L’écrivain explique la genèse du projet « Yoro le pêcheur », son nouveau roman, et ce qu’il en attend du public qu’il croisera au salon du livre africain de Paris les 17, 18 et 19 mars 2023, à la Mairie du 6ᵉ arrondissement de Paris.
Après la restitution des œuvres aux Africains, voici Yoro le pêcheur. Qui est Yoro le pêcheur ?
Yoro Thiam né le 07 Févier 1893 était mon grand-père. Pêcheur originaire de Mbagne (Winding), un village au sud de la Mauritanie. Grâce à une relation d’amitié entre lui et M Albertini, un ingénieur français qui venait juste de livrer les ouvrages du chemin de fer Dakar- Saint-Louis, il s’est retrouvé du jour au lendemain embarqué pour le Congo pour un deuxième challenge : la construction du Chemin de Fer Congo-Océan (CFCO. Ce projet patinait à cause du manque de bras et du caractère inhospitalier de la forêt du Mayombe que le tracé devait impérativement traverser. Albertini avait été appelé en toute urgence par la Métropole française pour relever le défi de la construction de ce nouveau chemin de fer qui était d’une importance capitale pour la France : Il devait mettre toutes les richesses de l’Afrique Centrale aux portes des grands ports maritimes en France.
Ce n’est jamais facile d’écrire sur sa famille ou ses proches. Comment est née l’idée du projet ?
L’idée du projet est d’abord née d’un sentiment de révolte. Révolte parce que mon grand-père, qui était Mauritanien, est arrivé au Congo comme le Sergent Malamine (de son vrai nom Malamine Camara, né au Sénégal vers 1850 et décédé à Dakar en janvier 1886, était un sous-officier de l’infanterie coloniale ndlr), amené par les Français. Le système colonial utilisait souvent les gens venus d’autres pays pour diriger ceux des pays d’origine. Diviser pour mieux régner… Comme le Sergent Malamine venu du Sénégal pour sécuriser le Congo-Brazzaville, mon grand-père était lui venu pour mettre de l’huile dans le mécanisme rouillé de ce chemin de fer. Pêcheurs de son état, les travaux ferroviaires lui étaient étrangers. Il a dû travailler dur au point qu’il a fini auréolé du titre de chef de chantier. Il est donc l’un des grands artisans (avec de nombreux Tchadiens, Camerounais, Centrafricains, grande partie chinois, etc.) de cet ouvrage, le CFCO, unique chemin de fer au Congo. Projet à la réputation de broyeur de vie humaine. L’action de mon grand-père était d’essayer d’éviter qu’il y ait plus de morts. On parle communément de 20.000 morts ! à cette époque. Je dois dire que l’action de mon grand-père a permis à ce que ce chiffre ne s’alourdisse encore plus. Cependant, une majorité de la nouvelle génération congolaise ignore cette histoire. Il y a peu d’écrits sur mon grand-père et l’histoire de ce chemin de fer. Aucune plaque commémorative ! Si une seule plaque existe et qui honore uniquement le français qui dirigeait le projet !!! À la fin de ce chantier, mon grand-père, dépité par le spectacle funeste de ce chantier, décida de quitter cet univers rongé par le capitalisme pour revêtir à nouveau, et de façon définitive, ses habits de pêcheur. La France lui octroya un vaste terrain le long du fleuve, dans le quartier de Mpila. Il y construisit un port qui porte encore son nom aujourd’hui, le port de Yoro, à Brazzaville. Mais ce port a été longtemps laissé à l’abandon, négligé, voire oublié, et une autre partie a été préemptée par des hommes riches qui y ont construit des villas alors que c’est un domaine privé qui appartient au patrimoine du Congo-Brazzaville, et on aurait pu le mettre en valeur. Cet ouvrage, Yoro le pêcheur, est un sentiment de révolte qui signifie que je restitue à ma manière, à mon grand-père et aux Congolais, une partie de l’histoire de leur pays. Et c’est aussi pour porter en terre africaine, les propos de mon premier essai sur la restitution des œuvres d’art aux Africains.
Combien vous a-t-il fallu de temps entre le projet et sa réalisation ?
Ce projet, l’idée de pouvoir parler de mon grand-père, a été probablement l’élément instigateur. Mais, au fond, il y avait la volonté de parler de la colonisation, de ses dérives, ses travers sans pour autant utiliser les mêmes paradigmes que nos anciens. En l’occurrence, ce projet avait été présenté à mon grand-père comme un outil de progrès pour la population congolaise, il devait servir à transporter des êtres humains, mais en réalité, il va servir à acheminer les minerais, au profit unique de capitalistes occidentaux. Je devais donc parler de mon grand-père, mais en même temps faire des recherches pour savoir exactement ce qui s’était réellement passé dans ce Mayombe ? Pourquoi il y a eu autant de morts. Un travail de recherches qui a pris une bonne année, puis une plongée dans l’histoire familiale sur mon grand-père qui m’a pris trois années, parce qu’il n’y avait pas non plus beaucoup d’éléments à disposition et j’ai dû multiplier des discussions avec un de ses fils, son excellence M. Jean Bruno Thiam pour coordonner et comprendre certaines pièces du puzzle.
Votre précédent ouvrage, sur cette histoire de restitution des œuvres aux Africains, a été un vrai succès en matière de prise de conscience individuelle et collective sur le sujet. Qu’attendez-vous de Yoro le pêcheur ?
Je n’écris pas pour amuser la galerie. J’ai une vraie vision de l’écrivain engagé, qui prend la parole au nom des sans voix. Mon idée, c’est que tous ceux qui sont morts lors de la construction de ce chemin de fer, ne soient pas morts pour rien. Il n’y a même pas de plaque commémorative indiquant ce qui s’est passé. Or, il y eu des Camerounais, des Chinois, des Roumains, Sénégalais, Russes, Italiens, Français, morts pour des intérêts uniquement capitalistes, au profit des étrangers. On a détruit impunément des arbres centenaires ! détruit des villages entiers ! Ce que j’attends, c’est que l’on puisse enfin reconnaître que la vie d’un homme dans le Mayombe a la même valeur que celle d’un skieur dévalant les pistes de skis… Ce qui s’est passé dans le Mayombe doit interpeler notre humanité ! Dans le Mayombe. On a fait travailler des enfants ! On a recouru aux travaux forcés alors que la loi les interdisait dans l’hexagone ! Plus près de nous, lors de la coupe du Monde 2022 au Qatar, l’opinion publique internationale s’est émue des conditions de travail des étrangers qui ont construit les stades ou les infrastructures, le nombre de morts provoqué par la dureté de ces travaux… Exhumer le drame qui s’est produit lors de la construction du chemin de fer Congo-Océan participe du devoir de mémoire.
Recueilli par J.-C. Edjangué à Paris