Du 25 au 28 février 2008, une double contestation politique et socio-économique plongeait le triangle national dans des contestations menées essentiellement par des jeunes et qui ont été durement réprimées par des forces de l’ordre, faisant plusieurs dizaines de morts.

J’assurais la coordination du service société, dont j’étais chef, du quotidien indépendant Le Messager. Depuis plusieurs jours déjà, la tension était palpable à Douala, la cité rebelle et poumon économique du Cameroun, alimentée par le climat orageux créé par un contexte socio-économique et politique explosif. D’une part, la hausse vertigineuse du prix à la pompe du carburant et plus largement des produits de première nécessité, d’autre part, le projet de modification de la constitution permettant, s’il était adopté, au président de la République, Paul Biya, de se représenter à sa guise à la magistrature suprême du pays. Le régime de Yaoundé semblait peu préoccupé du mécontentement que soulèverait la modification constitutionnelle.

La génération Narcisse Jabéa

Du 25 au 28 février 2008, la jeunesse s’empare de la rue en s’appropriant « La constitution constipée », titre que venait de sortir Lapiro de Mbanga : « Au secours, venez nous délivrer, l’heure est grave. Les bandits en col blanc veulent braquer la Constitution de mon pays. Les fossoyeurs de la République veulent mettre le lion en cage. Les poussins veulent échapper aux serres de l’épervier. Le coq est harcelé et menacé d’une tentative de hold-up. En vérité, en vérité, je vous le dis, ils veulent Tcha Paplo en otage(…) ». De Ndokoti, Bépanda, Feu Rouge, Bessenguè, en passant par École publique de Deïdo, Akwa et Bonanjo, la ville de Douala est prise d’assaut par des milliers de jeunes manifestants. On y retrouve côte à côte, des collégiens, lycéens, étudiants, mais aussi des conducteurs de motos, taxis, des taximen et autres commerçants. Les forces de l’ordre ne sont jamais très loin. Comme le premier jour de la manifestation, le 25 février, au niveau de Lewatt hôtel, à Bessenguè, un Pick up de la gendarmerie nationale est passé à vive allure. Moins de trois secondes après, un adolescent, habillé d’une chemise veste blanche et d’un pantalon bleu, tombe face contre sol, à une vingtaine de mètres de moi. Le cratère laissé à la nuque indique qu’il a reçu une balle, tirée probablement à partir d’un silencieux. Nous sommes quatre à transporter son corps dans un pousse-pousse pour le conduire à la morgue de l’hôpital Laquintinie, quelques centaines de mètres en contrebas. Sur la poche droite de sa veste, j’aperçois son nom et prénom ainsi que celui de l’établissement qu’il fréquentait. Narcisse Jabéa était élève à l’Institut d’enseignement secondaire de Bonajinjè, à Deïdo. Il rentrait à la maison, l’établissement ayant jugé les abords trop insécurisés pour accueillir les élèves.

« Un volcan en sommeil »

Cette jeunesse revendicative attendait beaucoup la prise de parole du président de la République qui, au bout de trois jours, va s’adresser à la nation pour stigmatiser « Les apprentis sorciers qui ont envoyé les enfants se faire tuer dans la rue ». Les propos qui ont eu pour effet immédiat de conforter la répression menée par les forces de l’ordre.

L’enquête que j’ai réalisée avec le concours de l’ACAT Littoral, et qui a débouché sur la publication de « Cameroun, un volcan en sommeil » (l’Harmattan, Paris, 2010), a permis de révéler que plusieurs dizaines de personnes ont été tuées pendant ces trois jours d’émeutes, à Douala. Pourquoi une telle répression dans un pays démocratique ? Pourquoi justice n’a toujours pas été rendue aux familles de victimes ? Pourquoi les commerçants qui ont pour nombre d’entre eux tout perdu dans ce drame n’ont pas été dédommagés dans un État de droit ? Comment le pays peut-il espérer rassembler tous ses enfants, dans une même nation, sans pacifier les cœurs et apaiser les esprits ? 15 ans après les émeutes de février, bien des questions restent sans réponse. Et le Cameroun reste plus que jamais un volcan en sommeil.

Par Jean-Célestin Edjangué à Paris

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