Docteure en littérature française, éditrice, professeure de Lettres Modernes et passionnée par la pédagogie et les technologies éducatives, ancienne directrice des éditions Sembura, elle partage l’ambition d’Africamoude, la nouvelle maison d’édition qu’elle vient de lancer avec Dominique Nouiga, ses objectifs pour la promotion des talents littéraires en Afrique et dans le monde, sans oublier de s’arrêter sur ses toutes premières œuvres.

Dr Rabiaa Marhouch, merci pour votre disponibilité. Votre actualité est dense, puisque vous venez de créer la maison d’édition Africamoude, à Rabat, la capitale du Maroc, que vous inaugurez avec la parution d’un beau livre au titre très évocateur : « L’Afrique célèbre Zulu Mbaye ». Pourquoi célébrer Zulu Mbaye pour la première parution de cette maison d’édition ?

Notre maison d’édition panafricaine Africamoude vient en effet de publier un beau livre sur Zulu Mbaye, l’un des artistes les plus réputés et les plus talentueux du continent, amoureux de l’Afrique et également ouvert au reste du monde qu’il a longtemps sillonné. Il a promené sa haute silhouette et son légendaire bâton de pèlerin pour satisfaire sa propre culture générale et, surtout, pour ses nombreuses expositions. Le Sénégal et le Maroc le célèbrent actuellement en organisant une grande exposition à Dakar, au Musée Théodore Monod et à la galerie VEMA, du 27 octobre au 22 novembre 2023. J’étais au vernissage de cette grande exposition, à laquelle participe une soixantaine d’artistes africains, pour y présenter notre livre éponyme L’Afrique célèbre Zulu Mbaye. C’est le premier ouvrage publié par Africamoude et c’est la première fois qu’un livre est consacré à cet artiste qui fête ses 50 ans de carrière ! On ne peut pas espérer mieux pour lancer notre maison d’édition. Elle s’engage aussi, par ce genre d’ouvrage, dans la conservation de la mémoire artistique et littéraire des créateurs africains dont fait partie Zulu Mbaye. Les livres sont des documents précieux pour préserver, transmettre, valoriser et faire vivre durablement un patrimoine et une singularité artistiques, aujourd’hui et demain. Les entreprises de dénigrement, cherchant à occulter le rôle des Africains, ont prétendu que le continent des origines humaines n’a pas d’histoire, ce qui est bien sûr loufoque et infondé. Mais c’est aussi à nous, Africains, de mettre en valeur les acquis, à nous d’historiciser l’Afrique en affichant et en immortalisant les visages qui font sa renommée et son prestige, c’est-à-dire, des personnalités marquantes et créatives. Cette incarnation met en avant le génie africain, son savoir-faire, ses arts de vivre, sa beauté comme son intelligence. Le président camerounais Ahmadou Ahidjo résuma cette préoccupation par une formule : « Il y en a qui écrivent l’histoire avec des gommages et d’autres avec des visages ». Zulu Mbaye est un visage archétypal. Nul ne pourra gommer nos visages si nous leur accordons, nous-mêmes, la place qui leur revient dans la bibliothèque universelle. Zulu Mbaye est désormais dans cette bibliothèque avec L’Afrique célèbre Zulu Mbaye. D’autres personnalités, artistes et écrivains africains l’y rejoindront.

En quoi peut-on dire qu’Africamoude, par ses objectifs et son ambition, est une maison d’édition panafricaine ?

Le livre dont je viens de parler rassemble une soixantaine d’artistes africains de plusieurs pays et une vingtaine d’écrivains, d’universitaires et d’acteurs culturels autour de celui qu’on surnomme « Le Pharaon des arts visuels africains ». Je pense que c’est un bel exemple d’une publication panafricaine. Notre ligne éditoriale, nos collections qui portent des noms d’arbres africains (Flamboyant, Baobab, Fromager, Arganier…) et notre devise (L’Afrique est notre ancrage, l’universel est notre destination !) reflètent également cette ambition. C’est notre univers et nos symboles. Concrètement, Africamoude est la Maison commune ouverte aux manuscrits des créateurs du continent et de sa diaspora. Nous avons déjà dans notre catalogue le livre de l’un de nos écrivains les plus prolifiques, infatigable défenseur de l’imaginaire et du patrimoine littéraire et artistique africains, Eugène Ebodé. Son recueil de contes Le Grand-père Ouidi au Sahel qui vient de paraître dans la collection Dragonnier, est un texte rebondissant, drôle, à la fois moderne et ancré dans le riche terroir des contes et légendes du Sahel. D’autres belles plumes et belles découvertes arrivent. J’invite vos lecteurs à nous suivre sur notre site internet africamoudeedition.com. Notre ambition est également de rendre disponibles nos livres dans la majorité des pays francophones et de veiller à ce que les prix soient abordables pour le plus grand nombre.

Comment l’éditrice que vous êtes entend-elle œuvrer à accompagner le vaste mouvement que l’on observe, ces dernières années, en Afrique et auprès des diasporas africaines, de revendication d’un nouveau narratif du berceau de l’humanité construit par les Africaines et les afro-descendants eux-mêmes ?

Le rôle d’un éditeur est d’être à l’écoute des créateurs et des besoins du public, non seulement pour s’inscrire dans un mouvement, mais aussi pour offrir aux lecteurs des pistes, des outils et des éléments de réflexion et d’imagination. La crise d’imagination est responsable de beaucoup d’impasses aujourd’hui. L’édition est un espace offert aux créateurs pour nous ouvrir des horizons parfois insoupçonnables. C’est aussi cela le rôle des livres et de la lecture. J’ajoute que l’universel étant notre destination, nous sommes ouverts aux imaginaires venus d’un autre continent si le propos porte sur nos préoccupations et notre humanité commune. Nous sommes dans le même bateau, on le voit bien avec la crise climatique, et ce n’est qu’en avançant ensemble qu’on pourra trouver des solutions. Le rôle d’un éditeur n’est pas d’essentialiser, mais de magnifier. Écrivain de tous les pays, l’Afrique est votre berceau ! Il ne s’agit pas d’un slogan, mais d’un appel à une réelle fraternité de plume autour d’un continent central. Il en a assez de la marge dans laquelle on l’a cantonné au nom d’un leadership immoral et aujourd’hui légitimement contesté. 

Recueilli en ligne J.-C. Edjangué

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