Par Styve Tchachuang, Président de l’Association des Entrepreneurs du Cameroun et Charlotte Libog, Promotrice de l’Initiative Afrique Grenier du Monde
À l’heure où les divers acteurs du secteur privé convergent vers des synergies collaboratives efficaces pour la nouvelle donne économique mondiale, ses enjeux et défis, il est capital voir incontournable de procéder à la restructuration structurelle du Patronat camerounais, pour un secteur privé plus apte et plus fort face aux diverses problématiques d’ordre national (agriculture, énergie, infrastructures), d’ordre panafricain à l’ère de la Zlecaf et enfin d’ordre international, l’Afrique étant aujourd’hui le poumon mondial en matière de création de richesses selon les plus grands experts économiques.
Actuellement, la fusion des deux premiers patronats nationaux (GICAM et E.CAM) fait couler de l’encre. Deux joutes électorales s’opposent : ceux qui soutiennent que le GICAM doit disparaitre au profit d’une centrale syndicale patronale plus forte d’une part et ceux qui proposent une refondation profonde de cette organisation patronale fondée il y a 66 ans d’autre part. Plusieurs experts de la question pensent que la dissolution du GICAM est une fuite en avant qui ne va pas pouvoir le débarrasser de ses scories actuelles. Ces derniers trouvent par contre l’idée de la refondation séduisante dans la mesure où elle va contribuer à rajeunir un GICAM à bout de souffle. Cet état de fait nous mobilise également et c’est pour cette raison qu’il nous a semblé opportun d’apporter notre pierre à l’édification de cette refondation en faisant quelques propositions concrètes et efficaces.
Intégrer pleinement la PME
La refondation annoncée doit avant toute chose contribuer à accorder une plus grande importance au secteur de la PME, majoritaire au niveau du paysage sectoriel au Cameroun. Notons qu’en 2023, le GICAM continue d’être perçu comme l’organisation patronale des multinationales étrangères et des grandes entreprises. Ce n’est pas étonnant que la grande majorité de ceux qui ont occupé le poste de président de ce patronat soit toujours issue de ces deux milieux. Olivier Behlé, patron des patrons entre 2008 et 2012, est l’exception qui confirme la règle. Ce vieux logiciel n’est malheureusement plus en phase avec la structure actuelle de l’économie camerounaise représentée à plus de 98 % par les PME.
Ainsi, il est important de rappeler que le Patronat, en sa qualité de représentant du Secteur privé, doit, dans le cadre de ses objectifs tant quantitatifs, non seulement défendre les intérêts des entreprises en général, mais également être un « levier » pour les PME/TPE. C’est dans ce sens qu’il est indispensable d’avoir un Patronat qui, tout en prenant en compte la réalité des grandes entreprises, consacre de l’énergie à s’adapter aux aspirations des TPE/PME, le tout dans une dynamique constructive en vue de l’émergence prônée. Afin de concrétiser une telle vision, une démarche adaptée et efficace prenant en compte l’ensemble des régions du Cameroun est de vigueur, car elle permettra de bâtir depuis l’arrière-pays vers les capitales, pour relever les défis prioritaires d’aujourd’hui.
Il faut toutefois reconnaitre que ce n’est pas une nouvelle idée au GICAM. La preuve, l’équipe actuelle a pensé à mettre en place un organe spécialisé pour accompagner les PME, le Centre de Développement de la PME (CDPME) en l’occurrence. Dans ses missions spécifiques, le CDPME est chargé de faciliter l’accès des PME à l’information, de leur faciliter l’accès aux financements, de les accompagner dans le montage de plans d’affaires, etc. Le bémol, c’est que malgré l’existence de cet organe, la voix des PME reste toujours inaudible dans les instances décisionnelles du GICAM. Il faut noter que le taux de syndication des PME au Cameroun représente à peine 1 %. Une refondation devra donc permettre aux PME de passer du statut de l’assistanat à une position d’influence. Par ricochet, cette évolution va sans doute encourager les PME à intégrer le GICAM.
Cet axe de la refondation n’est pas une réalité camerounaise, mais une orientation encouragée par les États dans le monde en général. L’exemple de la France illustre bien cet état des choses. En 2016, Pierre Gattaz, l’ancien président du Mouvement des entreprises de France (Medef) a lancé le rapprochement entre l’Association Française des Entreprises Privées (AFEP) et Pacte PME avec la bénédiction du président Emmanuel Macron. Avant ce rapprochement, l’AFEP qui regroupe les grandes entreprises du CAC 40 inscrites au Medef, régnait sans partage. C’est un train que le GICAM doit absolument emprunter pour ne pas devenir une organisation « has been » dans un monde moderne. Il faut donc lancer une réflexion rapide sur les conditions de cette évolution censée accorder une meilleure place aux PME au sein du GICAM.
Prioriser l’agro-industrie durable
Le projet de la refondation doit aussi s’atteler à promouvoir les secteurs phares oubliés par le patronat. C’est le cas de l’agro-industrie durable, secteur clé pour l’émergence de nos économies en Afrique et pour la résolution de l’équation de la donne alimentaire mondiale qui est de nourrir 9 milliards d’individus à l’horizon 2050. L’Afrique, et le Cameroun en particulier, propose de réelles solutions en la matière.
Notons également que le peu d’intérêt que le GICAM porte à ce secteur contraste avec la place qu’occupe l’agro-industrie dans la vision économique portée par les décideurs publics camerounais. La Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 (SND30), la boussole de cette vision pour l’actuelle décade, ne manque pas de souligner cet intérêt du Cameroun pour ce secteur. Dans cette décade, le Cameroun nourrit l’ambition d’assurer sa sécurité alimentaire et de conquérir les marchés des sous régions CEEAC et CEDEAO entre autres. « L’atteinte de cet objectif induit nécessairement la mise en conformité de la production agro-industrielle, la modernisation de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’aquaculture et la commercialisation sur le marché extérieur de la production agro-industrielle », comme le stipule la SND30.
Le GICAM ne peut donc rester en marge de ce profilage économique. C’est malheureusement ce qui est observé. L’arrivée d’Emmanuel de Tailly à la Vice-présidence du GICAM en 2017 aurait pourtant pu enclencher le processus vers une intégration et promotion de l’agro-industrie au GICAM. On est en droit de le penser parce que ce dernier a soutenu un pareil projet. Ses conseils auraient été précieux si le GICAM avait bien voulu regarder dans cette direction. Mais tout n’est pas perdu !
Promouvoir le leadership féminin
Nous croyons aussi que le chantier de refondation doit davantage densifier l’entrepreneuriat féminin. Le fait est qu’il faut aller au-delà de la Commission entrepreneuriat féminin du GICAM. Il faut un vrai « plan Marshall » pour capitaliser les qualités entrepreneuriales qu’on connait à la femme camerounaise et, qui, malheureusement, ne s’expriment qu’au niveau informel. Il existe certes un rapport récent du GICAM sur la représentativité des femmes dans le secteur privé, mais ce document reste peu connu et peine à convaincre.
Le chantier de la refondation doit donc lancer un véritable plaidoyer sur l’équité entre hommes et femmes en entreprise, consolider l’apport des femmes dans le secteur des PME et, pourquoi pas faire de cette ambition, une démarche transversale au sein du GICAM ; à l’instar du souhait initialement affiché par E.CAM au féminin au sein d’E.CAM, mais sans grands résultats concrets. Tout un programme qui, nous le pensons, contribuera à faire évoluer cette question.
Responsabiliser la jeunesse
En outre, il nous a aussi paru intéressant et bienvenu que le GICAM augmente la sphère de sa mission sociale au niveau des écoles et des campus. Il est question de former les jeunes à l’entrepreneuriat pour garantir la préparation d’une nouvelle génération de dirigeants d’entreprises. Une telle option avant-gardiste peut assurer une meilleure influence au patronat dans les années futures.
Le Cercle des jeunes dirigeants (CJD) du GICAM, qui a vu le jour cette année à Douala après une année de réflexion, est un bon début à cette volonté de préparer la jeunesse à la culture entrepreneuriale. Ce n’est pas étonnant qu’une telle initiative ait été portée par un des fervents « apôtres » de la refondation du patronat camerounais, en l’occurrence l’avocat d’affaires Jacques Jonathan Nyemb, membre du Conseil d’administration du GICAM. Le CJD est fondé sur le triptyque Rassembler-Former-Influencer. C’est surtout une école qui ambitionne de former une pépinière de jeunes managers et leaders camerounais en vue de préparer les champions nationaux de demain.
La refondation doit pouvoir transformer cet essai en passant des accords avec les institutions universitaires pour apporter aux jeunes qui souhaitent devenir des patrons la culture entrepreneuriale. Ce n’est pas tout, car la culture du monde de l’entreprise sans le soutien qu’il faut apporter à ces jeunes dans leurs projets entrepreneuriaux par le biais du mentoring, du coaching ou encore du tutorat ne saurait porter les fruits escomptés. L’alliage entre théorie et pratique est capable de faire croître des champions nationaux qui vont à coup sûr créer la richesse.
Mobiliser la diaspora
En tout état de cause, la dynamisation du CJD va contribuer à décloisonner l’action du GICAM. Cette entreprise de décloisonnement du patronat doit aussi concerner la diaspora. Pour le moment, c’est un champ en friche que la refondation doit pouvoir cultiver en mobilisant la diaspora, en nouant des partenariats avec des organisations patronales étrangères et en participant à l’élaboration des politiques et programmes économiques sur le Cameroun, en accentuant la collaboration entre le GICAM et les institutions financières internationales comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, sans oublier les partenaires institutionnels du gouvernement.
Tout d’abord, la mobilisation de la diaspora va encourager les nationaux installés à l’étranger à investir au pays afin de créer la richesse attendue. Une observation empirique donne à constater que la diaspora camerounaise recherche justement un point d’atterrissage pour investir au pays. Le GICAM se doit d’accompagner ces entrepreneurs qui ont du mal à s’installer au Cameroun.
Ensuite, le GICAM, comme on l’a mentionné, doit aussi multiplier des partenariats avec des organisations patronales étrangères afin d’exporter le label Made in Cameroon par le biais des voyages d’affaires, des participations aux foires et des joint-ventures. C’est aussi l’occasion d’améliorer ses pratiques managériales et son lobbying grâce au benchmarking dans ces différents pays.
Enfin, le partenariat institutionnel est, lui aussi, vital. La Commission des affaires internationales et relations avec la diaspora créée au GICAM se donne déjà pour mission « de développer et de consolider les relations de partenariats avec les autres organisations patronales, les associations professionnelles de la diaspora, les ambassades, les partenaires du développement, les institutions internationales, etc. Il s’agit notamment du FMI, de la Banque mondiale/SFI, du BIT, de l’Union européenne, de la BAD, BDEAC et des autres banques de développement régionales, de l’onusida, du Commonwealth, de la Francophonie, de l’UA, de l’ACDI (Agence canadienne pour le développement international), du Ticad (Japon), des Patronats nationaux, régionaux, continentaux (dont Business Africa) et internationaux (Organisation internationale des employeurs – OIE) africains, européens, asiatiques, américains, etc. »
Il est maintenant question de passer de la parole à l’acte. Tout un programme qui demande une véritable volonté politique que doit pouvoir garantir le chantier de la refondation.
In fine
La refondation est un processus normal dans la vie d’une organisation, qui plus est d’un patronat. En 2018, au moment pour Pierre Gattaz de passer la main, patrons, chroniqueurs économiques, experts en tous genres et officiels français relayaient la même affirmation : « Le Medef peut mourir ». Pour cause, la principale organisation patronale française connaissait un passage à vide due à une perte idéologique. Cette année-là, Geoffroy Roux de Bézieux reprend les rênes et inaugure une ère de réformes dans l’objectif de tout refonder. En 2023, les membres du Medef doivent à nouveau passer dans les urnes pour désigner le prochain patron des patrons dans une ambiance plus sereine. Le discours anxiogène de 2018 a cédé le pas à l’espoir grâce au chantier de refondation mené par Geoffroy Roux de Bézieux. Pour revenir au Cameroun, il faut aussi bien se demander si le GICAM va mourir. Certainement oui, si le débat sur une refondation salutaire n’est pas définitivement ouvert cette année. Nous lançons donc ici auprès de toutes les énergies du secteur privé un appel à une refonte structurelle favorable à l’émergence d’un Patronat et d’un Secteur privé résolument inclusif et réellement engagé auprès de l’État et de la Société civile pour les divers défis économiques et sociétaux de notre cher et beau Pays, le Cameroun, aussi bien à l’échelle nationale que panafricaine et internationale.