La capitale régionale de la Vénétie, au nord de l’Italie, comprend une centaine de petites iles, dans un lagon de la mer Adriatique. La cité, connue pour son romantisme, ses gondoles qui voguent avec des millions d’amoureux chaque année, connaît, entre l’automne et le début du printemps, une période d’inondation du fait des marées hautes. Le phénomène peut devenir difficile à maîtriser, comme au mois de novembre 2019.
Venezia, comme l’appellent les Italiens, est une ville à part dans ce pays européen bordé par la Méditerranée et l’Adriatique. La cité s’étend sur un peu plus de 414 Km2 de superficie avec une population de 261 000 habitants et une agglomération de près d’un million d’âmes. La ville ne comprend aucune route, sinon des rues, n’offre que des canaux comme voies de communication, dont le Grand Canal, en bordure duquel sont édifiés des palais gothiques et de la Renaissance. Au cœur de la ville, la célébrissime place Saint-Marc abrite la basilique Saint-Marc dont les mosaïques byzantines et le campanile de Saint-Marc, avec vue sur les toits de couleur rouge de la cité, donnent un cachet particulier à l’esthétique urbaine. La ville a été conçue pour charmer les visiteurs, leur donner envie d’y revenir autant de fois possibles, les amener à découvrir ses différentes facettes. Mais Venise a un problème, quasi consubstantiel à son histoire : l’acqua alta ou le phénomène d’inondation causée par des marées périodiques qui peuvent avoir un effet contre-productif, voire désastreux pour l’image glamour que la cité entretient méticuleusement.
« Depuis l’époque médiévale »
Dans la langue vénitienne, acqua alta signifie « Montée des eaux », période de « Hautes eaux » dans la lagune de Venise, avec un pic de marée extrêmement important, capable de provoquer l’inondation d’une partie insulaire de la ville, comme la place Saint-Marc. La marée haute recouvre alors une surface large de la cité, rendant impraticable une aire conséquente des rues de Venise ainsi que les espaces ouverts autour des édifices, particulièrement prisés par les visiteurs par beau temps. Le phénomène de l’acqua alta, selon une chronique antique, remonterait au VIᵉ siècle, en 589, comme en atteste une description notable et durable de l’époque. Mais, le premier témoignage fiable de cette montée vertigineuse des eaux, est signalée en 782. L’eau pouvait alors montée de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres. Il faut attendre 1848 pour noter une marée à 140 cm et 153 Cm en 1867. Bien sûr, comme nous sommes en Italie, le pays de la Cité éternelle et de la papauté, la marée montante ne manque jamais d’en appeler à des interprétations religieuses. Des descriptions mentionnées sur des bulletins semblent généralement s’attarder à des détails renvoyant au caractère « surnaturel » du phénomène qu’à la réalité des faits. Le commentaire de l’événement du 20 décembre 1283 insiste sur le fait que la ville de Venise a été « sauvée par miracle ». Parfois, aussi, le caractère catastrophique de l’énènement est mis en exergue. Comme lors de l’acqua alta du 4 novembre 1966. Aussi graves, furent les événements de 1442, lorsque l’eau arriva à 4 pieds au-dessus de la normale, et des 18-19 décembre 1600. Cette dernière étant selon toute vraisemblance identique à 1966, année qui, en plus d’une eau très haute à Venise, fut également marquée par une violente tempête qui provoqua la rupture en plusieurs endroits, de l’eau entra dans plusieurs villas célèbres : villas du Lido Maggiore, Tre Porti, Malamocco, Chioggia, pour ne citer que celles- là.
Des eaux exceptionnelles depuis 1923
En temps ordinaire, dans des conditions normales, la marée, dans la lagune de Venise, présente des variations de 60-70 cm sur une période d’environ une demi-journée(12 heures). Or depuis 1923, les eaux n’ont cessé de monter de plus en plus haut, atteignant 1,94 mètre en novembre 1966, une année gravée dans les mémoires, tant la ville avait souffert. La cité musée avait alors été dévastée par des inondations meurtrières, qui emporté une centaine de personnes et détruit totalement des édifices inestimables de la période de la Renaissance. L’amplitude maximum entre la basse et la haute marée, les 23-24 février 1928 et 25 janvier 1966, était de 1,46 mètre ; soit un peu moins que celle entre le 28 janvier 1948 et 28 décembre 1970, qui était de 1,63 mètre. Sans commune mesure, les inondations de début novembre 2019, ont tout de même rappelé de mauvais souvenirs à ceux des habitants de Venise qui ont pris la peine de s’intéresser à l’histoire de la ville. Mardi, 12 novembre, le phénomène de l’acqua alta s’est produit à une vitesse inattendue, la marée avoisinant 1,87 mètre de hauteur. Dimanche 17 novembre, la marée, certes moins importante, est tout de même montée jusqu’à 1,50 mètre en raison des pluies diluviennes qui se sont abattues sur une bonne partie du territoire italien, entrainant des alertes au Sud de la Toscane, dans les villes de Florence et Pise, dont la Tour qui n’arrête plus de se pencher, a fait courir la rumeur selon laquelle l’édifice menaçait de tomber… Enrico Rossi, président de la Région Toscane, n’a pas hésité à lancer, dans un tweet, un avertissement sur le risque de débordement du fleuve Arno et précisant que des pontons avaient été installés sur les rives de la ville de Pise « par mesure de précaution« . L’armée italienne, entrée en jeu, a tweeté des photos de militaires sur le terrain, acharnés à consolider les berges de l’Arno, cours d’eau qui traverse également Florence, et dont les eaux ont monté de manière spectaculaire dans la nuit de samedi 16 novembre à dimanche. La protection civile italienne a conseillé aux habitants de ne pas s’approcher des berges du fleuve, le risque étant réel d’être emporté par les eaux.
Retour à la normale
L’heure du grand nettoyage est terminée à Venise. Matelas détrempés, meubles hors d’usage, frigos, congélateurs et machines à laver, irrécupérables après avoir baigné dans l’eau salée de la lagune, ont été débarrassés après avoir passé quelques heures, parfois une journée, amoncelés dans les ruelles après l’action de la plus haute marée qui a déferlé sur la Cité des Doges depuis 50 ans, le soir du mardi 12 novembre 2019. Tel un boxeur sonné par un upercut, la ville reprend progressivement son souffle et ses esprits, ses habitudes aussi. Bien sûr, tous les métiers de maintenance, notamment en électricité, sont débordés par des sollicitations qui n’en finissent plus. Les enfants ont retrouvé le chemin des écoles, les cours ont repris à l’université Ca’Foscari. Pour le plus grand bonheur des commerçants et des bandeaux, l’écrasante majorité des musées ont rouvert leurs portes, de même qu’une bonne partie des commerces. Les touristes se font encore attendre, probablement pas totalement rassurés après ce qui s’est passé la nuit du 12 novembre. Et comme à quelque chose malheur est bon, les Vénitiens ont redécouvert, l’espace de quelques jours, les joies de se réapproprier la cité dont ils semblent prendre un plaisir non dissimulé à en prendre possession. Les bateaux-bus, les fameux vaporetti, sont à nouveau en service, toutes voiles dehors. Les gondoliers s’affairent à la réparation de leurs gondoles, qui ont subi durement la violence des flots. Reste la question qui brûle sur toutes les lèvres. Comment la ville de Venise, dont la fondation remonterait au Vᵉ siècle(421), construite sur plus d’une centaine d’îles et îlots, essentiellement artificiels et sur pilotis, peut-elle survivre à l’engloutissement qui la menace depuis plusieurs décennies ? La cité, qui a enregistré, depuis le début officiel des relevés, en 1923, sa plus grande et dangereuse crue(1,87 m), le 12 novembre 2019, après celle de 1966(1,94 m), s’est enfoncée de 30 centimètres dans la mer Adriatique en un siècle.
Par Jean-Célestin Edjangué