Homme politique et opérateur économique guinéen et ouest-africain, qui a bien connu les chefs d’État guinéens depuis Lansana Conté jusqu’à Alpha Condé, il est aussi un homme de culture, désigné Ambassadeur de Conakry, capitale africaine du livre et auteur d’un livre-entretien paru en décembre 2022 chez l’Harmattan-Guinée, un témoignage exception de l’acteur et observateur de plus d’un demi-siècle de vie quotidienne en Guinée. Nous l’avons rencontré dans la première quinzaine du mois de juin 2023 à Paris, dans le cadre de sa tournée européenne pour mieux faire connaître le projet dont il est missionné. Lisez plutôt…

Quel regard portez-vous sur votre vie aujourd’hui, vous qui êtes troisième d’une famille de 24 enfants dont les frères et sœurs ont fréquenté l’école du blanc alors que vous étiez à l’école coranique ?

C’est vrai que l’homme dans la vie ne peut pas avoir tout. Si j’ai intitulé le livre « L’homme et son destin, c’est parce que chacun a son destin. C’est le destin qui m’a amené là où je suis. Dieu en a décidé ainsi. Je connais beaucoup de gens qui ont fait la Sorbonne, de grandes études, mais beaucoup était sous ma couronne après (rire).

Puisque vous parlez des gens qui vous envieraient presque, je voudrais revenir sur cette anecdote à la fois sulfureuse et très intéressante, concernant le Secrétaire général à la présidence puis Ministre des Pêches, Monsieur Henri Foula, du temps du président Lansana Conté, à qui vous avez offert une BMW et qu’il s’en est vanté près du chef de l’État. Ce dernier prend son téléphone et vous dit « vous offrez des véhicules à mes ministres. Et, pas à moi ? ».

Oui, ça s’est passé ainsi. Ça m’a valu quelques inimitiés, une brouille momentanée avec le président Lansana Conté. C’est le Commandant Henri Foula, qui était Secrétaire général à la Présidence, puis devenu ministre des Pêches. Il avait la Mercedes officielle rouge. Sa femme voulait aller au marché, mais son mari refusait qu’elle prenne sa voiture officielle pour faire le marché. J’ai regardé la situation, je me suis dit que c’est un homme honnête et j’ai acheté une BMW et lui ai donné. Voilà comment ça s’est passé.

On voit bien, à travers cette histoire, que vous avez des connexions dans le monde politique. Comment êtes-vous arrivé dans la politique ? Qu’est-ce qui vous a amené à créer l’UDG ?

Vous savez, dans la vie, j’ai touché un peu de tout. J’ai travaillé à la cuisine, à l’usine, et j’en passe. J’ai dit que je veux goûter à la politique. Et j’ai un ami qui est venu un jour visiter mon ranch à Kindia. Une fois qu’il en a fait le tour, il m’a pris de côté et m’a averti en disant « Mon cher Sylla, si tu ne fais pas la politique, la politique va te faire un jour »(éclat de rire). Ça m’a poussé à beaucoup réfléchir, et finalement, ça m’a plutôt protégé. C’est dans ce contexte que j’ai créé l’UDG, qui est monté jusqu’à être deuxième parti politique dans l’hémicycle et moi devenant chef de file de l’opposition politique en Guinée. C’est beaucoup.

Surtout dans un pays où la contestation est quasi naturelle…

Oui, chez nous, les gens contestent tout. Même la réalité naturelle.(sourire).

Vous avez traversé plus d’un demi-siècle de la vie quotidienne guinéenne, à la fois comme observateur et acteur, je pense notamment aux évènements liés aux attaques venues de l’extérieur dans les années 2000. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Un ami qui était à la tête de l’État, avec qui j’entretenais de bonnes relations depuis 14 ans, sans que grand monde soit au courant. Il était au camp de Boké, la région minière. En 1970, il y a une guerre en Guinée-Bissau, et c’est cet ami-là qui était commandant d’État-Major là-bas. Il a tissé des liens avec mes parents. Il m’a demandé de l’aider, parce qu’il savait l’amour que nous avions pour notre pays. C’est donc par patriotisme que je me suis engagé à le faire. En plus, j’avais les moyens… Même du temps du Prophète, quand il a eu des personnes nanties qui l’ont aidé. Avec mon ami, et pour mon pays, j’ai financé tout.

Encore un mot sur la politique avant de passer à la culture. Vous avez connu le président Général Lansana Conté, le général Sékouba Konaté, Dadis Camara, le président Alpha Condé… Quel souvenir gardez-vous de chacun d’eux ?

Je peux effectivement parler du comportement de chacun. Le général Conté était un homme de parole, un homme serein qui aimait son pays. Il préférait rester vivre en Guinée plutôt que d’aller se pavaner à l’étranger. Et puis, il a accordé le multipartisme. Je pense que nous lui devons beaucoup. Dadis Camara était un jeune que je connaissais, qui m’appelait toujours papa. Sékouba était né en Basse-Guinée, il était donc plus proche de moi du fait de ses racines géographiques, il commandait la région militaire de Kindia. Le président Alpha Conté, je ne le connaissais pas avant son élection à la tête de l’État. Mais, il a commencé à se rapprocher de moi avec la nomination de Kouyaté comme Premier ministre. Ensuite, il m’a sollicité pour mobiliser lors de son deuxième mandat. Après, il est devenu Monsieur, je sais tout. Il n’écoutait plus personne. Je savais qu’il allait mal terminer. Je le dis dans le livre, qu’il n’avait pas beaucoup de choix pour sa fin. C’était soit une mort naturelle, soit un coup d’État. C’était inéluctable. Il n’écoutait plus ses conseillers, il s’est coupé de la majorité du peuple, il s’est isolé, s’est enfermé de manière ostentatoire dans un orgueil indescriptible. Alors, j’ai monté les gens pour le critiquer, lui montrer que l’État, c’est impersonnel.

Comment est née l’idée de ce livre entretien ?

Un moment donné, quand un homme a eu beaucoup de casquettes, qu’il a occupé différentes fonctions, souvent de hautes responsabilités, il faut rendre compte, transmettre l’expérience vécue comme un héritage aux nouvelles et jeunes générations.

On sent, après avoir lu ce livre qui est aussi un témoignage, et à vous entendre, que le virus de l’écriture et du témoignage vous a happé. Avez-vous l’intention de continuer cette aventure littéraire ?

Effectivement, il y a un autre livre qui est en préparation, une sorte de bilan économique. Partout où je suis passé, que ce soit la holding que j’ai fondée et aussi toutes les connaissances que j’ai eues dans le monde, les différents postes que j’ai occupés, j’ai été patron de la FOPAO, le patronat de toute l’Afrique de l’Ouest. Je dois rendre compte de ce que j’ai fait. Je dois donner la version officielle de mon action.

Quittons l’économie pour la culture. Encore qu’il existe une économie culturelle tout comme une culture économique. Vous êtes maintenant Ambassadeur de Conakry, capitale africaine du livre. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement et comment entendez-vous matérialiser cette charge ?

C’est ce cadre qui me permet d’effectuer ma tournée. Je reviens de la foire du livre de Madrid, et maintenant, je suis à Paris pour honorer plusieurs rendez-vous dans l’optique de mes responsabilités d’Ambassadeur de Conakry, capitale africaine du livre. C’est pour voir réellement ce qui se passe ailleurs. C’est sur ce principe de toujours prendre le meilleur de ce qui se fait ailleurs, de transférer le génie vu ailleurs chez moi, chez nous. Ce qu’on me demande de faire, c’est de rassembler tous les pays africains, pays frères, de sorte que le projet de Conakry, capitale africaine du livre, devienne une réalité. Comme Ouagadou pour le Fespaco et le cinéma, Bamako pour la photographie, le Dakar pour les Arts contemporains, Niamey pour la mode, Abidjan pour les arts de spectacle. Conakry veut avoir le livre comme marqueur d’identité culturelle. Le grand manager que je suis doit pouvoir y arriver. J’ai gagné et gardé des milliards pendant des années, sans le moindre problème.

Vous avez parlé de l’espace que vous avez aménagé à Kindia. Est-ce que vous avez l’intention d’y inviter les écrivains, organiser des résidences littéraires ?

Ça fait partie des projets à mettre sur pied. Une fois de retour en Guinée, on va réfléchir. Déjà, nous avons obtenu à Madrid que nous pouvons obtenir une sorte de pavillon Afrique, qui regroupera tous les écrivains africains qui voudront participer au salon de Madrid.

Et puis, vous avez un Commissaire général, en la personne de Sansy Kaba Diakité qui peut vous être utile de par son expérience en la matière…

Il est bien, M. Sansy Kaba. Je l’ai rencontré pour la première fois, il n’y a pas longtemps. Il y a trois ou cinq mois, j’étais allé voir un médecin en France, masqué du fait de la Covid. Je vois quelqu’un qui m’appelle « Monsieur Sylla patronat ? ». Je dis, c’est moi-même. Et je lui demande « comment vous connaissez mon nom ? ». Il me répond « Mais tout le monde vous connaît ! ». J’étais très surpris. C’est vraiment quelqu’un de bien, M. Sansy Kaba.

Si vous aviez un conseil à prodiguer aux jeunes générations ?

Je voudrais dire aux jeunes Guinéens, aux jeunes africains et à tous ceux qui vont lire le livre que pour avoir de l’argent, il faut souffrir. Il faut s’assumer, foncer, il faut anticiper, sur tout ce que l’on veut faire. Il faut oser pour réussir et être un homme qui respecte la parole donnée, qui tient ses engagements. Le prochain livre qui va sortir est une sorte de bilan de mon activité économique.

Merci Monsieur Mamadou Sylla Patronat pour votre disponibilité.

C’est moi qui vous remercie.

Mené à Paris par Jean-célestin Edjangué avec Ousmane

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *