J’ai peur, je n’imagine pas comment mes proches seront après cet appel. Je suis enceinte de 30 semaines et 5 jours… 7 mois et 2 semaines, ma fille va naître prématurément. Elle n’a même pas eu le temps de se retourner. J’espère qu’on ne me fera pas une césarienne. Je suis étonnée de comment je reste calme. On me conduit pour la dernière fois en salle de dilatation. Je n’ai encore vu personne. Mon papa m’appelle pour me rassurer qu’ils sont tous là et prient pour moi. Tout va bien se passer!!
Il est 1h et des poussières, je ne sais pas bien. Je reste là pendant plusieurs heures, je n’avais pas de contraction au début mais ça commence à arriver, c’est plus rapproché et plus douloureux. Je n’ai pas la force de crier. Je suis seule dans une chambre, je veux voir ma famille, je veux voir mon homme, mais personne d’autre ne peut rentrer dans cette pièce. Je prie de toutes mes forces pour que tout se passe bien. J’ai peur de la césarienne. Mon bébé est encore petit. Je prie, je prie fort, pour elle, pour moi.
L’équipe de garde passe me voir un peu avant 6h. Un médecin m’examine et me dit que c’est le moment, mon bébé est là, on sent ses fesses. Elle demande si “on donne la direction” Un autre médecin, plus âgé décide de “laisser évoluer”. — ça veut dire quoi tout ça ? — On ne va pas me faire de césarienne ? — Je peux sortir ce bébé en l’état ? Les fesses en bas ? — Je peux et je vais le faire. On me fait passer en salle d’accouchement.
Je laisse mes affaires dans la salle, un médecin appelle ma famille pour leur demander de venir les récupérer. Mention spéciale à ma maman qui a dû paniquer à ce moment-là. Pourquoi on lui demande de récupérer mes affaires, elle a sûrement pensé au pire. Maman, je te demande pardon, je ne veux jamais te faire souffrir, je suis en train de découvrir les douleurs de l’enfantement… merci maman, pour tout. Mais ce médecin lui a permis de rentrer discrètement dans la salle d’accouchement pour me voir quelques minutes, j’espère qu’elle est rassurée. Elle me donne de la force.
Je monte sur la table d’accouchement et c’est parti, je vais rencontrer mon amour de bébé. Je pense à tout, à tous, je n’ai plus peur. La sage-femme me dit qu’elle ne peut pas vraiment m’aider compte tenu du sens dans lequel bébé se trouve, de pousser autant que je peux. Cette sage-femme et l’étudiant de deuxième année qui l’assistait ont été parfaits et je leur en serai toujours reconnaissante. Je pousse de toute mes forces, en quelques minutes ma fille était là! Mon Dieu, qu’elle est magnifique.
Nous sommes lundi 14 novembre 2022, je suis maman !! Elle est née un peu avant 7h. Elle pleure, elle a une belle voix. Qu’est-ce que je l’aime ! C’est en fait le plus beau jour de toute ma vie. Je suis tellement fière de moi, et de ma fille. Je suis reconnaissante pour notre vie. Je suis maman !! J’ai hâte de voir tout le monde. Ma fille est rapidement emmenée à la crèche, elle est toute petite. Je n’ai jamais rien vu, fait, reçu de si beau. Je suis tellement reconnaissante.
Je suis par la suite transférée en salle de réveil. J’y passe quelques heures, et on m’envoie dans une chambre en hospitalisation. Je plane, je suis trop heureuse d’être maman. Je voudrais avoir ma fille à côté de moi, contre moi, mais je suis patiente. Elle va juste rester à la crèche quelques jours, elle est sous oxygène car ses poumons sont peu matures. Mais elle va bien.
Juste après mon accouchement, mon visage désenfle, les doigts également et mes pieds plusieurs jours après. Mon médecin traitant m’explique qu’il s’agissait d’une maladie placentaire et que lorsque le placenta sort, tout commence à se remettre en ordre. J’ai secrètement peur des séquelles de cette maladie.
Je vais voir mon bébé dès le soir de l’accouchement. Elle est dans une salle avec d’autres bébés prématurés. On ne peut pas la prendre. Seul son père et moi avons le droit de la voir. Il y a d’ailleurs trop de règles, trop de manques de respect dans cette crèche. Pour notre propre enfant, nous devons supplier, pour tout. J’ai rencontré quelques personnes (du corps médicale) assez sympathiques ; mais certains d’entre eux nous ont vraiment dégoutés. Une infirmière, elle-même enceinte, en particulier… J’aurai voulu l’envoyer se faire voir mais … elle s’occupait de ma fille (je n’en suis pas vraiment sûr que ces gens s’occupent des enfants).
Les parents sont découragés… dès le premier jour où je vais voir ma fille, et que je demande comment elle se porte, une infirmière me répond que ce sont des “enfants à problèmes” qu’il faut qu’on prie. C’est très plaisant et rassurant d’entendre cela.
Le mardi 15, je peux sortir de l’hôpital, je vais déjà mieux ; mais ma petite reste à la crèche donc chaque jour, son père et moi allons la voir. Elle ne peut téter d’elle-même alors je dois presser le lait et lui faire parvenir. Le lait ne sort pas les premiers jours, je m’inquiète. Je me bourre de bouille et d’eau chaude.
Mercredi 16, on se procure un tire-lait, cela m’aide beaucoup. ça sort timidement, mais ce mercredi, elle a suffisamment de lait, nous passons nos journées à l’hôpital pour la voir, et lui apporter son lait plusieurs fois dans la journée. C’est assez fatigant, mais nous sommes tellement heureux d’avoir cette petite. Je donnerai tout pour elle, il faut qu’elle rentre vite.
Jeudi 17, j’arrive à presser plus de lait que la veille, je suis fière. C’est la journée internationale de la prématurité aujourd’hui, je pense quelques secondes que c’est notre journée. Les enfants prématurés peuvent bien grandir et ne garder aucune séquelle de leur prématurité. La journée se passe comme la veille, mais je suis épuisée. Je pense que quelque chose ne va pas chez moi, je tousse grassement depuis le jour de l’accouchement mais je dois rester forte, jusqu’à ce que mon bébé rentre à la maison, je me reposerai un peu, plus tard.
Vendredi 18, je presse plus de 100 ml de lait le matin, ça sort maintenant en abondance. Quand j’apporte ça à la crèche, on me dit que ça tiendra jusqu’au soir car elle ne prend que quelques millilitres toutes les deux heures. Une infirmière me dit qu’il a été décidé qu’on «commence le smk» elle me demande d’acheter un kangourou et de revenir (sans aucunes autres explications) je ne pose pas non plus de questions, je comprends que je vais porter ma fille contre moi à l’aide du kangourou. Je suis heureuse à l’idée de porter mon petit ange même si je dois avouer que cette infirmière m’agace énormément, elle est condescendante.
Ce n’est que plus tard en faisant des recherches que je comprends la signification de smk (soins maternels en kangourou). Il s’agit de porter le nouveau-né peau à peau. Cela permet aux nouveaux nés prématurés de vite grandir, leur respiration se régularise et leur température se stabilise sans appareil. Donc cela fera que ma fille sera de plus en plus indépendante et nous pourrons rentrer. Je vais me procurer un kangourou et je reviens. La séance dure un peu plus d’une heure. Je suis ravie de l’avoir là, contre moi. Elle me touche, elle bouge, elle respire contre moi. Elle ouvre les yeux, elle dort…
Tout ce qu’elle fait me parait si beau, nous avons fait un beau bébé, elle est magnifique. Elle pleure à un moment et je peux à nouveau écouter sa voix depuis lundi. Je fais quelques photos, pour toute la famille qui est impatiente de la rencontrer. Je suis juste très heureuse. Je pourrai la prendre comme ça deux fois par jour. J’ai beaucoup d’espoir. Je vois quand même qu’elle est amaigrie – j’espère qu’on lui donne bien le lait que je lui apporte – j’espère qu’on s’occupe bien de mon bébé et de tous ces jolis petits bébés dans la pièce. Je reviens le soir pour la porter mais j’ai oublié le kangourou alors je lui tire le lait, je passe quelques minutes avec elle, son père ensuite et nous la laissons pour la nuit.
Samedi 19, je suis de retour avec mon kangourou pour la porter. Pendant 45 minutes, elle ne fait que pleurer, je suis désemparée, j’aimerais comprendre ce qui lui arrive… elle pleure beaucoup, elle et moi transpirons car il fait chaud dans cette pièce, mais c’est de cette chaleur dont elle a besoin. L’infirmière de garde me demande de la laisser et d’aller prendre l’air. Je sors de là et j’éclate en sanglots. J’espère juste qu’elle va bien. Je demande à l’infirmière qui me dit que ce n’est rien, elle était peut-être juste fatiguée de rester allongée, avant que je ne vienne (Qu’est-ce qu’elle me raconte là ?!). Une aide-soignante se moque pratiquement en me disant que nous les nouvelles mamans nous nous inquiétons trop. (Je ne peux pas la frapper, et lui répondre ne me fera aucun bien, j’ignore sa remarque). Mon chéri me rassure en me disant que c’est certainement bon signe. Au début on ne la voyait pas beaucoup bouger ni pleurer et aujourd’hui elle pleure donc elle grandit. Cette explication me semble la plus plausible, je vais garder ça.
Je rentre me reposer et reviens le soir. Pendant qu’elle passe un moment avec son père, je lui tire le lait. Lorsque son père quitte la pièce, je peux y aller pour la porter. Une infirmière lui fait des soins, elle ne m’adresse aucun mot. Je la regarde faire. Je lui demande comment se porte mon bébé, elle me répond juste «vous la voyez, elle est là» – Mon Dieu, je ne supporte plus ces gens qui ne disent rien sur les traitements et l’état de ma petite et qui de surcroît parlent mal. Je ne rentrerai pas dans les détails de ce que mon chéri a vécu dans ce service, on lui a même une fois dit qu’il n’était pas le père de l’enfant alors qu’il est là tous les jours et c’est lui qui paye les ordonnances qu’ils écrivent … on nous manque de respect chaque jour ici.
Après avoir passé une heure avec mon bébé contre moi, une heure pendant laquelle elle dormait profondément, je la pose et elle fait mine de vouloir pleurer, je lui dis que je reviendrai demain, elle ne doit pas pleurer. J’ai l’impression que sa couleur de peau change quand je la pose et je demande à (une des seules sympathiques) aide-soignante du service ce qui lui arrive. Elle m’explique que c’est normal avec la chaleur et que quelques minutes après ça passe. Je la regarde et me retire, j’ai hâte de revenir demain. J’aime beaucoup ces moments avec elle.
Dimanche 20, je suis chez mes parents, je suis prête à aller la voir et je suis en train de lui presser le lait quand mon papa demande à me parler.
Il me fait tout un discours sur le fait que bébé est à la crèche depuis 6 jours et que ça devient long. Elle est toujours sous oxygène, il s’inquiète pour sa petite fille. J’écoute d’une oreille, je sais que ma fille ira bien. Il poursuit en disant qu’elle ne veut peut-être pas rester avec nous. Je n’aime pas ce qu’il dit là, je parle à mon Dieu « Seigneur, peu importe les apparences, je sais qu’elle ira bien». Mon papa parle encore, je commence à me déconnecter quand j’entends …“elle est partie”.
Je pense que je deviens folle là. – Appelez-moi son papa, il faut que j’aille chercher ma fille. Je dois la sortir de cet endroit…
Je ne saurai vous raconter ce qui s’est passé plus tard car pour moi l’histoire s’est arrêtée là. Ma fille est partie. Depuis le début de ce récit, je parle d’elle comme mon ange. C’est littéralement ce qu’elle est. Je suis maman! Je suis maman d’un ange!
La pré-éclampsie m’a épargné, en me laissant juste avec une infection pulmonaire que je traite encore. Mais mon bébé n’est plus. Elle a fait un arrêt cardiaque, à 6 jours de vie. Mon cœur à moi est vide et je ne sais plus ce qui se passe autour de moi.
Les jours passent et je décide de parler, tôt, car il faut que je me relève, il faut que la vie continue. Je rends grâce à Dieu pour ma vie et je suis reconnaissante de tous les moments que j’ai pu avoir avec mon bébé désormais ange. Je ne parlerai pas de la douleur, elle est indescriptible… elle ne partira jamais.
Notre bébé aura fait notre bonheur pendant six jours. Nous avons un bébé ange. La vie a changé.
Par Monsoyi