Expert financier français d’origine camerounaise, qui a passé 17 ans de prison injustement à Yaoundé au Cameroun, entre 1997 et 2014, avant d’être libéré par la grâce du président Paul Biya. Depuis, il se bat pour sa réhabilitation et son indemnisation. Il a bien voulu nous expliquer les enjeux de son témoignage qu’il a publié en 2021(Le cherche midi), en France.
Votre livre « Otage judiciaire. 17 ans de prison pour rien », paru en avril 2021, aux éditions Le Cherche midi, est un témoignage poignant des 17 ans que vous avez passés dans les geôles à Yaoundé au Cameroun, entre mai 1997 et février 2014. Pourquoi ce besoin de témoigner en compagnie de la romancière Anna Véronique El Baze et quel accueil l’ouvrage a-t-il reçu en France comme au Cameroun ?
Témoigner, c’est d’abord un acte solidaire de dignité. Pour faire partager à ceux qui n’étaient pas avec moi, là où j’étais enfermé, l’expérience vécue et, par-delà, c’est aussi donner un message d’encouragement, d’espoir à ceux qui souffrent, à ceux qui sont détenus, malades, handicapés, enfermés… Je voulais leur envoyer un petit message de lumière dans leurs ténèbres.
Quand on lit votre récit, on se rend compte qu’il y a une succession de méprises dans votre affaire, depuis le jour de votre arrestation au carrefour Bastos à Yaoundé, la détention d’abord au SED puis à Kondengui, les deux condamnations et jusqu’à la libération qui s’est faite assez discrètement. Comment expliquez-vous tout cela ?
L’envie de détruire, l’envie de faire mal, de faire souffrir sans désir de retour en arrière, je dirais l’envie d’anéantir. Ceux qui ont monté cette cabale avait un dessein morbide, mortifère et létal. Je pense qu’il n’y avait pas d’autres raisons derrières. Ils se sont servi du pouvoir de l’État, la noble fonction politique, pour exercer une vengeance qui n’existait pas. Je n’étais pas dans un conflit politique avec qui que ce soit. Je n’avais pas d’ambition politique. J’étais là pour un projet bien précis que j’ai monté. Je pense que l’intention était de spolier les biens qui appartenaient aux sociétés. On a voulu greffer dans cette spoliation un faux dossier judiciaire. Une fois la machine lancée, ils n’ont pas eu la retenue de revenir en arrière. Les années ont commencé à s’écouler et d’année en année, ils n’avaient pas la possibilité de se rétracter. Et je dois saluer, aujourd’hui, vous-même, Jean-Célestin, à titre individuel, grâce à Pius Njawé, de regrettée mémoire, que je respecte infiniment, les bonnes volontés se sont mobilisées pour dire non à ce qui se passait dans ma situation. Et c’est embryon humaniste a créé les perspectives d’une résurrection dans cet endroit appelé cellule, qui ressemblait en réalité à un tombeau dont je n’avais aucune chance d’en sortir sans ces mains tendues qui me venaient de l’extérieur, qui ont dit non, qui ont appelé des Ongs, qui ont créé une dynamique pour dire non à cet endroit enténébré où ne régnait qu’une seule fin, la mort.
Vous avez été graciés par le président Paul Biya du Cameroun en février 2014, pas innocenté. Or toutes les enquêtes et procédures, en France notamment, ont prouvé que votre arrestation puis la détention et condamnation étaient arbitraires. Où en est votre combat pour la réhabilitation et l’indemnisation ?
J’ai été apatride pendant 13 ans. On a beaucoup parlé du Cameroun. Mais, pardon, j’étais expatrié français. Je pleure cette longue absence de la France sur le plan du contrat social, sur le plan du contrat citoyen. Mais la justice française a accepté de revoir cela. Et je salue cette initiative. Après la décision des Nations Unies, le 13 novembre 2013, reconnaissant ma détention arbitraire, accompagnée de tortures et de violences. Il y a une décision de la Cour de justice en France, du 7 juin 2014, un arrêt sans recours qui autorise la justice française à instruire sur le cas d’un citoyen français détenu à l’étranger. Il n’y a donc plus de prééminence de la coutume diplomatique qui disait que quand un État condamne, on ne peut pas instruire. Il y a ensuite la décision du défenseur de droit en France, qui a déjugé ses prédécesseurs en relevant la gravité des faits constitués dans mon dossier et engageant de fait la responsabilité des États camerounais et Français. Troisième décision, le côté pénal, celle de la Chambre de contrôle de l’instruction judiciaire de Paris qui a décidé qu’il y a une chaîne pénale pour cas de torture, séquestration, de violences volontaires par les États du Cameroun et de la France. Le juge m’a interrogé en juin 2022 pour déterminer les responsabilités de la chaîne pénale. La décision doit être rendue au plus tard en décembre 2023. Ce sont des décisions très importantes qui permettent aux victimes d’avoir des voies de recours quand l’inqualifiable se produit à l’étranger. Quatrième décision importante, celle de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions(CIVI). Là encore, il y avait une opacité qui disait que les faits commis à l’étranger ne devraient pas être pris en compte. Ce n’est plus le cas. Cette décision ouvre la voie pour l’indemnisation et surtout pour les droits perdus, la retraite et autres. Je crée donc une sorte de jurisprudence permettant de protéger les autres Français. C’est aussi le sens de l’association que j’ai créé.
Recueilli à Paris par J.-C. Edjangué