Le film du réalisateur camerounais a bouleversé la salle d’émotions et de questions. Il est parmi les favoris à l’obtention d’un Dikalo award de ce 19ᵉ Festival international du film panafricain de Cannes dont la clôture a lieu ce dimanche, 23 octobre.
Qu’est-ce qu’il y a de commun entre vos précédentes productions, je pense notamment à « Tet’Ekombo » ou « Rio Dos Cameroon », et Pungu aviation ?
Tout ce qu’il y a de commun avec ces travaux, c’est toujours de mettre en avant notre histoire, nos racines, notre patrimoine. C’est toute ma préoccupation. C’est la raison pour laquelle, une fois de plus, à travers Pungu aviation, j’ai voulu questionner la terre. Pourquoi ? parce que c’est la terre qui donne sens au socle de vies. Qu’est-ce qu’on devient sin, on a plus de terre ? Pungu aviation, c’est le nom d’un petit village dans la région de Kribi, au sud, département de l’Océan, au Cameroun. C’est un village producteur de noix de palme. Comment dans ce village qui n’a pas de terre pour cultiver peut-on viser l’émergence en 2035 du pays qui se veut agricole ? Tout le film questionne et montre les riverains qui se battent à la fois pour cultiver, exister, mais qui sont par ailleurs menacés d’expropriation une troisième fois. La question est donc de savoir qu’est-ce qu’on devient quand on ne sait pas où on vit, on ne sait pas quel est notre espace de vie, on ne sait pas si on doit continuer à travailler… ? Alors la question de l’existence même de l’être humain se pose, de sa condition sur terre, et bien entendu celle des générations futures. Voilà l’intrigue que je développe et que j’essaie d’argumenter durant près de 80 minutes.
Pungu aviation interroge à la fois le foncier, l’urgence climatique, la condition humaine et l’histoire. C’est cela ?
Vous avez d’autant plus raison que dans ce film, je filme un patriarche qui est né dans ce village, a vu ses parents être expropriés, et qui s’inquiète justement de la génération à venir, s’interroge de ce que deviendra sa progéniture. Pendant le tournage, le patriarche meurt sans avoir vu les choses changer. Et même la tombe où il a été inhumé devra être rasée demain avec la construction du nouvel aéroport, les populations devant se déplacer. En se déplaçant, on put se demander ce qu’on fait de cette mémoire, de ce qu’elle deviendra, les déplacés n’ayant pas de stabilité. Toute la problématique se pose donc au niveau écologique, social, culturel, mémoriel, mais aussi au niveau de l’enracinement. Et pour traiter de ces différents enjeux, je n’avais qu’un départ banal concernant la production de la noix de palme.
Mais votre film va aussi à l’encontre d’un certain nombre d’idées reçues, notamment sur les relations entre les multinationales et les riverains du lieu de l’implantation des usines. Comment avez-vous réussi à rapprocher les différents protagonistes de l’affaire ?
C’est justement ce qu’il y a de beau dans le film. La multinationale en question à Pungu aviation, la Socapalm, et les riverains de ce village, essaient ensemble une réflexion devant déboucher sur des solutions qui favorisent le vivre ensemble. Toute la production de l’huile artisanale effectuée par les riverains est davantage sollicitée par la multinationale pour voir dans quelle perspective accompagner ces populations locales. Ce qui fait mal par contre, c’est que dans le besoin de modernisation envisagé par l’État, avec la construction du nouvel aéroport dans la région de Kribi, finalement les riverains et même la multinationale se retrouvent dans l’obligation de déguerpir. C’est ce qui, in fine, les réunit pour tenter de résister face à cette échéance de construction du nouvel aéroport.
Recueilli à Cannes par J.-C. Edjangué