Écrivain, Administrateur de la Chaire des littératures et Arts africains à l’Académie du Royaume du Maroc, à Rabat, professeur de diplomatie culturelle à l’université Lansana Conté, à Conakry, il explique la Genèse du projet d’écriture et l’exergue de son nouveau roman. Passionnant !
Votre étourdissant roman, Zam-Zam (Gallimard, 2025), sortira le 6 mars prochain. Comment est née l’idée de cette nouvelle production littéraire dont le titre évoque, au Cameroun comme dans d’autres pays d’Afrique, un personnage un peu dérangé, voire fêlé ou zinzin ?
Eugène Ebodé : Attention, ce titre évoque aussi une source miraculeuse. La Genèse d’un livre n’est pas facile à résumer. Quatre raisons, parmi les plus importantes qui me viennent à l’esprit, ont motivé l’écriture de ce roman : 1°) Il me tenait à cœur d’aborder une question qui n’a eu de cesse de me tarauder : Qu’est-ce qui, de la politique ou de la création artistique, est essentiel à nos vies ? Tel est le thème principal qui parcourt cet ouvrage et derrière lequel s’élancent d’autres interrogations auxquelles je propose des réponses. 2°) Je voulais aussi aborder différemment deux sujets classiques en littérature : la tradition et la modernité. Je le fais ici sous un angle institutionnel. D’où l’histoire qui se déroule dans un sultanat, lequel est lui-même inséré dans une République. Le lecteur camerounais et africain comprendra et ne trouvera pas ce cadre institutionnel bizarre ou anachronique. 3°) Il me tardait également de traiter le personnage du fou et de son double. Le lecteur verra lui-même comment j’ai mis en route ces trois questions et les ressorts techniques qui rythment la narration. Il ne m’appartient pas de tout énumérer et de tout expliquer, car la poésie ne se barricade pas dans un enclos conceptuel. Elle invite à l’évasion et au grand air. J’espère que le lecteur le respirera à pleins poumons. Les réactions de vos lecteurs nous diront si j’ai réussi à conduire le récit en apportant des réponses crédibles aux trois points ci-dessus ou si je me suis fourvoyé. 4°) Enfin, parce que le monde littéraire commémorait le 225ᵉ anniversaire de la naissance de Pouchkine, il m’a semblé utile de lui rendre hommage en recourant au genre poétique. Je l’ai aussi adopté pour contester la marginalisation qui frappe cet art majeur.
L’exergue de votre roman est en effet un magnifique autoportrait du jeune lycéen Alexandre Pouchkine qui, à 15 ans, dans le cadre d’un devoir de rédaction en français, au lycée impérial Tsarskoïe Selo à Saint-Pétersbourg, en Russie, se présente auprès de ceux qui ne le connaissent pas. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce texte ?
Eugène Ebodé : La virtuosité, la langue, la puissance de l’art et l’espièglerie. Vous l’avez dit, Pouchkine réalise à 15 ans un impressionnant autoportrait, drôle, malicieux, spirituel et ironique. L’historien Dieudonné Gnammankou, qui a consacré une étude novatrice et déterminante sur les origines camerounaises de l’aïeul noir de Pouchkine, son arrière-grand-père Abraham Hanibal, est à saluer, car c’est son ouvrage sur Pouchkine et le monde noir, publié en 1999, qui m’a fait connaître ce poème.
Zam-Zam est aussi une histoire politique et une histoire d’amour, non ?
Eugène Ebodé : Ou une fable sur l’amour de l’histoire et de la politique. Les deux peuvent être compatibles. Vos lecteurs nous éclaireront peut-être sur ce point, du moins ceux qui viendront au salon du livre africain de Paris. Ils verront probablement aussi que le personnage le plus important de ce livre est Onisha, la princesse Tikar qui vouait un culte au poète Nosidor Guilamba enterré au Nigéria. C’est une manière de raconter Shéhérazade revenue des Mille et Une Nuits ! Quant au Sultan Bokito, il est tout l’inverse du terrible sultan sassanide Shahriar qui ne pensait qu’à trucider. Or, il faut poétiser nos existences au lieu de les charcuter ou les tournebouler.
Recueilli par J.-C. Edjangué