Après avoir été emprisonné de 1997 à 2014 au Cameroun, de manière arbitraire et en subissant des tortures, le Français d’origine camerounaise, libéré par la grâce du président Paul Biya, n’a pas dévié de son objectif : obtenir justice. Le vent du renouveau des relations de coopération entre Paris et Yaoundé, peut-il être une chance pour le règlement de cette affaire ? Il en va de l’intérêt de toutes les parties prenantes du dossier.
27 ans de combat pour la réhabilitation et l’indemnisation
Ingénieur financier français d’origine camerounaise, né le 14 juin 1964 à Yaoundé, il a été emprisonné pendant 17 ans, dont cinq à l’isolement, au Cameroun, de 1997 à 2014, libéré par la grâce du président Paul Biya. Le statut de prisonnier d’opinion lui a été reconnu par Amnesty International. Dix ans après avoir recouvré la liberté, Michel Thierry Atangana continue son long combat, avec en vue plusieurs objectifs. D’une part, faire reconnaître son innocence pour retrouver la plénitude de sa citoyenneté et laver son honneur ainsi que celui de sa famille, ensuite revêtir sa dignité en obtenant le règlement définitif de l’affaire à la fois sur le plan juridique et civil, ce qui suppose un règlement à l’amiable du contentieux y compris par l’application des décisions judiciaires reconnaissant les faits de détention arbitraire et de torture relevés les différentes enquêtes et confirmés par les juridictions compétentes. Surtout, les engagements pris par les parties prenantes du dossier, notamment au Cameroun, doivent être tenus dans un esprit d’apaisement qui pourrait réunir les conditions d’une nouvelle ère des relations de coopération entre le triangle national et l’hexagone, vision exprimée par le président Emmanuel Macron lors de sa dernière visite à Yaoundé, en juillet 2022. Dans cette optique, un émissaire de l’Elysée était en mission au Cameroun, il y a quelques semaines, pour donner un coup d’accélérateur devant contribuer à boucler l’affaire dans les meilleurs délais.
Dans cette enquête de plusieurs années que nous avons menée pour le compte du quotidien Le Messager, nous avons voulu faire le point de la situation depuis la libération de Michel Thierry Atangana, il y a 10 ans. Pourquoi l’affaire peine à être réglée ? Et si le nouveau contexte de la diplomatie française en Afrique et dans le monde, voulu par le président Macron, à l’Élysée, et la situation politique au Cameroun, avec des manœuvres et des jeux de positionnement pour l’après-Biya, étaient de nature accélérer l’aboutissement de cette affaire pour le moins ubuesque, ou alors à confirmer son enlisement.
Pour ce faire, nous avons consulté les documents les plus importants de l’affaire, depuis la libération de Michel Thierry Atangana, avant de solliciter un entretien avec son avocate, Me Stéphanie Legrand, puis lu son livre témoignage, paru en 2021 aux éditions Cherche midi.
Il en ressort de ce travail que tout est possible dans cette affaire où la victime se bat depuis… 27 ans maintenant pour faire triompher la justice face à l’arbitraire.
Un homme calme et déterminé face à la matérialité des faits
Quand nous le rencontrons à Paris, pour la première fois depuis sa libération, il y a dix ans, en 2014, l’homme est souriant, détendu, dégageant une sérénité surprenante à première vue. Il a même le visage lumineux, celui des saints hommes habités par la grâce de l’esprit, celle qui transcende la matière. Il faut lui adresser les premiers mots, savoir comment il va, pour comprendre à quel point son être intérieur est fort, combien il n’a rien perdu de son objectif, malgré 17 ans de vie, pris en « otage judiciaire », au Cameroun. Lui, Français d’origine camerounaise ! « Le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies – dans son avis n°38/2013 adopté le 4 avril 2014 – a indiqué que les conditions de détention de Michel Thierry Atangana étaient inhumaines, que sa détention était arbitraire et qu’elle relevait d’une succession de très graves violations des normes relatives au droit à un procès équitable où toutes les instances judiciaires mêlées à cette affaire avaient manqué d’impartialité », indique un communiqué de l’ACAT, publié deux ans après sa libération. Rappelant : « Michel Thierry Atangana a été arrêté le 12 mai 1997, sans mandat d’arrêt, puis condamné à deux reprises pour les mêmes faits de « détournement, tentative de détournement de deniers publics et trafic d’influence en coaction » à 15 puis 20 ans de prison, ce qui est contraire au principe internationalement reconnu de ne pas être jugé deux fois pour les mêmes faits ».
S’il est calme et déterminé, c’est que Michel Thierry Atangana sait que tout ou presque plaide désormais en sa faveur.
L’information judiciaire a permis d’établir clairement les faits de séquestration subie par Michel Thierry Atangana durant sa détention entre 1997 et 2014. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies, dont les enquêteurs lui ont rendu visite, a même conclu que « la détention de M. Atangana était dans son intégralité arbitraire ». Ce à quoi les autorités camerounaises n’ont apporté aucun démenti. Par ailleurs, c’est alors qu’il avait déjà été condamné pour « détournement de deniers publics » que les autorités camerounaises ont commencé l’enquête. Surtout, le groupe de travail interministériel mis en place par le président Paul Biya, en 2016, soit deux ans après la libération de M. Atangana, « pour établir des propositions concrètes de règlement de ces enjeux financiers » et qui a remis son rapport en 2017, a conclu que « Les sommes dues dans le cadre de la cessation du projet piloté par M. Atangana se montaient à titre principal à plus de 57 milliards de francs CFA et que ce dernier en était le bénéficiaire ». Ce qui revient à reconnaître que Michel Thierry Atangana n’a rien détourné, pire les sommes en question étaient à son préjudice.
Le cas Michel Thierry Atangana : une jurisprudence française
Sur le plan législatif, en France, un fait majeur s’est produit avec l’adoption d’une loi qui permet désormais à la justice française de s’appuyer sur les enquêtes internationales, concernant des ressortissants français, menées par des organisations, associations ou institutions, pour se prononcer sur le fond dans une affaire. Vous voulez bien nous expliquer ?
If savoir que le Groupe de travail des Nations unies a été créé au départ par la France. C’est une entité qui est une véritable juridiction malgré son nom de Groupe de travail, et qui rend ses avis après des enquêtes extrêmement poussées. La difficulté qui existait, c’est qu’il n’y avait pas de lien juridique entre le résultat de ces enquêtes et ce qui pouvait être évoqué ou utilisé dans des procédures ultérieures, notamment en France. Il y a un travail important qui a été effectué par le député Pierre-Alain Raphan, qui a porté une proposition de loi et finalement, c’est un amendement qui a été apporté à la dernière loi justice, dont la conséquence a été de modifier le Code de procédure pénale afin que les juridictions saisies dans les dossiers, notamment de détention arbitraire, puisse prévaloir devant le juge des travaux qui ont été effectués aussi bien par le Groupe de travail des Nations unies que par des ONGs, serve directement dans les procédures engagées en France. À ma connaissance, l’application de cette loi s’est faite pour la première fois avec l’affaire Michel Thierry Atangana. Et aujourd’hui, du fait de cet amendement qui est déjà entré en vigueur, ceux qui avaient des procédures devant l’ONU et qui vont avoir une décision rendue par le Groupe de travail peuvent directement les utiliser devant un juge pénal, de la Civi ou toute autre juridiction. Cela concerne essentiellement les Français victimes de détentions arbitraires à l’étranger. Il y avait un chaînon manquant dans l’histoire pour permettre à ces Français d’obtenir réparation sur le sol français.
Enquête menée par Jean-Célestin Edjangué