun d’entre nous. Près de 6 millions de réfugiés ukrainiens ont été accueillis dans l’ensemble de l’Europe au 31 décembre 2023. Tous fuyaient une guerre dont on ignore, coté ukrainien comme russe, le nombre de victimes. Si l’accueil bienveillant et fraternel, dans un élan de solidarité, de ces hommes et femmes nous a paru salutaire et bienvenu, le traitement exclusif et prioritaire auquel ces candidats à l’exil ont eu droit n’a pas manqué de surprendre le reste du monde et notamment les africains. Le traitement inhumain réservé aux migrants en méditerranée ne cesse d’interpeller.

Les pays du Sud y ont décelé un parti-pris ; un traitement discriminatoire caractérisant le double standard que, précisément, ils reprochent depuis des décennies à l’Occident. C’est dans ces conditions qu’est intervenue, le 24 avril 2024, la SAFETY RWANDA Bill (« sûreté du Rwanda ») adoptée par le Parlement du Royaume-Uni ouvrant la voie à l’expulsion vers ce pays d’Afrique de demandeurs d’asile arrivés illégalement dans le royaume britannique. Le journal français le Monde, dans sa version numérique du 24 avril, rappelait que les nombreux détracteurs de cette loi la jugent « contraire au Droit international, impossible à mettre en œuvre, immorale, compliquée et dispendieuse ». On peut ajouter les refus quasi systématiques de délivrance de visas opposés aux africains par les services consulaires des pays européens suivis d’une rétention automatique des frais de dépôts de dossier que les demandeurs recalés analysent comme des actes confiscatoires sans fondement légal.

« Les points d’incompréhension sont nombreux »

À notre sens, le mécanisme de mise à l’écart des indésirables présenté ici caractérise une faute autant morale que politique qui, au demeurant, coute à l’Europe plusieurs milliards d’euros par an ; montants à notre connaissance non explicités et dont la pertinence n’a jamais été débattue. Plus grave nous parait représenter le coût politique qui en résulte. Les jeunes africains et ceux du reste du monde grandissent convaincus qu’ils ne sont pas les bienvenus en France et en l’Europe. Ils sont pourtant les futurs dirigeants de leurs pays. L’addition se paie déjà ! Elle risque d’être de plus en plus salée. Cette situation désespérante à bien des égards nous semble cependant légèrement atténuée par les nombreuses initiatives d’humanistes et d’ONG européens qui se battent au quotidien pour le respect et l’égalité de tous. Nous pensons ici particulièrement à l’association SOS Méditerranée dont une des missions consiste à sauver des vies, à protéger les personnes rescapées et à témoigner de la situation en mer et des multiples visages de la migration. Sa lettre mensuelle, datée du 25 juin 2024, intitulée « Ils sont de chair et de sang » comportait l’adresse suivante de l’écrivain Alain Damasio « J’ai toujours pensé que le mot étranger était un verbe. Pas un nom. Un verbe d’action qu’on utilise pour mettre à distance ceux qui sont pourtant comme nous, pour les éloigner de cette évidence qu’ils sont comme nous, qu’ils sont nous. »

Les dirigeants du sud global et particulièrement ceux d’Afrique subsaharienne peuvent enrayer ce mouvement mortifère en concevant et développant une politique d’industrialisation de leurs pays, de transformation des matières premières locales au lieu même de leur production procurant ainsi des emplois à une jeunesse dont les membres souhaitent avant toute chose vivre aux côtés des leurs et avoir les moyens de nourrir leurs familles.

L’espoir, dit-on, fait vivre !

*Prosper Abega
Avocat et chroniqueur géopolitique

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