Retraitée Belge, ancienne professeure au lycée technique de Donka, à Conakry, de 1964 à 1967. C’est aussi une amie que j’ai eue plaisir à retrouver, il y a quelques jours, fin septembre 2024, dans la capitale hexagonale, alors qu’elle était de passage à Paris. Elle a bien voulu m’accorder quelques minutes de son temps précieux pour évoquer la Guinée d’immédiate après l’indépendance, arrachée le 02 octobre 1958. Souvenirs, souvenirs…

Bonjour Sylviane, qu’est-ce que tu fais à Paris, rue des écoles, en cette fin du mois de septembre 2024 ? Serais-tu devenue parisienne ?

Non, je n’habite pas du tout Paris, j’habite toujours à Bruxelles. Je suis venue dire bonjour à mon filleul, Alexis, qui habite, lui, à Paris. En même temps, j’en profite pour prendre un peu d’air au quartier latin, rue des écoles.

Rue des écoles, à Paris, c’est là où la maison d’édition l’Harmattan dispose de plusieurs bâtiments. Son homonyme, en Guinée, occupe le quartier Kaloum, à Conakry, la capitale de la Guinée. Tu as une histoire fabuleuse avec la Guinée, puisque tu as travaillé à Conakry, il y a 60 ans, presque jour pour jour, comme enseignante. Veux-tu nous parler de cette expérience ?

Mon Dieu ! C’est vrai, ça fait déjà 60 ans. J’en suis très étonnée. Et comme il y a des averses à Paris aujourd’hui, je me rappelle que je suis arrivée à Conakry à la fin de la saison des pluies, en octobre 1964. La Guinée venait de prendre son indépendance, et le pays manquait d’enseignants, il fallait des professeurs francophones. J’avais justement la chance d’être francophone, mais Belge et non Française, ce qui arrangeait bien les affaires de la Guinée qui était en froid avec la France. À l’époque, je voulais absolument voyager, un peu comme tout le monde, j’avais l’intention de découvrir le monde, et même de le refaire. Je m’étais assignée comme mission de voyager, travailler, gagner ma vie, en même temps rendre service à la république de Guinée. C’est comme ça que j’avais pris contact avec les Affaires étrangères guinéennes à Bruxelles. À ce moment-là, des Guinéens venaient directement recruter des professeurs de lettres à Bruxelles. Moi, j’avais une régence littéraire qui me permettait d’enseigner la littérature, la langue française, l’histoire, aux élèves de 12 à 15 ans.

Alors, tu débarques à Conakry, en octobre 1964, dans quel établissement ?

« Faute de professeurs, j’ai enseigné immédiatement des élèves de ma génération, moi, j’avais 22 ans, eux en avaient jusqu’à 18 ans. »

J’ai débarqué à Conakry, au lycée technique de Donka. J’étais hébergée dans des appartements de l’établissement, non loin de mon lieu de travail. Je pense que ces appartements existent toujours. En Belgique, j’avais déjà eu des élèves de 15 à 18 ans. Le hasard a voulu que ce soit la même chose en Guinée. Faute de professeurs, j’ai enseigné immédiatement des élèves de ma génération, moi, j’avais 22 ans, eux en avaient jusqu’à 18 ans. Des classes nombreuses au départ, parfois jusqu’à cinquante élèves à la fois. A l’époque, le respect réciproque était la règle.

 J’imagine que tu trouves un climat social, politique et économique tendu, notamment avec la France ?

Effectivement, je crois que les Français étaient partis pratiquement tous de Guinée, sauf ceux qui voulaient faire leur vie dans le pays. Je pense que ça a été dramatique pour les Français, ils sont partis en colère. Ils ne s’attendaient pas du tout à ce que la Guinée dise non à la Communauté française. Le désarroi était tel qu’ils ont quitté la Guinée en claquant la porte. C’est aussi en ce moment-là qu’arrivent d’autres communautés francophones : de Belgique, d’Égypte, d’un peu partout. La Guinée devient une plaque tournante du monde entier. Je vais découvrir là-bas l’Union soviétique à travers des experts russes qui sont à Conakry, mais qui ne parlent pas français. Je vais du coup leur proposer des cours de français et recevoir d’eux, en contrepartie, de la nourriture, car il n’était pas toujours facile de trouver ce qu’on voulait manger. Et comme les Russes transportaient leur système à Conakry, ils avaient toujours de la nourriture. Des bateaux entiers de produits alimentaires, avec de la confiture, des œufs, du café, du lait sucré…, c’était extraordinaire. Il y avait aussi des Chinois, des Américains, des Libanais… Finalement, j’ai fait des études de science politique sur le tas, au contact de ces populations venues de divers pays, alors que je suis arrivée à Conakry complètement à politique, même si j’avais mes idées. Tous les jours, j’étais confrontée à des discours très politique, très idéologue. J’étais, moi-même, très idéologique. En Belgique, j’enseignais à l’époque Jean-Paul Sartre, André Malraux, Albert Camus… des écrivains très engagés. On avait une idée bien précise du monde nouveau qu’on voulait construire. Et donc, à mon arrivée en Guinée, je me suis dit que le pays venant d’acquérir son indépendance, il y aura certainement d’autres auteurs engagés, mais Africains. Finalement, c’était toujours le programme français, avec le baccalauréat, le bac blanc, en tout cas un certain temps. Les grands chamboulements sont arrivés bien plus tard.

À l’époque, il y a tout de même quelques écrivains Africains, notamment Guinéens, au programme des matières, qui commencent à avoir pignon sur rue ?

« La Guinée a inspiré de nombreux autres pays, elle en a même soutenu d’autres dans leurs aspirations indépendantistes »

Tout à fait. Camara Laye, Kéita Fodéba, Djibril Tamsir Niane, Alioum Fantouré… pour ne citer que ceux-là. J’ai essayé, à mon niveau, le plus possible, d’enseigner les auteurs qui avaient des idées progressistes, qui avaient une vue sur l’indépendance d’un pays qui tournait le dos à la colonisation, qui aspirait à prendre son destin entre ses mains. C’est un mouvement qui va prendre de plus en plus d’ampleur au fil du temps. Et la Guinée a été pionnière. Ce que j’ignorais complètement à l’époque. Je l’ai su et compris plus tard. La Guinée a inspiré de nombreux autres pays, elle en a même soutenu d’autres dans leurs aspirations indépendantistes. Nous avons d’ailleurs développé cette question lors du Colloque sur « Rencontres autour des indépendances africaines. Le rôle de la Guinée », en 2021, chez l’Harmattan, à Paris, que tu as merveilleusement bien coordonné. Avec à la clé, une sorte d’anthologie contenant le catalogue des interventions des experts, historiens, journalistes, diplomates, éditeurs, écrivains, retraités et responsables associatifs, venus des pays aussi divers que la Guinée-Bissau, le Cameroun, le Gabon, le Tchad, Djibouti, Guinée, Maroc, Sénégal… De même, un mélange des générations très différentes, entre jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, qui rendait ce colloque très intéressant aussi sur le plan sociologique.

Quel regard portes-tu sur les 66 ans d’indépendance de la Guinée ? As-tu pu te rendre depuis ton départ, en 1967, dans ce pays d’Afrique de l’Ouest ?

Non, je ne suis jamais retournée en Guinée. En 1967, au moment où je quitte la Guinée, c’est parce que mon père était malade, il fallait que je me retrouve à ses côtés. Je ne suis plus jamais retournée. J’ai gardé une image un peu idyllique de Conakry et de la Guinée. Je pense que j’ai toujours eu peur d’être confrontée à la réalité de ce qu’est le pays aujourd’hui. Je sais que Conakry est devenu une grande métropole. Par ailleurs, quand je suis rentrée à Bruxelles, je suis tombée malade. Je n’avais donc pas à l’esprit de revenir immédiatement à Conakry.

Je sais que tu ne fais pas de politique. Mais comment tu appréhendes la Guinée aujourd’hui, avec un gouvernement de Transition en place depuis le 5 septembre 2021 ?

« Pour moi, une Transition c’est une Transition. Il faut passer aux élections pour avoir un gouvernement civil, légitime ».
Je suis un peu perturbée. Pour moi, une Transition c’est une Transition. Il faut passer aux élections pour avoir un gouvernement civil, légitime. Cela va-t-il se faire en Guinée ? Je n’en sais rien. C’est très délicat.

Si tu as un dernier mot à dire par rapport à ton passage en Guinée, entre 1964 et 1967 ?

J’ai gardé un souvenir extraordinaire du pays. Si les hommes, à l’époque, avaient un service miliaire qui leur permettait d’aller à la rencontre et à la découverte du monde, ça n’était pas tout à fait le cas pour les femmes. Je me rends compte que j’étais pionnière par rapport à moi-même ; je suis la première de la lignée maternelle à faire des études, je travaille, je suis indépendante. En Guinée, j’ai découvert le monde entier, et toutes les formes de pensées politiques et sociales. La Guinée était un peu le centre du monde. Par conséquent, ça reste dans ma vie un moment tout à fait fondamental, qui est resté pour toujours. Finalement, je crois qu’on a tort de n’avoir pas conçu pour les filles, comme ce fut le cas pour les hommes, une année de service militaire, d’ouverture au monde. Sinon, on reste renfermé sur soi. Je regrette de n’avoir pu apprendre une des langues guinéennes, le malinké, le soussou ou le peul. Mon rêve a toujours été d’avoir un retour de mes anciens élèves, savoir ce qu’ils sont devenus. Car pour moi, ça reste un mystère.

Entretien mené par Jean-Célestin Edjangué à Paris

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