Ancien journaliste de la Cameroon Television (CTV) aujourd’hui Cameroon Radio Television (CRTV), considéré au sein de la profession comme un pionnier, il a bien voulu nous accorder un peu de son temps pour analyser la situation politique au Cameroun, son pays natal, dans le contexte de la présidentielle du 12 octobre 2025. Sans diplomatie concession !
Merci Eric Chinje de prendre un peu de votre précieux temps, pour parler du Cameroun, notre pays natal que nous avons en partage, malgré l’exil à l’étranger. Le Conseil constitutionnel, réuni du 28 juillet au 05 août 2025, pour vider le contentieux pré-électoral concernant la liste des candidats acceptés par Elecam dans l’optique de la présidentielle du 12 octobre 2025, a confirmé le rejet de la candidature du Professeur Maurice Kamto, sous la bannière du Manidem. Au total, 12 candidats ont été définitivement validés. Comment analysez-vous cette liste de 12 candidats dont le président sortant, Paul Biya, sans son principal opposant, Maurice Kamto ?
Je vous remercie infiniment de me donner l’occasion de partager mes réflexions avec mes compatriotes. Permettez-moi tout d’abord de vous assurer et à tous, que je vis effectivement à l’étranger, mais que je ne suis pas en exil. En réalité, le Cameroun vit en moi et je ne m’en suis jamais éloigné. Ce qui s’est passé au Conseil constitutionnel le 5 août 2025 est une tragédie historique pour la nation. Il ne s’agit pas tant d’un individu que de la qualité de nos institutions. Il s’agit de la force de nos efforts pour bâtir une démocratie et de la confiance dans les institutions qui sont à la base de cette entreprise. Les actions du Conseil constitutionnel ont joué sur mondo vision et nous ont révélés au monde comme une autre république bananière africaine qui réclame encore un leadership visionnaire.
Que penser des 12 candidats retenus pour l’élection présidentielle ? Tout d’abord, je ne pense pas que le président Paul Biya devrait figurer sur cette liste. Il s’agit d’une liste de onze citoyens compétents qui, s’ils en ont l’occasion, sauront certainement bouleverser le statu quo actuel et donner au pays la chance de progresser sur la voie du développement politique et économique. Nous nous dirigeons vers ce qui ne sera rien de plus qu’une mascarade électorale à l’issue prédéterminée. Il ne fait aucun doute qu’un Paul Biya faible, vieux et pratiquement incapable de gouverner gagnera à nouveau les élections et permettra à la clique d’Etoundi de gouverner en son nom.
Et les Camerounais seront contraints de faire l’autruche et, pendant sept années supplémentaires, de suspendre tout jugement et de poursuivre une existence momifiée dans un pays zombie, convaincus que la belle et riche géographie que la nature leur a offerte ne peut être transformée en une terre de paix, de prospérité et de progrès. La jeunesse de notre pays ne doit pas se laisser tromper par les actions du Conseil constitutionnel ou de toute autre structure de gouvernance et la conduire à la complaisance de l’inaction. Le 12 octobre leur donnera l’occasion de reconquérir leur avenir.
« C’est la preuve que le ridicule ne tue pas au Cameroun »
Comme l’a fait le directeur général de Elecam, dans la notification de rejet de la candidature de M. Kamto, le Conseil Constitutionnel invoque la « Pluralité d’investitures par le MANIDEM ». En quoi cette explication peut-elle apparaître douteuse ou fantaisiste, quand on sait que M. Dieudonné Yebga, bien qu’exclut du MANIDEM, avait lui aussi déposé sa candidature pour ce scrutin ?
C’est la preuve que le ridicule ne tue pas au Cameroun. J’ai suivi les débats à la télévision et j’ai dû passer une demi-douzaine d’appels téléphoniques par la suite pour compléter ma compréhension des faits. J’espérais sincèrement qu’ELECAM trouverait une bonne raison pour exclure le professeur Kamto, si cela devait arriver. La raison finalement invoquée a non seulement révélé la complicité de la décision, mais aussi l’étroitesse d’esprit de ses auteurs.
Le Cameroun pourrait être l’une des grandes nations du continent africain. Le pays a tout pour réussir en tant que puissance économique et politique, mais rien ne peut se faire sans un leadership déterminé et visionnaire, et les institutions qui l’accompagnent. Consciemment ou non, ELECAM et le Conseil constitutionnel viennent de démontrer à l’Afrique et au monde qu’il nous reste encore beaucoup à faire dans une entreprise aussi simple. Les jeunes Camerounais doivent savoir que nous disposons des talents et des ressources nécessaires pour construire une nation où chaque citoyen s’épanouira.
« La principale erreur de M. Kamto a été de ne pas réussir à s’imposer comme une alternative viable à M. Biya »
La vraie erreur du Professeur Kamto ne vient-elle pas du boycott des élections législatives et municipales de 2020 qui lui aurait assuré d’avoir au moins un élu si le MRC y avait participé ?
La principale erreur de Kamto a été de ne pas réussir à s’imposer comme une alternative viable à M. Biya. Cela aurait été le cas pour quiconque se serait trouvé dans la même situation. Si le MRC avait participé aux élections de 2020 et avait obtenu des députés, au moins un ou deux fidèles du parti auraient déposé leur candidature en 2025, provoquant la disqualification du professeur Kamto. Trouver des personnes prêtes à jouer ce jeu, d’autres Yebgas, est facile dans un pays où la pauvreté est devenue une arme et où la plupart des gens sont prêts à vendre leur âme pour quelques dollars. Tout cela n’est pas une question d’homme ; c’est une question de pouvoir à Yaoundé. C’est pourquoi nous parlons de systèmes et d’institutions, et non d’hommes ! Ceux qui s’engagent dans les efforts de l’opposition pour parvenir à un consensus sur un candidat unique doivent en être conscients : le système écrasera quiconque se présentera comme une alternative crédible à M. Biya pour la présidence. Pour ma part, rien de tout cela n’aurait eu beaucoup d’importance si le président actuel avait conservé toute sa capacité à diriger ce pays. Ce n’est pas le cas, point final ! Personnellement, j’ai développé un profond amour et un profond respect pour l’homme qu’était le président Biya ; je crois qu’il a manifesté les mêmes sentiments à mon égard. Rien ici ne vise à diaboliser le Biya que j’ai connu ; celui-là même qui a autrefois dirigé ce pays. Je sais aujourd’hui – et tout Camerounais honnête et patriote doit le savoir – que ce président n’existe plus. On peut se leurrer autant qu’on veut ; cet homme ne reviendra plus, jamais ! IL EST TEMPS D’ÉLECTIONNER UN NOUVEAU LEADER AU CAMEROUN !
Quelles peuvent être les conséquences, pour le Cameroun et même pour l’Afrique, du rejet par le Conseil constitutionnel de la candidature de M. Maurice Kamto,
Je suis souvent sidéré par l’ampleur de l’influence des actions locales sur les résultats nationaux, voire continentaux. Les nombreuses crises que traverse actuellement le pays, de la guerre civile au NoSo à l’invasion de Boko Haram dans le nord du pays, non seulement anéantissent les espoirs de construire un Cameroun fort et prospère, mais contribuent également à éloigner les investisseurs du pays et de toute l’Afrique centrale. L’état désastreux des infrastructures de nos villes et villages, par exemple, affecte non seulement ces centres communaux ; il renforce également, à l’intérieur comme à l’extérieur, un sentiment d’impuissance et d’abandon.
Les événements d’Elecam et du Conseil constitutionnel détermineront en grande partie l’avenir du Cameroun et contribueront à perpétuer le récit d’un continent aux institutions faibles et incompétentes. Nous sommes actuellement gouvernés comme un navire à la dérive au milieu d’un océan agité, caractérisé par la médiocrité et la cupidité. Les élections constituent une activité non seulement pour changer de dirigeants, mais aussi pour insuffler de nouvelles idées au débat public sur la gouvernance et la gestion du Commonwealth. L’échec des élections prive un pays de toute chance de renouveau. Le rejet de la candidature de Kamto, face aux preuves accablantes d’intervention de l’exécutif, a conduit la plupart des observateurs à se demander si et quand des institutions légitimes seront mises en place pour contribuer à l’instauration d’un leadership de qualité dans le pays.
« Le Cameroun a véritablement besoin de changement »
Nombre de Camerounais souhaitent ardemment le changement à la tête de l’exécutif au Cameroun. Mais on le voit bien, dans certains pays africains et pas uniquement, l’alternance politique n’est pas toujours signe de changement. Comment faire pour concilier véritablement l’alternance et le changement, en Afrique comme ailleurs ?
Le Cameroun a véritablement besoin de changement, mais quelles sont les chances que ce pays obtienne un jour la qualité de leadership ou l’alternance gouvernementale qu’il mérite si la confiance dans nos institutions électorales reste aussi faible qu’elle semble l’être aujourd’hui ? C’est par là que tout doit commencer. La confiance dans nos institutions publiques ! Pour y parvenir, nos dirigeants doivent être animés par un objectif moral : un sens aigu du patriotisme et le souci de voir nos enfants faire le bien. Les politiques qui sous-tendent notre approche de nos systèmes de santé et d’éducation, ainsi que de nos institutions publiques et privées, doivent être nées d’une réelle volonté d’offrir le meilleur à notre pays. Cela devra transparaître dans les programmes politiques des candidats, et les citoyens ont le droit de le savoir avant de faire leur choix aux urnes.
J’espère que nous réunirons la totalité, voire la plupart, des médias nationaux dans les prochaines semaines pour des débats entre les candidats. Un électorat ignorant fera des choix fondés sur son ignorance et ne pourra s’en prendre qu’à lui-même pour la qualité des dirigeants qu’il aura. Cela souligne également le rôle des médias au Cameroun : sensibiliser les citoyens aux propositions politiques de ceux qui aspirent à les diriger. C’est ainsi que nous évitons l’erreur de changer de dirigeant simplement pour le plaisir.
Mené par Jean-Célestin Edjangué