Ce jeudi, la grande bleue sera analysée sous toutes les coutures à Rabat, la capitale.

« C’était une journée très intéressante. Mais je regarde l’écran sur fond bleu, je ne peux m’empêcher de penser à tous ces jeunes africains engloutis dans cette mer ». Professeur Maga Keita, recteur de l’Université publique Général Lansana Conté Sonfonia, de Guinée, est membre de la forte délégation du pays de Camara Laye, qui participe à la 47ᵉ session de l’Académie du Royaume du Maroc, à Rabat. Son appréciation, à mi-chemin de ces assises intellectuelles dont la thématique générique « La Méditerranée comme horizon de pensée » continuera à nourrir la réflexion jusqu’au vendredi 27 mai, témoigne de la complexité du sujet d’analyse.

« Une mer coupable »

Et si Alfred Houlemou, journaliste vedette de la Radiotélévision nationale guinéenne(RTG), se félicite de la qualité des exposés et l’âpreté des échanges en ont suivi, le Docteur Oumar Sivory Doumbouya, Directeur de l’Enseignement supérieur de la Guinée et auteurs de plusieurs ouvrages, parle de la Méditerranée comme étant « une mer coupable ». Une expression qu’il lie, lui aussi, à l’image de tombeau marin que véhicule depuis plusieurs siècles un espace géographique qui reste pourtant aux yeux de nombreux observateurs la « Grande bleue ». Oumar Sivory justifie le bienfondé de son expression : « Si la méditerranée pouvait faire remonter, ressurgir des abysses tous les corps de nos sœurs et frères qu’elle a avalés, ne serait-ce que pour quelques minutes, l’humanité entière en serait édifiée ».

Cette réalité d’une mer très souvent agitée, en mouvement et donc potentiellement dangereuse, M. Edhem Eldem, Professeur au département d’histoire de l’Université de Boğaziçi, Istanbul, en Turquie, en a longuement parlé lors de son intervention sur « La Méditerranée vue de l’est : deux siècles d’une histoire mouvementée ». Depuis la vision des Romains sur cette mer « Mare internum », mer intérieure, « Mare Nostrum », notre mer, impliquant un rapport entre perception qu’ils en avaient et réalité de ce qu’elle était, jusqu’à l’espace moins bien connu aujourd’hui, en passant la conception turque « mer blanche », arabe « mer arabe » et l’espace de conquête territoriale selon les européens. Tout cela, faisait de la Méditerranée, un terme moins partagé, un espace revendiqué encore actuellement de manière agressive par la Turquie du président Erdogan. « La réalité méditerranéenne est dominée par des conflits en tous genres, ce qui veut dire que nous ne sommes pas sortis de l’auberge », conclu le Pr. Edhem Eldem.

« Un espace conflictuel »

De son côté, M. Lotfi Aïssa, Professeur d’Histoire culturelle à l’Université de Tunis, en Tunisie, a entretenu la salle sur « La Méditerranée dans les histoires générales Maghrébines. Approche comparative ». Ce qui lui a permis d’analyser les problématiques posées par la phase de l’histoire moderne de la méditerranée. « L’histoire occidentale, le mouvement colonial, font partie des représentations au niveau de la France, en Tunisie et au Maroc », a-t-il souligné d’emblée, montrant un continuum historique dans les perceptions entre la Tunisie et le Maroc. Il faut dire que la Revue spécialisée tunisienne, inaugurée en 1905 par un anglais, arrive au Maroc en 1913. Il y a donc eu un brassage entre la culture maghrébine et arabe. Le lien établi entre l’espace et le temps, au niveau de la méditerranée et l’influence ressentie de la culture française. Et s’il a reconnu que « La question de l’islam, est un mouvement qui dépasse la méditerranée », l’enseignant chercheur tunisien a insisté sur le fait que « Les travaux anglo-saxons montrent un destin commun entre l’Afrique, l’Europe et la méditerranée ». Reste le problème de l’insuffisance d’archivage des sources pouvant confirmer un manque d’intérêt réel pour la rechercher dans ce champ.

M. Mohammed Kenbib, Directeur de l’Institut Royal pour la Recherche sur l’Histoire du Maroc, Royaume du Maroc, analysa « La dimension marocaine du réseau portuaire méditerranéen. Approche historique ». Pour lui, « la méditerranée est le berceau de brillantes civilisations, depuis les Grecs, Romains jusqu’à la Mauritanie, l’Andalousie… », et en dépit de la signature des traités de régime de capitulation, exposant le littoral méditerranéen aux conquêtes.  Au 16ᵉ siècle, « la méditerranée devient une mer délaissée par l’histoire », selon l’expression Fernand Braudel. En juillet 1830, la conquête française de l’Algérie provoque la solidarité musulmane, qui se manifestera également lors de la guerre de Crimée. La revue des deux mondes évoque alors un Maroc fièrement dressé contre l’occident, mais la Guerre d’occupation de Tétouan (guerra africa pour l’Espagne), est une défaite du Maroc qui doit payer de lourdes indemnités aux espagnols. En 1920, le statut particulier de la Cité du Détroit n’empêche pas la méditerranée de rester une ère en mouvement.

« Écrire un nouveau récit narratif »

Mme Rahma Bourqia, marocaine, Membre de l’Académie du Royaume du Maroc, a ensuite édifié le public au sujet de « La Méditerranée et ses récits ». Elle a d’abord rappelé que « l’analyse de la méditerranée, comme espace de récits, est difficile. Il s’agit d’adopter une posture critique, mais constructive ». Elle a donc conclu que l’analyse est historique. « Les récits historiques ne disent plus seulement l’histoire, ils sont l’histoire. Le bleu azur de la mer méditerranée inspire le calme, contrastant avec le tumulte que cette mer a connu tout au long de l’histoire. La méditerranée est une machine à produire les récits », a-t-elle affirmé, avant d’en distinguer trois temps. « Première ère de l’histoire, avec Fernand Braudel, a révolutionné l’écriture de l’histoire (temps long, temps conjoncturel, temps économique). À travers « Les mémoires de la méditerranée », son ouvrage, il expose sa vision de la méditerranée. Pour lui, la méditerranée a accordé à l’Europe une mission civilisatrice. Ensuite, le temps du colonialisme. Récit de la suprématie de l’histoire, qui a accordé à la rive nord de mener une mission civilisatrice sur le Sud. Enfin, l’intégration de la méditerranée dans l’histoire du monde ». En guise de conclusion : « L’apport de la méditerranée à l’humanité, c’est qu’elle a créé plusieurs civilisations. Par ailleurs, un dialogue de recherche des historiens et anthropologues et autres chercheurs en sciences sociales et humaines des deux rives peut faire avancer le projet de ce nouveau récit. La méditerranée avec ses deux rives a besoin des passeurs culturels », a martelé Rahma Bourqia. Ce fut alors autour de M. Rafaâ Ben Achour, Professeur émérite à l’Université de Carthage, République tunisienne, d’aborder « Les limites de la pensée réformiste en occident musulman ». Il s’est appuyé sur La Tunisie, l’Algérie et le Maroc : trois pays de l’occident musulman. « La question de l’islam et de la modernité est devenue centrale dans le discours arabo-musulman et l’élite intellectuelle. Le terme réforme apparaît dans plusieurs sourates du Coran. La tendance traditionaliste et la tendance moderniste semblent inconciliables », a-t-il soutenu.

Enfin, M. Mohammed Noureddine Affaya, Professeur de l’enseignement supérieur à l’Université Mohammed V Rabat, Royaume du Maroc, a évoqué « La Méditerranée et l’imaginaire en acte », interrogeant le mythe de la méditerranée ainsi que les nouveaux récits. « Il semble que la métaphore de la page blanche est liée aux multiples échecs.

N’est-il pas temps de rompre avec la vision braudelienne ? », s’est-il demandé avant de répondre : « La métaphore de la méditerranée, conçue sur cette vision, va à l’encontre des réalités actuelles. La réinvention des récits sur la méditerranée se fait essentiellement par le bas. Ne serait-il pas opportun de mettre en lumière des élans de productions de nouveaux modes de partages ? », s’est-il interrogé. « Par la vision, les méditerranéens créent les images de savoirs, de bonheur, mais aussi de fractures, d’angoisses… Il s’agit de la mise en lumière des formes de captation de ces visuels. Si la création artistique traverse les frontières, les contours spatiaux de la méditerranée ne peuvent plus être marqués. Edouard Glissant ; Guy Debor. Le représenter et le faire (castoriadis Cornélius) ». In fine, le Pr. Mohammed Noureddine Affaya est convaincu que « La lingua fraca visual transcende les frontières imposées par les politiques. Le visuel et le numérique créent de nouvelles dynamiques de partage, mais également d’interactivité, de connectivité. Autant la méditerranée est complexe, autant les imaginaires se multiplient. « Le savoir de faire avec les différences »(Barbara Cassin) ». Clôturant cette deuxième journée, M. Sobhi Bouderbala, Professeur de l’enseignement supérieur à l’Université de Tunis, en Tunisie, a traité de « l’acculturation en Méditerranée d’après les premiers documents de l’Islam (VIIᵉ-IXᵉ siècle) ». L’empire islamique s’est construit essentiellement dans les pays de langues différentes. C’est à cette conclusion qu’il est parvenu au terme d’un exposé passionnant, bien qu’avec un sujet très technique.

La Méditerranée entre Écologie, tourisme, droit et coopération 

Ce jeudi, 26 mai, est une journée bien chargée à l’Académie du Royaume du Maroc où se poursuivent les travaux de la 47ᵉ session de cette auguste et vénérable institution. C’est « La dimension écologique et scientifique de la Méditerranée » qui ouvrira le ban de cette troisième séance dont la présidence sera assurée par le marocain Mohammed Kettani, Chancelier et membre de l’Académie du Royaume du Maroc. Son compatriote M. Driss Dahak, Membre de l’Académie du Royaume révèlera la relation entre « La Méditerranée et le droit » et M. Mohamed Ait-Kadi, Membre de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques, Royaume du Maroc, aura à cœur d’ouvrir une réflexion sur « L’eau des méditerranéens. De la rareté à la sécurité. L’exemple du Maroc » ; M. Ahmed El Hassani, Membre de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques, Royaume du Maroc, entretiendra l’assistance sur « Biodiversité et Géodiversité en région méditerranéenne » ; M. Mohamed Berriane, Membre de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques, Royaume du Maroc, évoquera « Le bassin méditerranéen et la transition touristique ». La quatrième séance épluchera « La dimension économique et sociale et les projets de développement méditerranéens » et sera présidée par le marocain Mohamed Kenbib, Directeur de l’Institut Royal pour la recherche sur l’histoire du Maroc. Son compatriote M. Fouad Brini, Président du Conseil de Surveillance de l’Agence Spéciale Tanger-Méditerranée, nous montrera « La Méditerranée, au centre des routes maritimes mondiales », alors que M. Iván Martín, Economiste, Senior Fellow du Policy Center for the New South, Royaume d’Espagne, aura un questionnement et un appel à contribution : « La Méditerranée existe-t-elle encore ? Réflexions sur la Méditerranée comme espace de coopération entre l’Europe et le pays arabes méditerranéens ». Pour sa part, M. Driss Guerraoui, Président de l’Université ouverte de Dakhla, Royaume du Maroc, invitera à « Penser la jeunesse de la Méditerranée dans un monde incertain, constats majeurs et pistes pour l’avenir » et M. Michel Peraldi, Anthropologue, Directeur de recherche émérite à l’IRIS, Institut de Recherche sur les Enjeux sociaux, CNRS/EHESS, Paris, République française, restituera ses « Réflexion autour d’une économie de bazar transméditerranéenne. Formes urbaines et sociales des échanges commerciaux informels dans l’espace euro-méditerranéen ».

Par Jean-Célestin Edjangué à Rabat

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