D’origine camerounaise, il voulait monter sur les planches au théâtre. Promoteur du restaurant Rio Dos Camaraos, à Montreuil(93), il met en scène des spécialités gastronomiques africaines dans un cadre à la fois sympathique et originale, qui met en avant les saveurs des produits et la convivialité.

Vous êtes d’origine camerounaise, fondateur de Rio Dos Camaraos, ce restaurant africain ouvert à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, depuis bientôt 30 ans. Comment est née l’idée du projet ?

Je viens en France, dans les années 1980, pour faire des études de théâtre. Je me rends compte, qu’à l’époque, c’est très difficile de travailler dans le théâtre. Aujourd’hui, les mentalités ont évolué, de plus en plus de jeunes essaient de faire des choses dans ce domaine. Pour ma génération, c’était très compliqué. J’ai grandi avec un père qui avait l’habitude de cuisiner. Et ça peut paraître surprenant, pour les gens de ma génération, de dire que c’est mon père qui m’a initié à la cuisine. Mon père a été cuisinier chez les colons et c’est son patron Blanc qui l’a formé à être cuisinier. Donc quand je me rends compte que le théâtre ne peut pas marcher, je me dis qu’il y a une niche, je veux ouvrir un restaurant et faire travailler les autres, faire connaître la cuisine africaine. J’adorais cuisiner. Mais c’est un métier. Le premier cuisinier que j’embauche ne vient pas. Je le remplace au pied levé. Je suis entré dans ma cuisine, je n’en suis jamais sorti.

Pourquoi Rio Dos Camaraos ?

C’est la nostalgie de ma première éducation, parce que j’ai plusieurs éducations. Aujourd’hui, si j’avais un nom à donner à un restaurant, ce ne serait plus celui-là. Quand j’ai découvert toute l’histoire de mon continent et de mon pays, et que le nom Rio Dos Camaraos qui était une fantaisie des aventuriers portugais dont on en est fier aujourd’hui, ça ne me fait plus plaisir. Je veux que ça reste une histoire, mais il faudrait qu’on trouve une autre originalité, notre force africaine, qui est de notre zone de l’Afrique centrale. Non, je ne suis pas une crevette baptisée par un Portugais. Non ! Mais, ça n’engage que moi.

Quelle est la particularité gastronomique de rio Dos Camaraos ?

La particularité de ce lieu, c’est que je fais une cuisine qui prend sa source dans différentes régions d’Afrique. Je fais la cuisine d’Afrique centrale, je fais la cuisine d’Afrique de l’Ouest, celle de l’Afrique de l’Est, et même certains plats de Madagascar. J’ai découvert que dans toute l’Afrique, nous descendons de la vallée du Nil. Et quand je regarde dans les produits, nous mangeons pratiquement la même chose. Ce n’est pas parce qu’il y a une différence linguistique. Ça dépend de l’endroit où on se trouve, dans le désert ou dans la forêt. On trouve donc dans ma cuisine, le Ndolè, qui est un peu le plat typiquement camerounais, et que l’on retrouve au Nigéria, au Bénin, au Togo, en Côte d’Ivoire, mais préparé différemment qu’au Cameroun. J’ai aussi la grande courge, le Mbika ou Ngondo, qu’on appelle égoutie en Afrique de l’Ouest ou sésame au Togo. Mais l’emplacement Cameroun reste l’endroit où toutes les ethnies africaines se sont croisées.

Vous avez créé Rio Dos Camaraos, quand on voit comment votre fils s’est approprié l’outil gastronomique, on peut dire que le passage de témoin est réussi. Non ?

Moi, j’ai eu la chance de vivre une vraie transmission. Nos parents étaient plus préoccupés à conserver un certain nombre de valeurs que de courir après la modernité. La chance que j’ai avec mon fils, c’est qu’il a baigné dans la restauration et il l’a vraiment désiré. Il a grandi dedans et j’ai la chance qu’il est gourmand, ouvert à découvrir tous les produits. Il mange le gombo, il adore le ndolè, il fait même des cocktails à base de l’amertume du ndolè. Il s’amuse à faire des créations qui correspondent à sa génération. Je pense que chaque génération a un regard sur la cuisine, que ce soit la diaspora, l’urbanité ou la ruralité en Afrique. C’est la preuve que la cuisine est un art ouvert qui n’arrête pas d’évoluer avec les nouvelles générations.

Quel est votre sentiment sur la cuisine africaine aujourd’hui et comment l’envisagez-vous dans les années et décennies à venir ?

L’Afrique est la dernière cuisine qui n’a pas encore été complètement torturée dans tous les sens. Et comme je le dis dans l’un de mes livres, l’avenir de la cuisine se trouve dans les gestes primaires, originels, qu’on retrouve en Afrique. La cuisine a commencé en Afrique, que personne ne raconte les histoires, c’est là que l’être humain a commencé à manger. Elle est le berceau de l’humanité et le creuset des civilisations.

Entretien mené à Montreuil par J.-C. Edjangué

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