L’histoire de ce Camerounais d’origine, qui vit aujourd’hui aux Etats-Unis, après avoir survécu à toutes les formes de maltraitance jusqu’à l’esclavage, chez sa tante et son oncle en France, a ému la terre entière. Elle est consignée dans un livre émouvant et très inspirant, paru le 21 septembre 2019 sous le titre de « Les yeux du destin ». Dans cet entretien exclusif, il revient brièvement sur son passé d’enfant chosifié, traumatisé, qui a su trouver à l’intérieur de lui-même et auprès de quelques mains tendues, la force et les ressources insoupçonnées pour se reconstruire et devenir une personnalité multidimensionnelle, à la fois styliste-modéliste, producteur et auteur. Avec, en prime, des projets plein la tête.
Bonjour, vous pouvez vous présenter ?
Tout d’abord merci d’être venu jusqu’à moi pour cette interview. Je m’appelle Mason Ewing. J’ai eu 40 ans cette année, le 9 avril. Je suis née d’une Camerounaise bamiléké et d’un papa Américain. Mes deux parents sont décédés. Jusqu’à l’âge de 6 ans et demi je vivais à la Rue Pau, à Douala, dans le bonheur. Souvent, on me pose la question depuis que je suis en France, de savoir si tout ce qui m’est arrivé était déjà pareil au Cameroun… Je réponds que ce n’était pas du tout pareil au Cameroun. J’aurais préféré rester au Cameroun. Mais je pense que si je suis ici aujourd’hui, c’est parce que c’est mon destin.
J’étais très heureux là-bas. Heureux d’habiter avec ma mère, Marie, bien qu’elle soit partie trop tôt, heureux d’être avec mon arrière-grand-mère, Elise. Ces deux femmes m’ont apporté beaucoup du bonheur et c’est elles aussi qui m’ont sauvé. Je dis souvent que, après tout ce que j’ai vécu, heureusement que j’ai eu de l’amour avant cela. Les six premières années de ma vie ont été merveilleuses, remplies d’amour, de bonheur, de joie et de tendresse. Même si pendant huit ans j’ai vécu chez des bourreaux, Lucien et Jeannette Ekwalla, des personnes qui m’ont maltraité, qui m’ont battu, brûlé, séquestré, qui m’ont mis du piment dans les yeux, dans le sexe, qui m’ont fait subir des actes de barbarie, de torture, qui m’ont esclavagisé… Je devais tout faire chez eux, faire à manger, laver leur linge, parfois ma tante me réveillait le matin pour aller nettoyer tout l’immeuble, alors que j’avais seulement six ans. Tout ça, c’était des moment horribles. Mais au Cameroun, c’était des moments de pur bonheur.
Vous êtes très attaché à votre maman, Marie Elong. Que faisait-elle dans la vie ?
Ma mère était mannequin, styliste-modéliste. C’est quelqu’un qui aimait la mode. Et comme je le dis souvent, c’est un héritage qu’elle m’a laissé. Si j’en suis là, aujourd’hui, c’est grâce à elle. C’est grâce à elle que je fais de la mode. On le sait très bien, une maman c’est la personne la plus importante dans notre vie. J’ai beau être un homme, je sais que ma mère a toujours beaucoup compté pour moi et même si elle est partie depuis plus de 30 ans, je sais qu’elle sera toujours là. C’était quelqu’un de formidable. On m’a dit quand je suis allé au Cameroun, il y a quelques années, qu’elle aimait coudre les vêtements pour les enfants dont les parents n’avaient pas de moyen. C’était vraiment quelqu’un de merveilleux. C’est une femme qui était très belle. Malheureusement, ma grande-tante Jeannette Ekwalla l’a vendue pour de l’argent à un blanc Français qui voulait l’épouser. Or ma mère était alors enceinte de jumeaux et quand ma tante est venue la convaincre d’épouser cet homme, elle a posé une seule condition : qu’elle aille jusqu’au terme de sa grossesse puisqu’elle était déjà à sept mois. Mais ma tante a tout fait pour la faire avorter, en allant voir des charlatans au village qui lui ont administré des médicaments d’afin d’accélérer l’avortement. Les deux bébés, garçons, sont donc morts nés pendant que le ventre de ma mère s’infectait. Elle en est décédée quelques jours plus tard. Ils ont donc non seulement tué mes petits frères, mais aussi ma mère.
Vous quittez le Cameroun, 3 ans après la mort de votre mère, pour la France où vous vivez un vrai calvaire sur fond de maltraitance et d’esclavagisme de la part de votre oncle et votre tante. Comment avez-vous procédé pour réussir à vous reconstruire ?
Il y a d’abord quelque chose que je n’ai jamais perdu, c’est ma joie de vivre. Même pendant les moments les plus difficiles, je l’ai toujours gardée. Il y aussi toutes ces mains tendues, la reconnaissance des gens qui m’ont aidé et le respect de l’être humain. Parce que je me suis fait une promesse, celle de ressembler à ma mère toute ma vie et non à ma tante. En France, on a tendance à ne pas trop respecter les gens, oubliant que ce sont des êtres humains avec un cœur et une sensibilité. Et je pense que ce qui m’a beaucoup aidé à remonter la pente, c’est l’amour de mon entourage, de mes amis, toutes les célébrités qui m’ont soutenus comme mon parrain Olivier Lapidus qui a toujours cru en moi pour ce qui concerne la mode ; Emmanuel Petit, l’ancien footballeur international champion du monde 1998, Brigitte Bardot, sans oublier toutes les personnes qui se sont battues pour me trouver des investisseurs pour mes projets. Et ça n’a pas toujours été facile. J’ai été insulté, vilipendé, j’ai passé beaucoup de temps à porter plainte à la police pour essayer de faire respecter mes droits. Malheureusement, la police n’a pas toujours été de mon côté. Ce qui m’a poussé à faire une dépression en 2020. J’ai décidé d’être suivi par un psy, je me suis rendu compte qu’en France, quand tu as une couleur de peau noire, c’est très difficile de se faire entendre.
Vous êtes multi-casquettes(Styliste-modéliste, producteur, auteur…), vous embrassez divers domaines d’activités. Comment parvenez-vous à les concilier avec votre handicap de malvoyant ?
C’est une histoire très drôle. J’étais un bon élève, j’ai sauté une classe. De toute façon, avec mes bourreaux je n’avais pas de choix. Si j’amenais une mauvaise note à la maison, j’étais battu. J’ai fait ensuite des études de Kiné et je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi. En 2001, on avait voulu me faire entrer dans une école de mode S Mode. J’avais rencontré une dame du nom de Laurence, qui m’a expliqué qu’avec mon handicap, ce serait compliqué. Ils ont voulu m’envoyer dans une école à Marseille. Cette école était prête à s’adapter à mon handicap. Mais comme ça faisait 5 ans seulement que j’avais perdu la vue, il fallait déjà que j’accepte mon handicap. En plus il fallait tout quitter ici, en Seine et Marne où j’habitais, pour aller à Marseille. Je n’étais pas prêt. Mais j’ai toujours dessiné depuis ma toute petite enfance. C’est un héritage que m’a légué ma mère.
Vous êtes aussi producteur de bande dessinée. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de Baby Madison ?
On va dire que grâce au stylisme j’ai eu l’idée de lancer le concept de la première marque de vêtement au monde avec du braille, au nom de Madison color, le logo de la marque. Un bébé à la peau métissée aux yeux bleus. La particularité de ce bébé, c’est qu’il est porteur de message. Je veux que ce bébé représente le combat que j’ai mené, tout ce que j’ai subi comme actes racistes. Grâce à ce bébé, j’ai créé tout un univers. Toutes ces casquettes représentent chacune un don.
Depuis quelques années, vous vivez aux Etats-Unis, tout en ayant un point de chute dans l’hexagone. Comment ça se passe au pays de l’Oncle Sam?
Je ne peux que remercier les Américains. En fait, quand je suis allé aux Etats-Unis, en octobre 2011, je venais de faire un choc émotionnel consécutif à tout ce que j’avais vécu. Autant dire que je n’allais pas bien du tout. J’étais devenu diabétique, je passais mon temps à pleurer. Les Américains m’ont pris pour ce que je suis, un être humain. J’ai été bien accueilli, je peux même dire que l’Amérique m’a sauvé la vie. Les Américains m’ont accepté comme je suis, un être humain. Je ne voudrais pas dire du mal de la France, mais je suis obligé de reconnaître que ça n’a rien à voir avec la considération dont j’ai bénéficié aux Etats-Unis. De toutes les façons, je n’aime pas m’apitoyer sur mon sort. Il faut avancer. On s’en fout d’où l’on vient, de ce qu’on a vécu… C’est dans ce sens que j’ai constitué une équipe autour de moi, avec des gens qui aiment les autres, qui aiment la vie. C’est très important de s’intéresser aux gens, de ce qu’ils sont. Je prends le trains, le bus, l’avion, je parle aux gens.
C’est aussi ce qui vous a poussé à créer l’association SOS Madison international ?
Exactement. SOS Madison international a été créée en 2008, pour donner la chance aux enfants et personnes handicapées. Mais les activités n’ont démarré véritablement qu’il y a quelques années. Parce que les projets ça marche avec de l’argent. On a besoin d’investisseurs, de soutiens, de mécènes, pour nous aider à matérialiser ce que nous voulons construire. J’espère que ceux qui liront ou écouteront cette interview et qui peuvent nous aider, le feront.
Quelle relation avez-vous aujourd’hui avec le Cameroun, votre pays de naissance ?
J’aimerais avoir plus de relations avec le Cameroun. Quand je suis parti du Cameroun en 1989, j’y suis resté presque 30 ans sans y retourner. Après je suis retourné en 2017, puis en 2018. Malheureusement, je ne connais pas très bien mon pays de naissance, même si je suis fier d’être Camerounais, autant que d’être Américain, et que j’ai la nationalité peut-être française aujourd’hui. Je suis d’abord Camerounais, parce que c’est ma mère qui m’a mis au monde.
Quels sont vos autres projets à venir ?
J’ai des projets pour le Cameroun. La mode, le cinéma… Ils ne manquent pas. On veut ouvrir un bureau de Madison Channel à Kribi, grâce à Brigitte Boteteme, une Camerounaise qui a un terrain là-bas. Déjà, je voudrais que la marque Madison Color devienne une réalité. C’est un projet qui vise à rendre hommage à ma mère. Je suis en train de terminer le business plan, un teaser, un executive summary. Je veux que Baby Madison devienne le nouveau Mickey. Surtout, j’ai très envie de représenter mon continent, l’Afrique. Notre continent est trop mis en arrière. Je veux que les gens disent un jour que lui, c’est un africain et qu’il a réussi.
Entretien mené à Meaux par Jean-Célestin Edjangué