Premier noir à recevoir le prix Nobel de littérature, en 1986, l’écrivain engagé, professeur des universités, sera honoré, ce 9 juillet 2024, par l’institution académique, dans la capitale du Maroc.

C’est une personnalité exceptionnelle, un humaniste et écrivain engagé dans le combat contre toutes les formes d’aliénation, d’assujettissement, d’impérialisme, un défenseur des libertés, non seulement celle de l’esprit, mais également la liberté d’expression, la liberté d’aller et de venir, la liberté d’être soi-même. Premier noir à recevoir le prix Nobel de littérature, en 1986.

Wole Soyinka, puisqu’il s’agit, sera honoré, ce mardi, 9 juillet 2024, à l’Académie Royale du Maroc, à quelques jours de ses 90 ans.

Artiste prolifique, éclectique…

Né le 13 juillet 1934 (Il aura donc 90 ans, dans quelques jours), à Abeokuta, ville d’environ 1 million d’habitants, au Nigéria, capitale de l’État d’Ogun, fondée en 1825 pour servir de refuge contre les chasseurs d’esclaves du Dahomey et d’Ibadan. Il suit des études universitaires à Ibadan et Leeds, puis travaille au royal Court Theatre de Londres. Il occupera différents postes à l’université à Ibadan et Lagos. Fondateur de plusieurs troupes de théâtre au Nigeria, comme « 1960, Masks drama troupe », il a créé en 1952 l’association « The Pyrate » à l’université d’Ibadan, pour lutter contre la mentalité coloniale et participe en 1961 à la création du Mbari club, initiée par Ulli Beier, un centre d’activités culturelles regroupant des écrivains, artistes et musiciens africains.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est W.-SOYINKA-1024x576.jpg.
WOLE SOYINKA

Il s’oppose à Aimé Césaire, en 1962, promoteur du concept de négritude, repris ensuite par Léopold  Sédar Senghor, en lançant le concept de « tigritude », expliquant « qu’un tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit sur sa proie et la dévore ». Le sujet sera d’ailleurs au cœur d’une conférence controversée à l’université Makerere, en Ouganda, en 1962. Wole Soyinka est arrêté quelques années plus tard, emprisonné au Nigéria, de 1967 et 1969, du fait de son soutien au mouvement d’indépendance au Biafra. Libéré, il dispense des cours aux départements d’art dramatique d’Ife et Ibadan, tout en parcourant le monde pour la mise en scène de ses pièces, donner des conférences ou encore éditer des magazines littéraires, à l’instar de Transition. Cet artiste prolifique et éclectique, a différents genres littéraires à son actif. Il a écrit de nombreuses pièces de théâtre, depuis des récits autobiographiques jusqu’aux essais politiques et littéraires, en passant par des recueils de poèmes, des nouvelles et des romans. Il est connu tant pour la richesse de son imagerie poétique, la complexité de sa pensée et l’importance de la mémoire historique comme outil de construction des ravages de la colonisation, puis de reconstruction d’une Afrique nouvelle, panafricaniste.

… Et engagé

Un de ses chefs-d’œuvre, « La Mort et l’Écuyer du roi », paru en 1975, raconte la tragédie anticolonialiste au Nigéria. C’est sa première tragédie qu’il écrit alors qu’il est «  fellow », sociétaire, reconnu comme personnalité méritante, au Churchill College de l’université de Cambridge. L’auteur met lui-même en scène cette histoire, en 1976, à Chicago et au Lincoln Center de New York, en 1987.

Contraint à l’exil en 1994, après avoir été condamné à mort par le gouvernement de Sani Abacha, il ne rentrera au Nigéria qu’à la mort du président de la République, en 1988. Il s’intéresse et s’implique au Parlement international des écrivains et préside la Communauté africaine de culture (CAC) dès 2006, avant de créer son parti politique, le 25 septembre 2010 sous l’appellation de Democratic Front for a People’s Federation (DFPF, Front démocratique pour une fédération des peuples), dans l’optique des élections générales de 2011.

Dans la foulée, il signe la préface d’une anthologie intitulée Africa39 : New Writing d’Afrique du Sud du Sahara, qui met en lumière 39 jeunes écrivains africains, dans le cadre du projet Africa39. La même année, l’Union internationale humaniste et éthique lui décerne le prix de l’Humaniste international de l’année, qu’il ne peut aller chercher à Oxford, parce que malade. Lors d’une conférence de presse au Centre culturel d’Abeokuta, il annonce qu’il vient de sortir victorieux de son combat contre le cancer du côlon et souhaite mettre sa notoriété au service de la prévention contre tous les types de cancer.

L’élection de Donald Trump, en 2017, à la présidence des États-Unis d’Amérique, oblige Wole Soyinka à déchirer sa carte verte, renonçant au privilège du droit à la résidence permanente aux États-Unis où il enseignait. Il se réinstalle au Nigéria. En 2017, il est professeur à la faculté d’humanités de l’université de Johannesbourg, en Afrique du Sud.

Son œuvre

Wole Soyinka est un auteur éclectique, qui s’est essayé à toutes les formes d’écriture. Son œuvre, polymorphe et occidentalisée, est essentiellement rédigée en anglais et puise son inspiration dans des mythes et le folklore yoruba dont il est issu. L’auteur a souvent recours à la figure de style de l’analepse, avec des retours en arrière d’une au récit d’une action appartenant au passé, pour expliquer et rechercher dans sa prose un certain symbolisme.

Parmi ses pièces les plus connues, on compte notamment Le Lion et la perle, 1959, qui dépeint la vie de villageois ordinaires sur un mode humoristique, La Danse de la forêt, en 1960, écrite en l’honneur de l’indépendance nigériane, la comédie Les Tribulations de frère Jéro, en 1959, La Route,1965, qui met en parallèle accidents de voiture et forces divines et la satire politique La Récolte de Kongi, en 1965. Suivent Un sang fort, en 1965, qui prend pour figure centrale le bouc émissaire, Fous et spécialistes, 1970, qui évoque la guerre du Biafra Bacchae, 1973, transposition en Afrique des Bacchantes, d’Euripide, La Métamorphose de Jero,1973, et La Mort et l’Écuyer du roi, en 1975, Opera Wonyosi, 1981,s’inspire de L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht.

Soyinka est aussi l’auteur de nombreux recueils de poésie et de romans comme Les Interprètes, 1965, satire féroce de la société nigériane pleine d’humour et d’ironie. Une Saison d’anomie,1973, revisite quant à lui le mythe d’Orphée dans le cadre des massacres commis au Biafra, durant les années 1960. On doit également à l’auteur un récit autobiographique : Aké, les années d’enfance, 1981,et quelques études critiques telles que Mythes, littérature et le monde africain, 1976, dans laquelle il expose ses théories artistiques et revient sur sa conception de la littérature africaine. On doit par ailleurs plusieurs romans, plusieurs recueils, récit autobiographiques, recueils de poésie, essais et même un opéra.

En 2012, il a également prêté sa voix pour le documentaire de Ishaya Bako qui relate l’histoire du mouvement Occupy Nigeria, engagé dans la lutte contre la corruption et la pauvreté.

En 2021, le premier tome de son autobiographie figure au programme de français des classes préparatoires scientifiques françaises et il publie son dernier gros roman, Chronicles from the Land of the Happiest People on Earth.

Récompenses, distinctions

Premier auteur africain et personnalité noire à recevoir le prix Nobel de la littérature, en 1986, Wole Soyinka a reçu, en 2017, le Prix Spécial du Prix Europe pour le théâtre, à Rome ; le Prix Manhae de littérature, en 2005 ; le Prix de l’Humaniste international de l’année 2014, décerné par l’Union internationale humaniste et éthique.

Il ajoutera certainement une nouvelle distinction à sa collection, ce mardi, 9 juillet 2024, à l’Académie du Royaume du Maroc, à Rabat.

Par Jean-Célestin Edjangué

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *