Président du parti Le Congrès pour le Peuple, il nous a accordé, au mois de juin dernier, un entretien exclusif qui garde toute sa pertinence dans le contexte de la célébration des 62 ans d’indépendance du Congo, ce 15 août 2022. En témoigne son regard sur l’état actuel du pays aux plans économique, politique, de la lutte contre la Covid, mais aussi en matière de fonctionnement de la justice ou encore de respect des droits humains et la nouvelle donne internationale imposée par la guerre Russo-Ukrainienne. Un tableau sans concession, mais argumenté. Lisez plutôt…

Quelle lecture faites-vous de la situation politique au Congo 62 ans après l’indépendance ?

Mon regard sur la situation politique actuelle dans mon pays, ma lecture de la vie politique de mon pays, me font dire que, malheureusement, que le Congo n’est qu’un artefact démocratique. On a l’impression d’un habillage. Même pas d’un habillage, le sentiment d’un habillage démocratique, mais qui en réalité n’en est pas. La preuve ? La Chambre devait être renouvelée en 2017. Il a fallu attendre 5 ans après. Circulez ! Il n’y a rien à voir. C’est normal, la vie continue.

Qu’est-ce que ça dit du fonctionnement des institutions au Congo ?

Ça veut dire surtout que le pouvoir décide ce qu’il veut selon son bon vouloir au détriment de l’intérêt général qui doit passer par un cadre constitutionnel établi par le même pouvoir. Le Congo étant un artéfact démocratique, que vouliez-vous que j’attende quelque chose de ces législatives dont on sait que les résultats sont connus d’avance ?

Pourtant, les jeunes congolais s’intéressent de plus en plus à la politique. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Il y a une particularité que j’ai observée. C’est l’engouement des jeunes à vouloir se lancer dans la politique. C’est une bonne chose. J’ai été aussi intrépide que ces jeunes de 20 ans, quand j’avais moi-même leur âge. Je me suis battu comme jeune militant politique pour apporter ma contribution. Mais ce n’est plus le même engagement. On a fait passer le message à la jeunesse, au travers des seuls référents qu’ils ont à la tête des structures étatiques, que seule par la politique, on peut réussir. Ce message nous prive de cadres de qualité qui vont prendre le relai pour construire ce pays. Si on avait suffisamment d’exemples de grands ingénieurs, pilotes, philosophes, cinéaste, médecins et que sais-je encore… la jeunesse aurait alors des modèles à suivre, elle prendrait le relai. Le seul exemple que cette jeunesse à dans le pays aujourd’hui, ce n’est pas l’expertise professionnelle pour laquelle je plaide, mais c’est plutôt le cirque politique auquel nous assistons. Quand vous explorez la vie politique des Congolais dans les réseaux sociaux, vous avez les larmes aux yeux. Vous avez des autorités politiques qui se livrent publiquement à l’incroyable. Moi, président, je n’irai pas danser publiquement, au mépris de la souffrance des populations, et distribuer des sommes en billets (faroter ndlr). C’est exclu. Quelle dignité ! Quelle éthique ! Quand l’exemple part d’en haut et se répercute en bas, tout le monde veut faire exactement pareil. Parce que c’est le seul exemple, le seul repère qu’ils aient. La plupart de ses dirigeants ont leurs enfants saisis du virus et qui veulent faire la même politique. Laquelle ? Faroter. Pour moi, pour le Congrès du Peuple et pour bon nombre de Congolais, ce système, c’est du passé. On peut le critiquer, ce plus ça la question. La question, c’est d’avoir l’audace de dire que nous voulons la décision politique pour changer. Ce n’est pas par les législatives qu’on changera les choses. C’est par la conscientisation des citoyennes et citoyens, c’est par la conscientisation des populations que nous arriverons à remettre un peu d’ambition patriotique dans le cœur des compatriotes. Et en cela, tous ceux qui se sentent de s’élever l’âme pour aider à la reconstruction nationale, ce message leur est adressé.

Parlons maintenant de l’actualité économico-sociale. Comment le médecin que vous êtes apprécie-t-il la gestion de la crise sanitaire du Covid-19 dans votre pays ?

La vie est politique, économique et socio-sanitaire. Avant de répondre à votre question, je me permets d’entrer de jeu de donner mon sentiment sur l’état actuel du Congo, un sentiment dual, binaire. Premièrement, j’éprouve une satisfaction, parce que le pays, la population congolaise, de par son travail, ses impôts, a fait de moi, de nous, des cadres prêts à apporter une plus-value à la construction du pays. En cela, je réitère mes remerciements et ma congratulation à l’ensemble des acteurs politiques, économiques et sociaux qui ont œuvré à ce que le pays puisse bénéficier de tant de cadres. Dans ce sens. Secondairement, j’ai un sentiment de colère de constater l’état de dénuement dans lequel cette population qui a tant travaillé pour produire tant de cadres est plongé. Un dénuement économique, social, moral et psychologique. Aujourd’hui, 62 ans après l’indépendance, on aurait pu estimer qu’on dépasserait ce que le colon nous a laissé. Malheureusement, nous avons construit un système de prédation nationale de chappe de plomb qui repose sur un trépied. La médiocrité au sommet avec une base où on retrouve la prévarication et la prédation. Et pour répondre au questionnement qui est votre, il faut dire que l’Afrique s’en sort plutôt bien par rapport aux prévisions de l’OMS. Mais, l’Afrique s’en sort-elle bien parce que les mesures prises étaient adaptées ou alors parce qu’elle a une chance qui repose sur sa structure démographique essentiellement jeune ? Cette pyramide des âges résiste beaucoup mieux aux maladies. Par ailleurs, il y a des pays qui ont eu le courage d’adapter les recommandations de l’OMS aux réalités locales. C’est le cas de Madagascar et d’autres pays. Dans d’autres pays, lorsqu’on parlait de distanciation sociale, les populations étaient répulsives. Surtout qu’il a fallu tester, isoler et traiter. Or dans nombre de pays africains, les systèmes de santé sont assez dégradés, c’est le cas dans mon pays, le Congo où les personnels de santé étaient souvent en contact direct avec les malades. Là, il y a en plus du manque de moyens, le manquez d’anticipation, de projection. Au Congo, les pouvoirs publics ont passé leur temps à récolter les dons de la part de l’establishment local pour montrer qu’ils soutiennent la politique en place, malheureusement, il y a des populations qui souffrent et qui meurent ; de la part des communautés qui ont une influence dans le commerce dans le pays, et d’autre part, il y a des citoyens qui veulent s’illustrer. On ne peut gérer une pandémie de cette ampleur en s’appuyant uniquement sur une politique de dons. Il faut une politique de résilience qui soit rapidement mise sur pied. Qu’il y ait un Comité de riposte, c’est une chose, mais les décisions doivent être politiques. Elles doivent protéger le citoyen vis-à-vis de la contagion, mais aussi au quotidien. Car il faut bien que les populations mangent. Il y a des pays qui ont pris des mesures pour que l’économique fonctionne, comme au Sénégal, au Bénin… Ces pays ont assisté leurs entreprises, ils ont pris des mesures pour aider des familles en leur apportant un chèque alimentaire. Dernier volet, c’est le long terme. La vaccination demande des moyens pour ne pas être à la merci de la communauté internationale. On a vu des vaccins refusés en Europe ou en occident et être reversés en Afrique. Cette petite musique explique en partie la résistance des populations. Au Congo, le programme assez ambitieux des pouvoirs publics qui voulaient vacciner  au moins 40% de la population pour un coût de 4 milliards. Qu’en est-il advenu ? Le programme a-t-il été audité ? Voilà des questions auxquelles nos compatriotes sont en droit d’attendre des réponses.

Puisque vous parlez de moyens et de volonté politique. Evoquons un autre sujet, international lui aussi, puisqu’il s’agit de la guerre Russo-Ukrainienne, me vient à l’esprit. Comment avec-vous analyser la démarche du président Macky Sall du Sénégal, alors président en exercice de l’Union africaine, qui a rendu visite au président Poutine, début juin dernier, pour réclamer la libération du blé dont la pénurie pourrait entrainer la famine en Afrique ?

C’est une question intéressante, très intéressante, parce qu’elle remet l’Afrique au centre de la géopolitique internationale. Cette guerre, comme la pandémie dont nous avons parlé précédemment, sont une chance pour l’Afrique. Une chance, parce que c’est dans des situations difficiles que l’homme doit faire son introspection, sur ses capacités à s’adapter. Au début de cette guerre, on a tout entendu concernant l’Afrique, notamment qu’elle va mourir de faim. Mais l’Afrique ne dépend pas essentiellement du blé. Elle a d’autres céréales comme la fécule de manioc, du maïs, du mil, du sorgho… c’est l’occasion de remettre en valeur, par des décisions politiques volontaires, ces céréales, quitte à en faire secondairement un atout à l’exportation. Puisque si l’homme Africain et les bêtes africaines peuvent s’en nourrir… À ce que je sache, le sang qui circule dans les artères d’un africain ou d’une vache africaine, c’est le même qui circulerait dans les artères de l’homme blanc ou chez une vache de l’Ariège. C’est donc une question de l’audace des pouvoirs publics africains pour dire ce qu’il faut faire de notre potentiel agricole. On veut se lancer dans une agriculture avec beaucoup d’intrants, une agriculture orientée vers l’exportation pendant que nos populations meurent de faim. Il faut donc radicalement changer de paradigme, investir sur l’agriculture vivrière, d’autant que nous avons besoin des sols arables qui n’ont besoin de rien pour que poussent un grain de maïs, de la laitue, un grain de mil, etc. La démarche du président Macky Sall, à l’invitation du président Poutine, fait partie des manœuvres dilatoires pour pousser l’Afrique à choisir un des deux camps. Mais cette guerre n’est pas la nôtre. Elle représente l’accouchement dystocique d’un nouveau monde depuis la Guerre froide. On y retrouve donc les anciens belligérants de la Guerre froide, c’est-à-dire les États-Unis avec le bloc de l’Organisation de l’Atlantique nord (OTAN) et la Russie qui a perdu le pacte de Varsovie, mais qui a gardé certains de ses anciens alliés. Lors du vote à l’Onu, sur les sanctions contre la Russie, la majorité des pays africains se sont abstenus. Pourquoi vouloir mettre la pression sur l’Afrique, l’obliger à choisir son camp ? Jamais on avait dit que les pays africains étaient des substituts des pays occidentaux. Nous sommes des États indépendants, souverains de nos décisions. Le président Ukrainien Zélansky s’est adressé quasiment à tous les parlements du monde, sauf l’Afrique. Comme pour dire que l’Afrique est particule négligeable dans la politique internationale. Nos chefs d’État, l’Union Africaine, doivent pouvoir se servir de ces éléments pour bâtir une politique cohérente. À l’époque, on parlait de non-alignement. Peut-être est-il de nouveau d’actualité… Je me souviens de la question d’un journaliste au défunt président Mandela, lui demandant s’il n’était plus judicieux pour lui d’arrêter de voir des gens comme Khadafi, Fidèle Castro, considérés comme des dictateurs. Le président Mandela, dans sa lucidité légendaire, avait répondu que vos amis ne sont pas nécessairement nos amis. C’est une erreur de votre conception politique. Quand j’étais en prison, les gens que vous citez, ce sont eux qui ont financé la libération de l’Afrique du Sud. Pendant ce temps, vos amis continuaient de pactiser avec le régime d’Apartheid.

Encore une question sur l’Afrique, dans ce contexte où un nouveau monde est en train de se mettre en place. Comment entrevoyez-vous l’avenir du continent dans ce monde en gestation, cette configuration géopolitique nouvelle ?

M. Edjangué, je vais être clair avec vous. L’Afrique des années 1960, celle qui gouverne aujourd’hui, est restée bloquée au milieu du gué. Mais l’Afrique du 21ᵉ siècle, avec cette poussée de nouvelles générations, des dirigeants ou plus exactement d’acteurs politiques qui arrivent, se tournent résolument vers l’avenir sans indexer personne. Car l’indexation n’amène à rien. Il faut tenir compte de ce que nous avons vécu pour construire un meilleur avenir. L’Afrique a toute sa place dans cette mondialisation douloureuse. Nous avons notre audace, nos réalités, nos cultures, notre identité. Nous avons inondé notre agriculture de semences Mosanto. Après, on nous dit qu’on va mourir de faim. Est-ce que ce n’est pas le moment de revoir notre politique et nos priorités agricoles ? C’est une réflexion que je lance. Il en va de l’avenir de l’Afrique et des Africains.

Mené par Jean-Célestin Edjangué à Aix-en-Provence

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