Ancien footballeur professionnel, ancien Lion Indomptable, Consultant, il parle de ses rencontres avec le co-fondateur de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), syndicat qui a permis de donner un cadre juridique aux membres de la corporation. Sans langue de bois, comme toujours, avec celui qu’on appelle affectueusement « Jo Bell », dans le milieu du ballon rond. Lisez plutôt !

Merci, Joseph Antoine Bell, pour votre disponibilité. Quel souvenir avez-vous de votre premier contact avec Eugène Njo Léa ?

Le premier souvenir du contact avec Eugène Njo Léa, c’est quand j’étais gamin. Ceux qui s’intéressaient au foot savaient qu’on avait quelques footballeurs africains et camerounais en Europe parmi lesquels Eugène Njo Léa. Or, la communication n’était pas celle d’aujourd’hui pour que les noms et exploits parviennent jusqu’au Cameroun. C’est donc dire que c’étaient d’authentiques exploits. Parlant d’Eugène Njo Léa, c’était quelqu’un de marquant, qui avait impacté le football français. Le premier contact physique, je pense, a plus de sens. Je crois l’avoir rencontré au siège du journal France Football, rue Poissonnière, à Paris. Il y avait deux ou trois journalistes avec lui, à l’époque. Je me souviens d’Ibrahim Soumaré, un journaliste africain qui travaillait en partenariat avec France Football, et de Max Urbini, un grand journaliste, ami d’Eugène Njo Léa. Njo Léa me recommanda au Directeur technique national français de football, Georges Boulogne, on était dans les années 1979-1980. Je suis allé voir ce monsieur, de la part d’Eugène Njo Léa. Il m’a reçu, car Eugène Njo Léa était respecté, écouté. Le DTN me demanda si j’avais vu les matchs du Championnat de France. Je lui répondis que « oui ». Il enchaîna : « Vous vous situez à quel niveau, jeune homme ? ». Je lui répondis : « Si je vous dis en première division, vous n’allez pas me croire. Mais si vous m’envoyez faire un essai en deuxième division, ça m’irait aussi très bien ». Je lus dans son regard interloqué qu’il devait se dire : « encore un prétentieux de Noir ! ». Il ne m’a jamais rappelé. La preuve que je ne m’étais pas trompé sur le regard qu’il portait sur moi. Avec le recul, je me suis dit qu’il n’y avait rien d’étonnant dans son comportement. Il n’y avait pas de Noir gardien de but en France, à cette époque. Tout le monde pensait qu’en Afrique, on jouait avec les singes comme gardiens de but. J’ai retrouvé ensuite Eugène Njo Léa, au Cameroun, en 1985-86, alors qu’il était porteur d’un projet de professionnalisation du football au Cameroun. À l’époque, le ministre Ibrahim Mbombo Njoya, avec qui Eugène s’entendait parfaitement bien, était aux Sports. Eugène organisait un tournoi de clubs professionnels à Douala et à Yaoundé. Moi, j’étais de passage au Cameroun. Je jouais déjà à Marseille. Il y avait Lille et un autre club français. Lors de la Conférence de presse à l’hôtel Mont-Fébé, à Yaoundé, que donnait Eugène Njo Léa pour le lancement du tournoi, il était ahuri de ce que les journalistes sportifs présents n’aient trouvé aucune question à poser au capitaine de l’Olympique de Marseille que j’étais. « Quel genre de journalistes êtes-vous ? Il faut qu’on vous commande des papiers ? Vous ne vous attendiez pas à ça, mais il est là. Vous n’avez rien à lui demander ? », s’interrogea Eugène, qui, visiblement, n’en revenait. Et ça montre combien il était en avance. Il y avait un décalage complet entre ce qu’il pensait, ce qu’il voulait pour le football au pays et en Afrique, et la réalité du terrain. C’était comme une chèvre qui regardait une pièce de monnaie. Ce n’était pas le même monde.

Comment avez-vous réagi à l’annonce du décès d’Eugène Njo Léa au Cameroun, en octobre 2006 ?

J’ai été bien malheureux avant son décès. Parce que Eugène était en avance sur son temps. Quand je devins footballeur professionnel en France, Eugène était connu partout. Il y a ses traces à l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels (UNFP). Chaque fois que je rencontrais un ancien grand joueur français, il me parlait d’Eugène Njo Léa. Quand j’ai rencontré Just Fontaine, il m’a parlé d’Eugène Njo Léa. De même quand j’ai rencontré, plus tard, Georges Bereta. Tous l’appelaient très affectueusement « Gegène ». C’était quelqu’un qui les avait tous marqués. J’avais pu mesurer l’impact qu’Eugène Njo Léa avait eu dans le football français. Jacques Thibert, le rédacteur en chef de France Football, qui était devenu un ami, me parlait d’Eugène Njo Léa. Mais, j’ai beaucoup souffert de ce que cette appréciation unanime ne se soit pas transposée sur le reste de sa vie. De telle sorte que la nouvelle de sa mort était encore plus cruelle.

 Que reste-t-il de l’héritage d’Eugène Njo Léa aujourd’hui ?

Ce genre d’héritage, souvent, ne se sent pas. Mais l’UNFP c’est son héritage. Les avancées sur les conditions des footballeurs, c’est l’héritage d’Eugène Njo Léa. Jean-Jacques Bertrand, l’avocat de l’UNFP, dont le père était Jacques Bertrand, ce sont ces gens-là qui ont travaillé pour que les conditions juridiques des footballeurs en général soient améliorées. Oui, les gens d’aujourd’hui vivent sur l’héritage des gens du passé. Nous portons les montres parce que quelqu’un a inventé l’heure et comment la mesure du temps devrait être comprise, il y a très longtemps. Son héritage est multiple. Ne serait-ce que parce qu’on a pu admettre qu’un footballeur pouvait être plus qu’un footballeur ? Il n’a pas que les pieds. Il a aussi une tête.

Extrait de l’interview réalisé pour le livre d’hommage à Eugène Njo Léa,

Par J.-C. Edjangué et Serges Ngounga

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