D’origine camerounaise, ce chef cuisinier, de 30 ans, que rien ne prédisposait à le devenir, officie au restaurant « Le Saumon », à Verneuil d’Avre et d’Iton, en Normandie. Il parle de sa passion pour la bonne cuisine, celle qui permet de bien manger, pas forcément cher, tout en préservant sa santé et l’environnement. Il se prépare à organiser l’acte 2 de la « cuisine éphémère », à Yaoundé, au Cameroun, en juin prochain. En attendant, il adresse un message à la jeunesse africaine. Étonnant !
Chef, bonjour. Vous voulez bien vous présenter et nous dire comment on devient chef, à 30 ans, d’une maison qui date de 1865, quand on est né à Yaoundé et qu’on a grandi au Cameroun ?
Bonjour M. Edjangué. Je m’appelle Cyril Biyong Gweha. Camerounais, né et qui a grandi à Yaoundé, la capitale. Je suis du Nyong-et-Kellé, du village Minka, dans le Centre. Les choses qui nous arrivent ne sont pas toujours calculées. C’est un concours de circonstances. . C’est mon parcours qui m’a conduit jusqu’ici. Il y a 10 ans, ma famille et moi débarquions en France, parce que mon papa est Pasteur. Et c’est par son métier, grâce à son travail, que nous sommes venus nous installer en France. J’ai d’abord fait des études, j’ai un bac D, puis un BTS au Cameroun, qui n’a pas abouti. Ensuite, je suis venu en France, où j’ai passé une licence en Comptabilité, puis un master. C’est en deuxième année de master que j’ai changé complètement de route, pour suivre une voie qui me parlait un peu plus. Je voulais d’abord être expert-comptable, c’est ce pourquoi je me formais à l’école. Mais dès que l’envie et la motivation n’allaient plus dans ce sens-là, je suis allé là où j’arrivais à me dépasser. Je me suis lancé en cuisine. Mais cela ne s’est pas fait sans difficultés. Le fait, d’abord, de vouloir intégrer un univers qui nous est totalement inconnu. Il y a le côté inconnu, mais aussi le côté ouverture. Le fait d’être un autodidacte, un Africain… ce n’est pas un handicap particulier, mais c’est une réalité. Ce qui fait qu’il faut croire et travailler un peu plus, sans pour autant le vivre comme une fatalité. Bien au contraire, il faut le prendre pour soi et se dire que c’est une opportunité qui se présente pour tout donner, sans regret. Il faut se dire qu’on a l’occasion de tout casser. Et comme à l’impossible nul n’est tenu… Surtout par un Camerounais.
Vous avez à peine 31 ans, originaire d’un continent qui est considéré comme le plus jeune au monde sur le plan démographique, mais le plus vieux au regard de l’histoire. Quel message avez-vous à l’adresse de la jeune camerounaise et africaine ?
Nous sommes puissants. N’ayons pas peur de revendiquer cette puissance. N’ayons pas soif de cette puissance pour repiquer ce qui a été fait dans l’histoire. Mais soyons fiers de qui nous sommes. Nous avons tout. La nature nous a tout donné. À nous d’en faire bon usage. N’accusons personne, faisons seulement.
Des projets pour les semaines et mois à venir ?
Je me déplace bientôt pour le Cameroun, pour le deuxième volet de ce que j’appelle le « Restaurant éphémère », à partir du 12 juin 2024. Chaque fois que je vais au Cameroun, j’essaie de laisser une trace. Cette trace grandit d’année en année. Je suis l’Ambassadeur d’une cuisine que je considère comme étant ancestrale. Et mon périple ne peut pas se limiter aux frontières de l’hexagone. Je ne peux pas parler du Cameroun, parler de l’Afrique, sans contribuer de manière concrète. Je continue d’aller là-bas, comme un pèlerin, pour prêcher, si je veux reprendre une terminologie qui rappelle le parcours professionnel de mon père. C’est un restaurant éphémère qui sera ouvert à Yaoundé pendant deux semaines, où je pourrais présenter, à tous les gens qui me suivent sur les réseaux sociaux, tous les plats que je prépare à partir des produits locaux. Une façon de valoriser ce que nous avons comme produits. Nous n’avons rien à envier dans ce domaine, mais nous nous connaissons mal. J’en ai souffert. Je croyais que j’étais Africain, parce que je suis né à Yaoundé et que j’ai un accent. Non ! je ne suis pas mieux que Jean-Philippe, qui vit en Normandie, qui sait d’où son. Grand-père était. Je suis avec lui tous les jours, même à Noël, sauf que moi, je ne connais même pas Noël. Même en ayant grandi aussi longtemps au Cameroun, on se rend compte que le déracinement est toujours présent, il est très sournois. Il faut donc faire très attention, sinon on échoue. Si on veut changer le monde, il faut d’abord se changer soi-même, comme disait Gandhi. Je cultive l’amour, la liberté et je pense que la nature est mère. Gweha, c’est le nom qui m’a été donné à la naissance. En langue Bassa, Gweha, qui veut dire « Amour ». Je me suis posé des questions sur ce nom, et j’ai décidé de l’accepter. Maintenant, il faut cultiver cela. Tout ce que je fais, la cuisine, les longs discours, les rencontres… C’est Gweha. Même si je m’appelle Cyril Biyong.
Entretien mené par Jean-Célestin Edjangué
à Verneuil d’Avre sur d’Iton(Normandie).