Éducateur sportif de formation, animateur socioculturel, artiste et DJ mixeur, ce Camerounais d’origine fait le bonheur des jeunes et des moins jeunes à Dijon, où il fait un travail multidimensionnel pour enraciner le vivre ensemble. Il parle de son parcours et de ses différentes casquettes et sa passion pour créer des passerelles intergénérationnelles. Lisez plutôt…
Comment se retrouve-t-on artiste, peintre, dj, promoteur d’associations à Dijon quand on est originaire du Cameroun ?
Je suis Alex Fredy Ngango Fankam, fils du feu Modeste Fankam, qui travaillait à la Sonel au Cameroun. Je suis arrivé en France à l’âge de 9 ans, j’habitais chez mon oncle à Nanterre, en région parisienne (département 92, ndlr) j’ai fait une partie de mes études à Auxerre, j’ai fait un peu de football, j’ai arrêté avec des soucis de genou. À l’âge de 20 ans, j’ai intégré le Creps à Dijon, pendant 4 ans, j’ai été formé pour être éducateur sportif. Je fais mon stage ans une MJC à Dijon et à la fin de mon stage, on me propose un emploi jeune. J’avais 20 ans. Je rentre dans le monde du travail par ce billet-là. En tant qu’animateur sportif dans une structure socio-éducative, je décide de me former aussi dans tout ce qui est culturel. À 22 ans, j’obtiens mon diplôme d’animateur socio-culturel en 2004, et suis responsable adjoint du pôle cultures urbaines, qui englobe le rap, le break dance…, un peu les arts urbains. Parallèlement, avec la ville de Dijon, on met en place une association qui s’appelle « Protagomix », en 2003, dans la dimension mixage de cultures, d’évènements, de musiques. On était 12 au départ, comme des apôtres, chacun a donné une lettre pour composer le nom de l’association. Ironie du sort, j’ai donné le X et aujourd’hui, je suis un peu le seul facteur X de Protagomix, le gardien du temple des valeurs. Aujourd’hui, on a mis en place un festival « Culture mixte » avec la ville de Dijon, festival dont je suis à l’initiative, qui permet aux à de petites associations d’émerger, de pouvoir trouver un lieu pour s’exprimer. Pendant le confinement, on a réfléchi à un concept nouveau qui soit fédérateur avec une dimension artistique, recyclage, culturelle, économie sociale et environnementale. Nous avons fait déjà le tour de la ville, avec plusieurs structures socio-éducatives. On a des ateliers lors des desquelles nous expliquons ce que c’est le vinyle. On est assez content parce que ça plaît et grâce aux réseaux sociaux, on est fier de pouvoir aller exposer à New-York. Ça parle de Dijon, ça parle de la Bourgogne, on a à peu près 300 artistes qui participent à ce projet. On a des lieux qui nous sollicitent, on a été contacté par deux structures à Lausanne, en Suisse, et un très bon contact à la « Route des chefferies » au Musée du Quai Branly. C’est un projet qui ne cesse d’avancer et se nourrit de lui-même.
Une autre de vos casquettes, et pas la moins surprenante, c’est celle de DJ mixeur que j’ai découverte au « Social bar », un vendredi soir, début juillet, à Dijon. D’où vient-elle cette autre passion ?
J’ai fait une interview avec un journaliste qui me demandait d’où me venait la passion pour la musique. Je lui ai répondu que nous naissons dans la musique au Cameroun. Tous ces instruments qui nous entourent depuis tout petit, je me baladais au centre-ville de Douala, à la musique est présente au quotidien, puis à la maison, papa avait une platine vinyle pour l’époque, c’était énorme. J’ai connu les casquettes où on enregistrait des émissions qui passaient dans des radios parce qu’on avait besoin d’écouter les nouveautés. C’est ça qui a nourri un peu mon envie d’aller ce côté-là. Car la musique, on peut dire ce qu’on veut, au-delà du fait quelle adoucie les mœurs, ça permet aux gens de se rencontrer, d’échanger, ça crée une dynamique unique. C’est tout naturellement qu’à Dijon, on a en place des ateliers de mixte MAO (musique assistée par ordinateur). La technologie a super avancé, avec une simple petite tablette, on peut créer des choses extraordinaires. La musique, aujourd’hui, c’est ce qui me fait vibrer et je la partage avec mon collègue Italien Andréa, saxophoniste, on a monté une formation qui s’appelle « cafélaté », avec un Dj camerounais et un musicien italien, qui non seulement nous permet de nous produire, mais montre aussi que la musique n’a pas de frontière. On a eu une belle opportunité avant le confinement, on a fait le festival de Cannes avec « Les misérables » de Ladji Ly, on était supposé avoir pas mal de petites dates dans la foulée. Malheureusement, le confinement est passé par là et nous a stoppés dans notre dynamique. On essaie de reprendre pied aujourd’hui.
Vous êtes, depuis une vingtaine d’années, sur des thématiques qui me parlent, concernant la bi-culturalité, la jeunesse… Quel regard portez-vous sur cette jeunesse française aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé, rétrospectivement, par rapport aux jeunes que vous avez connus il y a 20 ans ?
Il y a beaucoup de choses qui ont changé. Je ne vais sûrement pas comparer avec la jeunesse de ma génération, je ne voudrais pas passer pour un pauvre con. Aujourd’hui, il y a les nouvelles technologies, le smartphone, et tout ce qui va avec. On a une jeunesse qui se regarde beaucoup, soucieuse de son image, avec une dimension d’ouverture. C’est ce que je trouve très positif. Je travaille énormément avec des musiciens, avant la moyenne d’âge était de 18-20 ans. Aujourd’hui, j’ai des jeunes prodiges qui ont 13-14 ans. Ça veut dire aussi qu’ils ont très tôt stimulés par les parents. On a des jeunes qui ont compris que le monde appartient à ceux qui se bougent. Alors, ils se bougent sur les réseaux sociaux, en lançant les projets ; ceux que je côtoie sont la plupart dans une dynamique où ils viennent dans nos ateliers pour apprendre. Et ils ne manquent pas d’outils. Il y a des tutos, des vidéos explicatives… je leur dis souvent qu’avant, il y avait des notices et que j’avais un pote Allemand, je l’invitais manger à la maison le soir quand j’avais une notice en allemand pour qu’il me la traduise. Mais avoir trop d’outils, ça peut aussi créer une frustration dans le sens où ils se noient un peu dans ces outils d’apprentissage. Mais j’ai toujours à la maison le bon vieux et irremplaçable dictionnaire ; j’aime toucher l’objet, j’aime le rapport au papier, même si je pense que c’est amené à disparaître. Dans tous les cas, on s’adapte au support, qu’il s’agisse du numérique ou du papier. On a un message à faire passer dans une ville de province comme Dijon. Beaucoup de gens ont des à priori. Et donc à travers ce que je fais, j’essaie de casser cette image et montrer aux jeunes que le champ des possibles est ouvert pour peu qu’on veuille aller jusqu’au bout des choses.
Aller au bout des choses, c’est aussi savoir se jauger les uns les autres. Quand on est dans un pays où le conflit intergénérationnel est une réalité quotidienne difficile à résorber, puisqu’il est devenu quasi culturel. Comment faire pour changer les mentalités ?
Paradoxalement, l’espoir est là. Il est là parce qu’on a conscience de ce rapport entre les générations. Un des premiers évènements que nous avons organisés ici à Dijon, portait d’ailleurs sur cette problématique. C’était de permettre à un groupe de dance d’aller se produire dans des maisons de retraite, c’était en 2007. À l’époque, tout le monde s’est moqué de nous. C’est celle maintenant que les gens sont en train de comprendre. Moi, je savais ce que je voulais montrer, aller rencontrer les anciens dans leur quotidien, leur espace de vie, pour créer du lien avec les jeunes générations. J’ai connu l’époque où, dans un bus, par exemple, quand un jeune voyait une personne plus âgée, il lui cédait la place. Ce respect est de moins en moins automatique.
Mais c’est aussi parce que certaines personnes âgées refusent la place qu’un jeune leur cède et non parce que ce jeune n’a pas envisagé de se lever pour laisser sa place. Voilà qui rend encore les choses plus complexes. Non ?
Effectivement. C’est pour ça qu’aujourd’hui, il faut faire fie de ces préjugés et aller vers l’autre pour lui montrer ce que tu sais faire, prendre le risque de provoquer la rencontre. Et parfois, le jeu en vaut vraiment la chandelle. Il y a quelques années, nous avons monté un groupe « Afro-Dijon » dont l’objet était de savoir, dans la communauté afro qui fait quoi sur Dijon. Dans ce collectif, il y a des profils divers et variés, permettant de mettre en relation l’offre et la demande de services. C’est par là que commencent l’entraide et la solidarité. Il ne fait pas avoir l’impression d’être abandonné. Les jeunes ont besoin des modèles, des gens qui les tirent vers le haut. C’est très important. On a le devoir de dire aux jeunes qu’il y a toujours de l’espoir, quelle que soit la situation.
Vous êtes monté à Paris, en famille, pour voir l’exposition « Sur la route des chefferies du Cameroun », au musée du Quai Branly. Pourquoi était-ce si important d’y aller avec vos enfants et votre épouse ?
En tant qu’animateur socioculturel et éducateur, je vois des gamins désœuvrés, perdus. On est dans un pays, la France, où l’on parle de liberté. La liberté, ça implique aussi la responsabilité. Un jour, j’ai un débat avec un monsieur d’extrême droite, qui est revenu sur l’affaire des frères Kouachi, Coulibaly et autres. Il a dit « Ces enfants ne font pas partie de la République ». Moi, je dis si. Sauf qu’à un moment donné, ils sont sortis de cette République. Je pense que quand on est jeune, on a besoin d’appartenir à un socle, à un groupe qui nous ressemble. Quand on a des valeurs, on sait d’où on vient. On sait qu’on a des responsabilités. Tous les regards sont braqués sur moi, au Cameroun, en France… Ça met une bonne pression. Les autres y sont arrivés. Mon grand-père me racontait que quand il passait son bac, ils allaient au bord de la route avec des copains, ils battaient sous les lampadaires avec des criquets pour apprendre. Je raconte souvent cette histoire aux gamins. Et je leur demande « Qui a le plus de mérite ? Celui qui s’est battu contre les criquets, sous les lampadaires, et qui a eu son bac avec mention, ou le mec qui est assis avec toutes les nouvelles technologies ? » La réponse est sans équivoque. « C’est celui qui s’est battu sous les lampadaires avec les criquets ».
Pour revenir à l’exposition, je regrette qu’elle n’ait pas été organisée plutôt. On est en 2022. Il a fallu déplacer les enfants, ma femme, pour rencontrer l’histoire du Cameroun de cette manière. Ça veut dire que nous sommes en train de prendre notre destin en main. On a pris des photos, il y a plein de choses qui se bousculent dans la tête, on va les travailler. J’étais content de faire partie des visiteurs. Si les jeunes, les gamins, la famille ne savant pas d’où ils viennent, ils ne seront jamais où ils vont. Et dans ce travail de connexion avec ses racines, la culture, la mémoire et l’histoire, la communication a un rôle capital à jouer. Merci à vous pour ce que faites dans ce sens.
Mené à Dijon par Jean-Célestin Edjangué