Ce chef cuisinier, d’à peine 31 ans, d’origine camerounaise, officie au restaurant « Le Saumon », une maison qui date de 1865, à Verneuil d’Avre et d’Iton, en Normandie, comme de 7.300 habitants. Il parle de son parcours, sa passion pour la bonne cuisine, celle qui permet de bien manger, pas forcément cher, tout en préservant sa santé et l’environnement, de sa double culture camerounaise et française, sans oublier de lancer un message à l’adresse de ses conscrits, les jeunes. Rafraîchissant !
Chef, bonjour. Vous voulez bien vous présenter et nous dire comment on devient chef, à 30 ans, d’une maison qui date de 1865, quand on est né à Yaoundé et qu’on a grandi au Cameroun ?
« Bonjour M. Edjangué. Je m’appelle Cyril Biyong Gweha. Camerounais, né et grandi à Yaoundé. Je suis du Nyong-et-Kellé, du village Minka, dans le Centre ».
Les choses qui nous arrivent ne sont pas toujours calculées. C’est un concours de circonstances. . C’est mon parcours qui m’a conduit jusqu’ici. Il y a 10 ans, ma famille et moi débarquions en France, parce que mon papa est Pasteur. Et c’est par son métier, grâce à son travail, que nous sommes venus nous installer en France. J’ai d’abord fait des études, j’ai un bac D, puis un BTS au Cameroun, qui n’a pas abouti. Ensuite je suis venu en France, où j’ai passé une licence en Comptabilité, puis un master. C’est en deuxième année de master que j’ai changé complètement de route, pour suivre une voie qui me parlait un peu plus. Je voulais d’abord être expert-comptable, c’est ce pourquoi je me formais à l’école. Mais dès que l’envie et la motivation n’allaient plus dans ce sens-là, je suis allé là où j’arrivais à me dépasser. Je me suis lancé en cuisine.
Vous qui êtes fils de Pasteur, iriez-vous jusqu’à parler d’appel pour ce nouveau sacerdoce ? En d’autres termes, diriez-vous que Dieu vous a parlé et de quelle manière ?
Je ne mêle pas Dieu à toutes ces choses-là. Mais il y a certainement une sorte d’appel. Mais l’appel est plus profond que la Cuisine. La cuisine c’est la partie sociale, la vitrine de quelque chose qui se passe profondément en moi. Mais la cuisine est un billet, un outil, qui me permet d’exprime ce que je ressens. Mais lorsque je suis rendu compte que je passais beaucoup plus de temps en cuisine et que j’arrivais à ressentir des choses très profondes, je me suis dit qu’il fallait aller creuser de ce côte. C’est comme cela que d’années après années, j’ai laissé libre cours à ma façon de penser tout ce que j’avais à offrir. Je suis là où je suis. Et ce n’est que le début.
Comment vit-on le fait qu’à 30 ans, on se retrouve chef en France, quand on est originaire du Cameroun ?
Ça ne se vit pas mieux qu’autre chose. En réalité, ce qui m’apporte de la satisfaction, c’est d’être reconnaissant à la vie. Savoir d’où je viens, je garde les pieds sur terre. Je n’ai pas l’impression d’avoir accompli quelque chose de spécial, pour moi ce n’est qu’un cheminement. Il y a des gens qui font des choses beaucoup plus intéressante, y compris dans le domaine qui est le mien et la cause que je défends. Pour moi, c’est un parcours comme un autre. J’ai de la chance, parce que j’arrive à faire un métier qui me parle, un métier très demandant, mais beaucoup de gens ne peuvent pas en dire autant. Mais, il y a des métiers qui peuvent paraître moins difficile et que je ne pourrais pas exercer.
Comme la comptabilité ?
Effectivement, la comptabilité devenait de plus en plus difficile pour moi. Je n’arrivais pas à m’investir, or lorsqu’on s’investit dans quelque chose ou dans un projet, la difficulté devient relative.
En parcourant les réseaux sociaux où je vous ai découvert, on se rend compte que vous ne faites pas que cuisiner. Il y a vrai travail de recherche pour sublimer les produits. Qu’est-ce qui fait la particularité de votre cuisine ?
Je dirais, le narratif. Ce n’est pas un narratif que je détiens seul. C’est un narratif qui appartient à une communauté. Je suis détenteur d’un patrimoine extrêmement riche que j’ai à cœur de découvrir. Je véhicule un message qui m’a été transmis non pas par une voix divine ou céleste mais parce que j’ai choisi aussi, en quelque sorte, de vivre de manière consciente, cette partie de ma vie, qui m’a été offerte. C’est pourquoi je parle de chemin. Il y a des questions auxquelles je n’ai pas de réponse, pour l’instant. Je me considère comme un instrument.
Quelles genres de difficultés particulières avez-vous rencontré dans l’exercice de votre métier dans un pays qui n’est pas votre pays d’origine ?
Le fait d’abord, de vouloir intégrer un univers qui nous est totalement inconnu. Il y a le côté inconnu, mais aussi le côté ouverture. Le fait d’être un autodidacte, un Africain… ce n’est pas un handicap particulier, mais c’est une réalité. Ce qui fait qu’il faut croire et travailler un peu plus, sans pour autant le vivre comme une fatalité. Bien au contraire, il faut le prendre pour soi et se dire que c’est une opportunité qui se présente pour tout donner, sans regret. Il faut se dire qu’on a l’occasion de tout casser. Et comme à l’impossible nul n’est tenu…Surtout par un Camerounais.
La cuisine, en général, et la gastronomie, en particulier, est considérée un peu partout dans le monde, comme un support de rapprochement entre les peuples et les nations. Qu’est-ce vous pourrez faire pour rapprocher encore plus le Cameroun, votre pays de naissance, et la France, celui d’accueil ?
Je pense qu’il faut cultiver les différences. Je ne comprenais pas avant, cette phrase. Je me rends compte aujourd’hui, que le lien se créé, si on sait qui on est réellement. Il ne faut pas chercher à se diluer dans un système, il faut rester soi-même, même si on est dans un système. On parle d’un hybride, qui implique au moins deux entités. Il faut que chacune des entités soient entières, et non que l’une des entités soit fondue dans l’autre. J’ai à cœur de penser que c’est ce qui nous oppose qui nous uni, c’est en cultivant notre africanité qu’on pourra créer du lien, en cultivant la différence qu’on peut rapprocher les deux parties.
Il y a une autre notion qui transparaît dans votre philosophie, c’est la transmission. Vous semblez préoccuper par l’idée de transmettre aux jeunes générations. Vous êtes pourtant si jeune … Pourquoi cette obsession ?
Parce que c’est notre histoire. Nous devons la raconter nous-mêmes. C’est une course de relais, qui est calquée sur l’âge. La transmission est le socle même de la société. Nous sommes ce que nous sommes, parce que d’autres ont été. Lorsqu’on en prend conscience, tôt ou tard, on a le devoir de ne pas briser cette chaine. La nature, elle-même, fonctionne ainsi. Elle nous a donnés, on l’a trouvé. Nous devons préparer les gens qui arrivent, à trouver un endroit hyper fertile. C’est cette valeur que je cultive dans la vie de tous les jours, dans ma cuisine, dans mes rencontres. Je considère que nos parents ont échoué, non pas parce qu’ils ont choisi ou ils ont mal fait. Non ! Ils ont fait avec les armes qui étaient les leurs. Ma génération a d’autres armes. La communication, l’audace, le courage. C’est parce que nous savons où ils sont tombés, pourquoi et comment, que nous avons le devoirs de ne pas passer par les mêmes travers. Je ne suis pas en train d’indexer. Il faut se sentir concerner par cela.je rêve que mon pays puisse proposer des choses qui peuvent rendre aussi heureux que ce que je vis ici. Je me sens totalement concerner par ce qui se passe en Afrique. Parce que mon enveloppe corporelle est en France, mais l’esprit est au Cameroun.
Vous avez à peine 31 ans, originaire d’un continent qui est considéré comme le plus jeune au monde sur le plan démographique, mais le plus vieux au regard de l’histoire. Quel message avez-vous à l’adresse de la jeune camerounaise et africaine ?
Nous sommes puissants. N’ayons pas peur de revendiquer cette puissance. N’ayons pas soif de cette puissance pour repiquer ce qui a été fait dans l’histoire. Mais soyons fiers de qui nous sommes. Nous avons tout. La nature nous a tout donnés. A nous d’en faire bon usage. N’accusons personne, faisons seulement.
Des projets pour les semaines et mois à venir ?
Je me déplace bientôt pour le Cameroun, pour le deuxième volet de ce que j’appelle le « Restaurant éphémère », à partir du 12 juin 2024. Chaque fois que je vais au Cameroun, j’essaie de laisser une trace. Cette trace grandit d’année en année. Je suis l’Ambassadeur d’une cuisine que je considère comme étant ancestrale. Et mon périple ne peut pas se limiter aux frontières de l’hexagone. Je ne peux pas parler du Cameroun, parler de l’Afrique, sans contribuer de manière concrète. Je continue d’aller là-bas, comme un pèlerin, pour prêcher, si je veux reprendre une terminologie qui rappelle le parcours professionnel de mon père. C’est un restaurant éphémère qui sera ouvert à Yaoundé pendant deux semaines, où je pourrais présenter, à tous les gens qui me suivent sur les réseaux sociaux, tous les plats que je prépare à partir des produits locaux. Une façon de valoriser ce que nous avons comme produits. Nous n’avons rien à envier dans ce domaine, mais nous nous connaissons mal. J’en ai souffert. Je croyais que j’étais Africain, parce que je suis né à Yaoundé et que j’ai un accent. Non ! je ne suis pas mieux que Jean-Philippe, qui vit en Normandie, qui sait d’où son. Grand-père était. Je suis avec lui tous les jours, même à Noël, sauf que moi, je ne connais même pas Noël. Même en ayant grandi aussi longtemps au Cameroun, on se rend compte que le déracinement est toujours présent, il est très sournois. Il faut donc faire très attention, sinon on échoue. Si on veut changer le monde, il faut d’abord se changer soi-même, comme disait Ghandi.
Un dernier mot ?
Je cultive l’amour, la liberté et je pense que la nature est mère. Gweha, c’est le nom qui m’a été donné à la naissance. En langue Bassa, Gweha, qui veut dire « Amour ». Je me suis posé des questions sur ce nom, et j’ai décidé de l’accepter. Maintenant, il faut cultiver cela. Tout ce que je fais, la cuisine, les longs discours, les rencontres…c’est Gweha. Même si je m’appelle Cyril Biyong.
Merci Cyril, ne changer, rien, garder Gweha, sans oublier Biyong, les deux vont si bien ensemble…
Merci à vous M. Edjangué, d’être venu jusqu’à moi. C’était un réel plaisir.
Entretien mené par Jean-Célestin Edjangué
à Verneuil d’Avre sur d’Iton(Normandie).