Bonjour M. Daouda Mbouobouo, merci de nous accorder un peu de votre précieux temps. Vous êtes le Président de la Société des Poètes et Artistes du Cameroun (SPAC), promotrice du projet de création d’une Maison de la poésie à Foumban (Cité des Arts). Comment est née l’idée de ce projet ?

Bonjour Jean Célestin Edjangué et merci pour l’intérêt que vous accordez aux activités de la Société des Poètes et Artistes du Cameroun. En effet, je suis le Président de la SPAC, qui en réalité existe depuis une bonne dizaine d’années et est officiellement autorisée depuis le 20 juillet 2015. Le projet de la création de la maison de la poésie à Foumban, au Cameroun, fait partie de la feuille de route et donc des statuts originels de l’association, tout comme notre revue numérique internationale trimestrielle Art et Vers créée en octobre 2017, sans oublier notre Concours Africa Poésie assorti d’un festival initié en 2016 à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et en 2017 à Yaoundé, au Cameroun, avec le soutien de l’OIF. Le temps est venu maintenant de penser à réaliser cet objectif d’une structure physique qui pourra abriter, dans ses divers démembrements, les différentes activités de la SPAC, de favoriser l’accès au livre et à la lecture dans l’arrière-pays, à travers la poésie notamment, la littérature en général et l’artistique ; également de permettre aux uns et aux autres d’avoir un cadre pour s’exprimer, rehausser, stimuler leur génie. Le choix de Foumban (la cité des arts) n’est pas un choix anodin, car c’est un véritable bouillon de culture séculaire, complétement en phase avec notre projet. Les populations qui y vivent ne respirent que par l’art et une culture très ancrée dans la tradition. Cette maison sera une première au Cameroun.

Pouvez-vous nous présenter de manière assez détaillée cette Maison de la Poésie à Foumban telle que pensée ?

Cette maison sera composée d’une bibliothèque avec une salle de lecture, d’une médiathèque, d’une salle de conférence et de spectacles, d’un bloc administratif, d’un lieu de restauration et on pourra aussi y accueillir des résidences d’écriture et d’Art… Bref, une structure qui pourra servir à développer l’expression poétique et artistique tout en ouvrant l’espace à l’accueil d’un public plus large provenant de la région, du pays, voire du monde.

Quelle est l’ambition d’une telle initiative dans une région, un pays et un continent où les jeunes de moins de 25 ans représentent 66 à 70 % de la population totale ?

En Afrique, en effet, les jeunes représentent la frange de la population la plus importante. Cependant, cette jeunesse s’intéresse très peu ou pas à la littérature en général et à la poésie en particulier, faute, en partie, de cadres pour s’exprimer. On trouve évidemment des terrains rudimentaires de football ! Ce projet offrira un espace de rencontres intergénérationnelles, d’encouragements et de valorisations des talents. C’est pour les rapprocher davantage de cette autre réalité qui humanise l’homme, que la SPAC s’investit à créer, voire fusionner, des synergies d’action pour mettre en place des plates-formes de partages, d’échanges et de rencontres.  De plus, la population scolaire constitue un vivier important dans lequel l’enracinement d’une culture littéraire et poétique peut venir renforcer l’éducation Nationale, car la poésie est vectrice de valeurs positives et contribue à resserrer les liens, et à maintenir le flambeau de la paix en ces temps si troubles notamment en Afrique.

En observant bien autour de nous, nous nous sommes rendu compte que certains continents ont pu, non seulement, créer un environnement favorable à développer l’esprit de créativité, d’initiative, de responsabilité, d’éveil, chez leurs populations, mais aussi diffuser une réelle culture du livre.

Qu’est-ce qui vous fait croire qu’une Maison de la Poésie suffit, à elle seule, pour intéresser le public des jeunes à la lecture ou à la littérature ? D’autres animations, favorisant par exemple le mieux-vivre ensemble, sont-elles prévues ?

Ce ne serait pas réaliste ou à la limite, il serait prétentieux de dire qu’une maison de la poésie suffit pour intéresser le public au livre et à la lecture. Mais, il n’en demeure pas moins qu’il s’agira d’un déclencheur important, un indicateur fort de l’esprit que l’on veut insuffler parmi la population. N’oubliez pas que ce lieu va drainer un nombre important d’activités déployées en son sein, nous pensons par exemple à des ateliers d’écriture à destination des plus jeunes comme nous avons déjà pu le faire avec la SPAC par le passé, des expositions d’art, des spectacles avec déclamation poétique et accompagnement musical, des conférences et des échanges- dédicaces avec des auteurs…. Il ne faut pas oublier le rôle important de la bibliothèque qui permettra un accès aux livres que certains n’ont pas et des échanges.

Réaliser un tel projet nécessite d’importants moyens tant matériels qu’humains. Avez-vous trouvé des financements et des partenaires nécessaires ?

Nous sommes conscients des difficultés qui nous attendent, il va falloir convaincre, rallier l’assentiment des partenaires financiers, mais nous savons que l’engouement est réel, la volonté de réussir aussi. Le plus dur au démarrage, c’était d’avoir les idées.

Nous n’aurons pas peur de recommencer à chaque fois, convaincus de la pertinence d’un tel projet, pour le développement de nos zones enclavées. C’est un exemple qui fera tache d’huile et permettra à nos populations de se remotiver en créant avec les compétences de chacun, tout en se projetant dans l’avenir. Chaque âme de bonne volonté ne pourra trouver ce projet que bénéfique. C’est donc ensemble que nous allons construire cette maison de la poésie pour le collectif. Je vais me permettre de prendre un exemple avec le XVIl ème roi de la dynastie bamoun, le roi Njoya, qui en érigeant le palais des Rois Bamoun a marqué un chapitre mémorable de l’histoire de son peuple. Lors de sa visite chez le gouverneur colonial allemand, Njoya est frappé par la grandeur de sa demeure en dur. De retour chez lui, il entreprend son projet le plus audacieux : la construction du palais des Rois Bamoun. En 1913, élaborant lui-même les plans, il surmonte le scepticisme de ses conseillers, mobilisant tout le peuple dans cette entreprise. Malgré trois échecs, le roi affine les techniques, et la quatrième tentative est couronnée de succès en 1917. C’est une prouesse mondiale du génie humain qui contribue efficacement à l’essor culturel, économique et sociopolitique de tout un peuple avec un retentissement sur le monde, et c’est dans cet esprit que nous souhaitons réaliser notre projet.

Le poète et président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, disait en son temps : « Le développement sera culturel ou ne sera pas ». Avez-vous le sentiment que la promotion de la culture, en général et de la lecture en particulier, occupe une place de choix dans nos sociétés africaines ? Sinon, comment remédier à cet écueil ?

Vous faites bien de le dire, d’ailleurs, vous avez pleinement raison et Léopold Sédar Senghor avait vu juste. La culture certes, mais davantage la poésie est le meilleur moyen de réconcilier l’homme avec lui-même. Regardez le Japon, la Chine, voire l’Inde où la pensée profonde est un gage d’équilibre parfait et de communion avec l’âme. Lors du dernier Congrès de la World Conference of Poet (WCP) auquel j’ai participé et qui s’est tenu du 23 au 29 septembre 2023 en Italie, les délégations les plus importantes venaient de ces pays et j’étais le seul du continent africain. Je suis allé aussi loin pour vous démontrer, s’il en était encore besoin, l’importance de ce projet sur notre continent.  Car à côté de nous, en France, il y a une Fédération des maisons de la poésie qui, à travers ce pays, joue un rôle essentiel d’éveil des consciences et d’éducation d’une certaine manière, afin de maintenir la flamme allumée. Au Royaume-Uni et en Amérique latine, il y a des maisons de la poésie sous diverses appellations, pour exemple la casa del poetas  reunio unido. Ces initiatives sont parfois très discrètes, mais sont finalement efficaces pour asseoir une culture enracinée et forte. L’Afrique doit construire ses propres repères à travers ses chants intimes, ses mots puissants, ses traditions et ses valeurs. Et nous sommes convaincus que la poésie a un rôle à jouer.

Mené par Jean-Célestin Edjangué

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