D’origine mauritanienne et congolaise, expert en matière de finances, entrepreneur, membre de la société civile africaine, il est également l’auteur d’un livre sur la restitution des œuvres aux Africains, qui percute de plein fouet l’actualité des relations entre le berceau de l’humanité et l’Europe. Il nous explique comment lui est venue l’idée de cet ouvrage et les perspectives de la question qu’il soulève.
On vous connaissait jusque-là comme expert financier, chef d’entreprise et acteur de la société civile africaine. Vous êtes aussi désormais l’auteur de « Sur le chemin de la restitution des œuvres aux Africains *», paru en mai 2021, chez l’éditeur Sydney Laurent. Nous allons y revenir. Comment passe-t-on de l’expert en finance, par exemple, à l’écriture d’un livre sur le patrimoine culturel ?
Bonjour Jean-Célestin Edjangué. Votre question est très intéressante. Parce qu’à priori, il y a vraiment un fossé qui sépare la partie culturelle surtout le patrimoine africain et les études d’expert financier que j’ai dû faire. Mais quand on regarde de plus près, mon parcours est celui de quelqu’un qui vient d’Afrique et qui fait partie aujourd’hui de la diaspora. Comme vous le savez, nous sommes très intéressés par ce qui se passe en Afrique. Et quoi de plus important, quand on s’intéresse à l’Afrique, que de s’intéresser à ce qui constitue la racine africaine, c’est-à-dire son patrimoine, sa culture. C’est donc tout à fait naturellement que je me suis retrouvé plongé dans cette problématique des œuvres d’art africaines qui, avant d’être une problématique de restitution a d’abord été une problématique de manque. C’est en tout cas ce que j’ai ressenti.
L’ouvrage de 358 pages est sorti, il y a un an, chez Sydney Laurent. Pourquoi vous êtes vous intéressé particulièrement à cette question de la restitution des œuvres d’arts africains, qui se trouve être d’une actualité brûlante ?
Ça s’est passé très naturellement, si j’ose dire. C’était un dimanche à Paris. Il pleuvait, j’étais avec un de mes amis, Serge Ghézo, qui vient d’ailleurs de nous quitter (paix à son âme). Nous n’avions pas grand-chose à faire. Serges était accompagné de sa fille de 14 ans, une métisse avec une mère asiatique et un père béninois. C’est cette fille qui nous propose de choisir d’aller au cinéma, au théâtre ou au musée. Nous avons décidé d’aller au musée du Quai Branly, le temps parisien, quand il n’est pas intéressant, il vaut mieux être à l’intérieur. Et c’est comme cela que nous sommes arrivés au Quai Branly, nos tickets entre les mains. Nous-voilà en train de déambuler dans les couloirs du musée. C’est là que nous tombons sur le siège du roi Ghézo. Et Serge dit à sa fille « Tu vois, ce siège appartient à mon arrière- arrière-grand-père ». La fille nous regarde et demande « mais pourquoi on a dû payer pour voir le siège de notre arrière-arrière-grand-père ? On s’est regardé avec Serge, et on s’est dit qu’il y a vraiment quelque chose qui ne va pas. C’est à partir de ce fait que j’ai décidé d’écrire sur la restitution des œuvres d’art africaines.
Dans votre ouvrage, vous élaborer quelques pistes pour accélérer ce processus de restitution, en ménageant les différents protagonistes. Vous pouvez préciser ? Par ailleurs comment entrevoyez-vous cette question à l’avenir ?
La problématique de la restitution se vit aujourd’hui de différentes manières par les africains. Certains estiment que les œuvres qui se trouvent en France et plus largement en Europe, ont été volées, et qu’il faut les restituer. D’autres estiment que l’Afrique doit d’abord se préparer à les accueillir et à les conserver. Comment restituer ces œuvres alors qu’il y a un préalable, concernant la disponibilité des musées en Afrique? Pour moi, la plupart de ces réactions sont passionnées. Mon rôle, entend qu’intellectuel était de pouvoir examiner la question, essayer de voir quels sont les leviers qu’on pourrait tirer de cette problématique et quelle solution pourrait-on proposer. Une solution qui permettrait de sauvegarder le patrimoine africain et surtout de permettre aux africains de se réapproprier ce patrimoine. Dans cette perspective, je propose trois piliers pour pouvoir trouver l’issue à cette problématique de restitution qui a été en France du fait des trois « i » : l’inaliénabilité, l’incessibilité, l’insaisissabilité des œuvres. A ces trois « i » j’oppose les trois « c » : la compassion, par laquelle je demande aux européens qui possèdent de façon illégitime les œuvres appartenant aux Africains, s’ils seraient heureux si la Joconde, la Tour Eifel, par exemple étaient prises par d’autres pays. Je leur demande donc de comprendre le manque que cause ces œuvres chez ceux qui devraient normalement les avoir. Ensuite, la coopération entre les Etats, qui veut que généralement quand deux civilisations se rencontrent, ça crée une addition. Or, dans le cas d’espèce, c’est plutôt la soustraction. Quant au dernier « c », il s’agit de la coexistence. L’universalisme, ce n’est pas avoir toute la culture, tous les éléments du patrimoine mondial à Paris, New York ou Hong Kong. L’universalisme c’est de permettre la coexistence entre différentes cultures, dans leur milieu originel, c’est laisser les autres cultures exister à côté des vôtres pour que nous puissions constituer cette arche de Noé culturel. Et voilà pourquoi je pense que les trois « c » permettront de résoudre cette problématique.
Se pose une autre question, celle de l’accueil et la conservation des œuvres, une fois restituées aux Africains. Les conditions sont-elles réunies en Afrique ?
Pour ce concerne l’avenir de cette question de restitution liée au cadre d’accueil et de conservation des œuvres, il se rapporte au questionnement autour de trois termes : restitution, rapatriement ou retour. Il s’agit de savoir si la restitution veut dire rapatriement ou retour des œuvres. Restituer, pour nombre d’observateurs, suppose que les œuvres revenus dans leur milieu d’origine, puissent bénéficier des conditions idoines de conservation. Mais, je rappelle que restituer c’est redonner à celui qui était initialement propriétaire, le droit de propriété. La restitution dont je parle est avant tout une restitution de ce droit de propriété des œuvres qui appartiennent aux Africains. Ce n’est pas seulement un rapatriement ni un retour automatique. Après cette première étape, les modalités de retour ou de rapatriement des œuvres peuvent être envisagées. Une fois qu’on a reconnu le droit de propriété de quelqu’un, on lui demande de venir récupérer ses biens quand il en a besoin. J’ai du mal à viser qu’on lui demande s’il sait les garder puisque ces ouvres existaient avant. Je dis faites confiance aux Africains, ils sauront se donner les moyens pour garder leurs œuvres. Et j’ajoute, attention ! N’imposez pas aux Africains les modèles importés de conservations des œuvres. L’Afrique n’est pas obligée de copier les modèles occidentaux de musées, elle doit réfléchir sur sa propre muséographie, sa propre scénographie des musées. Un masque accroché au mur, en Afrique, n’a aucun sens. J’ai envie d’un musée vivant, un musée en mouvement, une sorte d’Euro Dysneyland culturel.
Recueilli par Jean-Célestin Edjangué