Avocat, acteur de la société civile, président de l’ONG Waraba d’Afrique qui œuvre pour l’alternance démocratique pacifique en Afrique et homme politique, président du RIDJA (Rassemblement pour une Initiative de développement avec une Jeunesse Avertie), des organisations membres du front uni contre la présidence comorienne de l’Union africaine, dès février 2023 pour un an, sous Azali Assoumani, chef d’Etat de l’archipel des Comores. Il explique pourquoi.
Initialement, les Comores ont assuré la 2ᵉ Vice-présidence de l’Union africaine sous la présidence d’Etienne Tshisékédi, chef d’État de la RD Congo, alors que le Sénégal occupait la 1ʳᵉ Vice-présidence. Ce dernier poste était resté vacant sous Macky Sall, le Kenya estimant lui aussi qu’il pouvait y prétendre. Le désistement du Kenya propulse de facto le président Azali des Comores à la tête de l’Union africaine. Pourquoi cette perspective vous inquiète-t-elle ?
L’inquiétude est légitime. Parce que celui qui est candidat à la présidence de l’Union africaine est un putschiste, il est arrivé au pouvoir par un coup d’État militaire, s’est maintenu au pouvoir contre les institutions constitutionnelles des Comores, contre la volonté du peuple comorien. Surtout, durant sa présidence de 2016 à 2021, les Comores ont enregistré 35 assassinats commis par des militaires sous le commandement du régime Azali. Il n’y a jamais eu de procès, ni d’enquête judiciaire pour élucider les circonstances et établir les responsabilités de ces crimes. Par ailleurs, les Comores sont champions du monde des détournements et corruptions commis par Azali Assoumani et sa famille. Je tiens à souligner que son fils a ouvert, à Dubaï, une société par écran, selon une enquête menée par des journalistes indépendants internationaux. Alors qu’on sait que son fils n’a jamais travaillé, que le peu de revenu dont il dispose ne proviendraient du travail. Par ailleurs, on sait que Azali Assoumani est l’ennemi juré de la démocratie et de l’État de droit. Les faits sont là, des enquêtes et missions menées par les Nations Unies et le Département d’État des États-Unis établissent, sans contestation aucune, qu’il y a la torture aux Comores et que le pays n’est pas prêt à une alternance politique démocratique par les urnes dans les prochaines années. L’Union africaine, elle-même, a publié un communiqué demandant à ce que les prisonniers politiques soient libérés aux Comores.
Vous auriez donc peur que la gestion opaque voir catastrophique des Comores soient transposées au niveau de l’Union africaine si Azali en assurait la présidence ?
Nous faisons la différence entre l’Union africaine, qui est dirigée par une Commission qui en est l’instance exécutive, et le Sommet des Chefs d’État, l’organe qui fixe les orientations, le cap à suivre, la vision de ce que doit être l’Afrique. C’est cette fonction que Azali Assoumani entend briguer. Nous disons attention ! Nous savons que les dirigeants africains n’aiment pas leurs peuples, ils n’écoutent pas leurs doléances, leurs aspirations démocratiques et d’État de droit, de liberté, ils s’en fichent de leurs rêves. Ils sont débordés par les réalités complexes de notre continent et des citoyens Africains… Ils ne savent pas comment y répondre. Ça fait 60 ans que la plupart des pays africains sont indépendants. 60 ans après, et moins sans doute pour d’autres, nous sommes toujours confrontés à la réalité des régimes anticonstitutionnels qui, pour certains, arrivent au pouvoir par des coups d’État, des manipulations des résultats, le bourrage des urnes… C’est le cas d’Azali, un champion des coups d’État, qu’ils soient militaires ou institutionnels. Récemment, Azali a fait juger un ancien président des Comores (le président Sambi ndlr) après l’avoir maintenu en détention provisoire pendant cinq ans, sans véritable fondement juridique, contre la constitution comorienne, et il a fabriqué une Cour spéciale pour le juger et le condamner à la perpétuité. Les faits sont peut-être avérés. Mais les gens doivent être jugés, peu importe leur grade, en fonction de la loi. Or, en l’occurrence, ni la juridiction ni les textes n’existent.
Le fait que le Kenya fasse acte de candidature à la présidence de l’Union africaine, puisque le poste de 1er vice-président était vacant, semble avoir agacé Azali Assoumani qui a engagé un bras de fer diplomatique avec Nairobi, envoyant des messagers dans tous les pays d’Afrique, jusqu’au désistement du Kenya, il y a quelques semaines. Quelle analyse faites-vous de cet imbroglio ?
Je parle de fonctions honorifiques qui permettent à l’Union africaine de pouvoir dégager les perspectives pour le continent. Or, ceux qui étaient là ne l’ont pas fait. L’ancien président du Kenya Uhuru Kenyatta, alors au pouvoir au Kenya, avait effectivement fait acte de candidature. Mais il a été battu lors de la dernière présidentielle par William Ruto. Je suppose que ce dernier à d’autres préoccupations quant à la situation intérieure du pays. C’est pourquoi il n’a pas voulu faire de la candidature du Kenya pour présider la tête de l’Union africaine, une priorité.
Nombre de Comoriens interprètent la manœuvre diplomatique du président Azali Assoumani dans ce bras de faire avec le Kenya comme un succès compte tenu du désistement de ce pays. Partagez-vous cette analyse ?
Moi, je dirais plutôt un échec pour l’Union africaine. L’élection possible d’Azali Assoumani serait un échec de plus pour l’Union africaine. Comment peut-on parler de succès d’un homme au détriment de son peuple ? Les peuples africains aspirent à l’État de droit, à la démocratie, à la liberté, au respect de la constitution des Comores… Et Azali n’incarne pas du tout ces valeurs.
Vous connaissez bien le président Azali pour avoir été candidat à la présidentielle et surtout coordonnateur et véritable animateur des Assises nationales, en 2018. Qu’est-ce qui vous insupporte chez lui ?
Je n’ai rien contre Azali Assoumani lui-même. Mais ce qui m’insupporte, c’est le système qu’il incarne aujourd’hui. C’est un sous-préfet de ceux qui l’ont maintenu au pouvoir. Le 12 janvier, Azali est passé par la France pour ensuite, allez rendre visite à Macky Sall, à Dakar. Il a des puissances qui l’encouragent dans sa volonté à briguer la présidence de l’Union africaine. Azali n’a aucune crédibilité pour dénoncer un chef d’État putschiste puisque lui-même est arrivé au pouvoir suite à coup d’État. Pas plus qu’il peut condamner les exactions de toutes sortes, les violations des droits humains, il passe le plus clair de son temps à les violer. Il est le contraire même de la loi. Tout cela au moment où les Africains veulent plus de justice, de liberté, de démocratie, d’État de droit…
On sait que vous avez initié avec une trentaine d’associations et mouvements politiques des actions contre cette présidence annoncée d’Azali à l’Union africaine. Quels retours avez-vous de ces démarches ?
Nous avons saisi la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples d’une requête pour demander à ce qu’elle travaille sur ce dossier et se prononce sur la régularité de cette candidature d’Azali au regard des textes qui sont en vigueur. La Commission ne s’est pas encore prononcée. Mais si Azali devenait président de l’Union africaine, les actions ne s’arrêteraient pas pour autant. Nous saisirons les juridictions africaines pour contester cela. Nous avons saisi aussi le président du Kenya pour dire que le Kenya doit maintenir sa candidature, chacun doit prendre ses responsabilités. Au niveau de l’Union européenne, nous avons saisi, en démarche préalable, la Commission européenne pour lui demander d’appliquer une règle valable en Europe : la conditionnalité. Ça veut dire que l’Union européenne doit suspendre l’aide budgétaire accordée à l’Union africaine au cas où Azali serait président de l’Union africaine. La Commission a un délai de deux mois pour se prononcer et dire si cette règle de conditionnalité s’applique. Si elle ne le fait pas, c’est la Cour européenne de justice qui se prononcera.
Si, selon toute vraisemblance, le président Azali et les Comores prennent effectivement la tête de l’Union africaine, début février 2023, qu’allez-vous faire avec les autres membres du front uni opposés à cette idée ?
Il n’y a pas de candidat déclaré pour cette fonction honorifique de président de l’Union africaine. Peut-être que ça n’intéresse pas grand monde, l’Afrique a de nombreux défis prioritaires. Azali n’a pas trouvé les solutions aux problèmes des Comoriens, je ne vois pas comment il pourrait résoudre les problèmes de l’Afrique. Nous nous félicitons de ce que les organisations de la société civile africaine se mobilisent des partis politiques et autres organisations non gouvernementales, mais aussi des institutions européennes.
Mené par Jean-Célestin Edjangué à Paris