Avocate au barreau de Paris, conseil de M. Michel Thierry Atangana, ce Français d’origine camerounaise qui a été arrêté, en 1997, emprisonné de manière arbitraire, pendant 17 ans à Yaoundé, avant d’être gracié par le président Paul Biya, en 2014. Elle fait le point sur le dossier et parle des chances de son aboutissement à la lumière des derniers éléments et du contexte de la nouvelle donne de la coopération de la France avec l’Afrique, impulsée par le président français Emmanuel Macron. Sans langue de bois.
Me bonjour. Merci de recevoir Le Messager dans votre cabinet, boulevard Haussmann, dans ce somptueux 9ᵉ arrondissement de Paris. Vous êtes le Conseil de M. Michel Thierry Atangana, ce Français d’origine camerounaise qui a passé 17 ans de détention arbitraire à Yaoundé, au Cameroun, de 1997 à 2014, avant d’être libéré par la grâce du président Paul Biya. Avant de rentrer dans le vif du sujet. Comment va votre client, Michel Thierry Atangana ?
Monsieur Atangana, je pense va comme quelqu’un qui a été détenu de manière arbitraire pendant 17 ans à l’étranger. Il a donc évidemment une souffrance terrible. Aujourd’hui, il est très calme, sans rancœur, mais très déterminé, particulièrement soucieux de faire avancer les choses dans son dossier. Il fait preuve d’une grande résilience, mais qui n’est pas non plus dénuée d’une forme d’indignation. Ça va faire bientôt 10 ans qu’il a été libéré. Dix ans, c’est très long, c’est très difficile. Il n’a pas bénéficié de l’aide de l’État, il a simplement été entouré d’aides privées. Il faut maintenant que ce dossier trouve une issue.
On se souvient que lors de sa dernière visite au Cameroun, en juillet 2022, le président Emmanuel Macron s’était entretenu avec son homologue Paul Biya du règlement de ce dossier. Un an après, qu’est-ce qui bloque ? Qu’elle est la situation du dossier ?
La situation du dossier a plusieurs aspects. Il y a l’aspect judiciaire, l’aspect diplomatique. Sur le premier aspect, judiciaire, il y a eu des avancées extrêmement importantes depuis 2021, avec notamment une décision de la Cour d’appel de Paris, en date du 30 novembre 2021, qui, dans le cadre de l’instruction pénale, a reconnu que des faits de torture et de séquestration arbitraire avaient été commis à l’encontre de M. Michel Thierry Atangana, dans le prolongement des conclusions du Groupe du travail des Nations unies en 2013, renvoyant le juge d’instruction à reprendre l’instruction pour déterminer enfin les responsabilités encourues dans le cadre de ce dossier. Dans le cadre du dossier civil, il y a également eu une avancée grâce à un jugement qui a été rendu par la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions en janvier 2022. Ce jugement est définitif sur le principe, lui aussi a reconnu que Michel Thierry Atangana doit être indemnisé pour les souffrances qu’il avait endurées. Le montant de l’indemnisation n’est pas encore connu puisque la décision de 2022 a ordonné une expertise médicale qui est terminée aujourd’hui. On attend les conclusions de l’expertise et le jugement qui va s’ensuivre. Les différentes parties qui avaient jusque-là tout fait pour ralentir le dossier et empêcher l’aboutissement de la procédure n’ont pas fait appel du jugement. On peut donc penser que l’issue de l’indemnisation devrait aboutir dans les prochains mois.
Quant au volet diplomatique, la rencontre des deux chefs d’État, du Cameroun et de la France, l’été 2022, a permis ensuite à la cellule Afrique de l’Élysée avec Franck Paris et Nadège Chouar de déployer une activité intense ces derniers mois. Dans le prolongement de la visite à Yaoundé du président Macron, ils ont organisé la visite d’un émissaire qui a rencontré un certain nombre des parties prenantes au Cameroun. Du point de vue de l’Élysée, on promeut véritablement une sortie de ce dossier afin de restaurer les relations et de permettre le retour des entreprises françaises et internationales au Cameroun.
Quand vous évoquez « les différentes parties », vous faites bien allusion aux parties françaises ?
Je parle effectivement des parties françaises. Parce que aussi bien le fonds de garanties qui va devoir verser l’indemnité et le parquet, le Procureur de la république, ont été pendant longtemps dubitatifs, voire opposés aux intérêts de la victime. On a un changement d’attitude qui s’est amorcé en 2019 où maintenant, on sent que le parquet reconnaît le statut de victime de Michel Thierry Atangana et donc pousse plutôt dans le sens de l’avancement des procédures qui conduiront à la fois à l’indemnisation et à la détermination des personnes responsables, lesquelles peuvent être aussi bien au Cameroun qu’en France.
Pardonnez-moi, Me d’insister, pour éclairer ma lanterne et celle des personnes qui se posent les mêmes interrogations. Qu’est-ce qui a pu amener ce changement d’approche en 2019 ?
Je pense que c’est le résultat du travail fait par le juge d’instruction, qui a surmonté des obstacles qui lui étaient opposés sur l’immunité des juridictions étrangères, des États étrangers, qu’il ne fallait pas s’immiscer dans des décisions qui venaient d’une autorité publique étrangère. Le juge d’instruction est passé outre, d’ailleurs, encouragé en ce sens par la cour de cassation qui avait, elle aussi, rendu une décision. Et le juge d’instruction a considéré que la matérialité des faits, c’est-à-dire la séquestration arbitraire, l’arrestation et la détention arbitraire étaient avérées. Et que cela devait définitivement être admis.
On peut aussi remarquer que ce changement d’attitude s’inscrit dans un contexte du renouveau des relations entre l’Afrique et donc le Cameroun avec la France, vision impulsée par le président Macron dans la diplomatie internationale. C’est votre avis ?
Effectivement, je pense que le président Macron s’inscrit un peu en rupture avec ses prédécesseurs, il y a eu toutes les personnalités qui se sont succédé pendant la longue période de détention de M. Atangana et dont on peut considérer qu’elles ont été au mieux inactives, voire qu’elles ont fermé les yeux, ensuite, il y a eu le rôle qui doit être salué du président François Hollande qui est l’artisan de la libération. Maintenant, le président Macron a une approche qui est peut-être plus pragmatique, qui consiste à aborder les choses sous un angle économique et de vouloir que ce dossier cesse d’empoisonner les relations entre la France et le Cameroun et donc de trouver une sortie de crise.
Comment voyez-vous l’évolution des choses dans les prochaines semaines, les prochains mois ?
De notre côté, on a été assez loin dans les propositions qui ont été faites et relayées par l’émissaire envoyé par l’Élysée, il y a quelques mois, qui sont des propositions financières concrètes. Elles ne sortent pas d’un chapeau. Elles s’appuient sur les propres enquêtes qui ont été faites au Cameroun depuis une dizaine d’années, qui ont évalué le montant des créances et posé une base de règlement financier. Ensuite, c’est la manière de mettre en musique ce règlement financier. Ce qui a été proposé avec l’aval de l’Élysée, c’est un mécanisme par lequel il faudrait d’abord qu’il y ait un décret de réhabilitation, parce qu’il ne faut pas oublier que Miche Thierry Atangana, ressortissant français d’origine camerounaise, a été gracié, mais pas réhabilité. Il y a donc cette étape nécessaire de la réhabilitation pour qu’il puisse reprendre une vie normale en France. Ensuite, il y a l’évaluation des créances et la mise en place d’un mécanisme financier par lequel le Cameroun pourrait bénéficier de la garantie de la France pour lever des fonds sur les marchés financiers et s’acquitter, selon les modalités à préciser, du règlement de cette dette.
Vous regardez avec optimisme les chances d’aboutir dans ce dossier ?
Oui. Depuis cinq ans que je suis le dossier de Michel Atangana, je peux dire qu’il y a une longue période où rien n’a bougé. Je pense que depuis 2019, et plus encore 2021 et 2022, il y a des choses qui bougent, il y a la pression des procédures judiciaires qui avancent. Tout cela fait que tout le monde peut avoir intérêt à sortir par le haut avec un règlement à l’amiable.
Recueillir par Jean-Célestin EDJANGUE