Ancien militaire devenu journaliste puis enseignant, responsable d’établissement, aujourd’hui docteur en sciences de l’éducation et de la formation, chercheur associé au sein du Wapi, une structure implantée au CNAM, Centre national des Arts et Métiers. Daher Ahmed Farah est également acteur politique, a milité longtemps au sein du PRD devenu MRD, dont il était un des membres fondateurs, avant d’en devenir le président. Le MRD est le principal parti d’opposition au pouvoir du président Ismail Omar Guelleh de Djibouti. C’est donc un invité à plusieurs casquettes, capable de parler non seulement de Djibouti, mais aussi des problématiques du monde entier, notamment les questions de géostratégie et géopolitique internationale.

L’actualité au Moyen-Orient, marquée par la crise entre Israël et la Palestine, suite aux massacres perpétrés par le Hamas et la réaction non moins violente des forces armées israéliennes. Avec lui, nous ferons aussi le tour d’horizon de la vie quotidienne en Afrique, notamment dans la Corne du continent, la présidentielle 2026 à Djibouti, et l’avenir de l’Afrique dans un monde nouveau en gestation. Cet entretien réalisé dans le cadre de l’émission « Œil du continent », est une co-production de NewsAfrica24 et La Voix de Djibouti. Décapant !

La Voix de Djibouti : Bonsoir, chers auditeurs, chères auditrices, chers téléspectateurs, chères téléspectatrices, soyez les bienvenus sur la Voix de Djibouti et sur NewsAfrica24. C’est une chaîne d’information continue en ligne qui a pour vocation de rapprocher l’Afrique et ses diasporas. Vous avez compris, ce soir, nous sommes dans l’émission « Œil du continent ». Nous avons un invité qui est Dr Daher Ahmed Farah. Soyez le bienvenue Daher et merci d’avoir accepté notre invitation.

Dr Daher Ahmed Farah: Merci Mahamoud. Merci Jean Célestin. Je suis donc à votre disposition, si j’ose dire.

La voix de Djibouti (LVD): Merci et vous allez être interrogé par Jean Célestin Edjangué pour NewsAfrica24 et par moi-même (Mahamoud Djama) pour La Voix de Djibouti. Bienvenue encore. Pour commencer, Dr Daher, nous allons vous poser des questions  sur le Monde, sur l’Afrique et enfin sur Djibouti.

NewsAfrica24(NA24): Avant de poser les questions concernant l’actualité mondiale, je voudrais dire deux mots sur notre invité qui a un parcours tellement riche et impressionnant. Lui, il n’aime pas qu’on le dise, mais, je vais essayer de faire une brève description de son parcours : Ancien militaire devenu journaliste puis enseignant, responsable d’établissement, aujourd’hui docteur en sciences de l’éducation et de la formation, chercheur associé au sein du Wapi, une structure implantée au CNAM, Centre national des Arts et Métiers. Il faut dire également que Daher est un acteur politique, puisqu’après avoir milité longtemps au sein du PRD devenu MRD, dont il était un des membres fondateurs, il en est devenu le président. Le MRD est le principal parti d’opposition au pouvoir du président Ismail Omar Guelleh de Djibouti. C’est donc un invité à plusieurs casquettes, que nous recevons, capable de parler non seulement de Djibouti, mais aussi des problématiques du monde entier, notamment les questions de géostratégie et géopolitique internationale.

« Et de la même manière qu’Israël a pu constituer un foyer national et proclamer un État national, les Palestiniens doivent  disposer de leur État sur les territoires occupés ».

NA24 : Pour commencer, on va parler de ce qui se passe depuis quelques semaines maintenant au Moyen-Orient entre Israël et la Palestine. Ce qu’on a vu que le mouvement Hamas est intervenu en Israël, ce qui a causé pas mal de victimes et la riposte d’Israël qui se poursuit, faisant chaque jour plus de victimes. Quel regard portez-vous sur cette situation ? Comment faire pour en sortir ?

ITW JeanCélestin Edjangué et Daher

Merci. Jean-Célestin Il est vrai que la situation s’est subitement aggravée au Proche-Orient entre Israéliens et Palestiniens suite à l’attaque surprise et massive que le Hamas, mouvement armé palestinien, a menée samedi 7 octobre 2023 contre Israël. Ces hommes sont entrés sur le territoire israélien et ont tué des militaires, des policiers, mais aussi des civils, de nombreux civils.

C’est aussi la terreur. La riposte n’a pas été moins massive qui continuait à Gaza et soumise à un siège militaire. Bombarder de manière intense et détruite d’autant. C’est donc un massacre qui continue et qui a commencé samedi 7 octobre et qui continue au moment où nous parlons. Cela ne vous laisse pas tout à fait bien sûr, indifférent. Et nous autres n’avons pas l’émotion sélective, quelle que soit la victime humaine. Qu’il s’agisse d’Israéliens, de Palestiniens ou autres. Nous sommes touchés. Nous sommes touchés par le spectacle de la mort, du sang qui coule et de la désolation. Mais nous pensons qu’au-delà de l’émotion du moment, il faut que la raison reprenne ses droits. Nous sommes ici face à un problème politique. C’est un problème politique qui se pose au Proche-Orient. Chacun des deux peuples aspire à un État et à la paix à l’intérieur des frontières de cet État. Il est vrai que la terre, cette terre du Proche-Orient, est une terre riche d’histoire, de signification religieuse à la fois pour les musulmans, les chrétiens et les juifs. Ce qui explique d’ailleurs les problèmes qui se posent entre Palestiniens et Israéliens, chacun des deux peuples aspirant à un État sur cette terre. Or, il y a de la place pour deux peuples sur cette terre. L’État d’Israël existe depuis 1948 et une résolution des Nations unies l’a reconnu en 1947. En novembre 1947, c’est ce fameux plan de partage de la Palestine entre un État israélien et un État arabe a été adopté. Et l’État d’Israël a été proclamé en mai 1948. Si je ne me trompe et l’autre État aussi a été reconnu puisqu’il s’agissait d’un plan de partage de l’État palestinien et lui aussi de manière potentielle reconnu dans la mesure où une résolution des Nations unies fait référence à des territoires occupés lors de la guerre de 6 Jours en 1967 par Israël. Et ces territoires donc sont palestiniens. Ce n’est pas moi qui l’ai dit, c’est cette résolution des Nations unies qui le spécifie. Et de la même manière qu’Israël a pu constituer un foyer national et proclamer un État national, les Palestiniens doivent  disposer de leur État sur les territoires occupés. C’était le sens des accords d’Oslo qui ont été signés en 1993 par Yasser Arafat, le défunt Yasser Arafat et le Premier ministre israélien d’alors, Itzhak Rabin.

NA24 : Malheureusement, on constate que ça n’avance pas. On a l’impression de faire du surplace ou même pire. Qu’est-ce qu’il faut faire aujourd’hui ?

Tout à fait, tout laisse à croire que la situation est bloquée. Pourtant, il n’y a pas 36 solutions. La seule solution qui vaille est une solution politique. La solution à deux États. Un problème politique mérite une solution politique. Il ne peut pas y avoir d’autre solution. La violence n’est pas la solution. Si c’était le cas, cela se saurait. Le sang coule depuis 1948 entre Palestiniens et Israéliens et le problème est toujours là, posé plus que jamais.

 La solution est politique, qu’on le veuille ou pas. Et les politiques ? Il faut un État palestinien. De la même manière qu’il y a un État israélien, deux États vivant côte à côte et dans la paix, c’est la solution. Et la seule, je n’en vois pas d’autre.

LVD :  Dr Daher, le monde évolue rapidement et dangereusement. En plus de ce que vous venez d’indiquer sur le Proche-Orient, il y a aussi une guerre qui est à la porte de l’Europe : la guerre en Ukraine entre la Russie et l’Ukraine. Quelles solutions ? Quelle sortie ? On a le sentiment, qu’en plus, le monde est en train de se diviser en deux blocs et se dirige dangereusement vers quelque chose de nouveau et inconnu. A votre avis, Quelles solutions faut-il pour sortir de ces crises et  pour l’avenir de ce monde ?

Il est vrai que l’état du monde n’est pas rassurant. Nous venons de parler du Proche-Orient. Il y a aussi cette crise ukrainienne, la guerre entre la Fédération de Russie et l’Ukraine. Là aussi, c’est pareil et il faut le dialogue et pas la violence. Peut-être que l’Ukraine pourrait être occupée, mais jusqu’à quand ? Il faut un dialogue. Il faut que les puissants de ce monde reviennent à la raison et comprennent que la seule solution pour pacifier les relations entre les peuples, c’est le dialogue.

Chaque peuple a droit à une vie décente dans le cadre de l’État de son choix. Il faut respecter ce droit. Donc, en Ukraine, il doit y avoir un dialogue entre Ukrainiens et Russes. Je pense que c’est possible si les partenaires de l’un et de l’autre camps poussent, là aussi, au dialogue.

LVD : Au niveau du dialogue, il y a eu une initiative africaine qui a échoué. Quelle autre solution ?

C’est vrai que le dialogue ne peut pas être imposé aux acteurs, aux belligérants. C’est aux acteurs d’accepter le dialogue. Les autres peuvent proposer, y pousser, accompagner. Mais ils ne peuvent pas l’imposer. Si les intéressés et les premiers concernés ne sont pas prêts au dialogue, le dialogue ne peut pas avoir lieu. Nous ne pouvons donc que proposer, nous autres dans notre modeste position. Nous ne pouvons que rappeler encore et encore la nécessité impérieuse du dialogue comme seule solution viable à toutes les crises de type politique qui se posent sur cette terre.

« Je pense, au-delà de ces crises, c’est la pertinence même de l’ordre international issu de la Deuxième Guerre mondiale qui est posée »

NA24 : Quand on regarde les choses de près, que ce soit en Israël, sur la bande de Gaza ou en Ukraine, il y a une vraie remise en cause de ce qu’on appelle la communauté internationale. Dans le cas de l’Ukraine, la Fédération de Russie, qui est membre du Conseil de sécurité de l’ONU, a attaqué, agressé, et occupe encore en partie, un pays qui ne demandait rien à personne. Dans l’autre cas, Israël qui est attaqué par le Hamas mais qui réagit de manière disproportionnée. Je pose la question est de savoir si ces institutions-là, l’ONU, la CÉDÉAO, la SADEC, l’UA, l’UE ont encore un rôle à jouer ? Est-ce qu’on peut encore leur faire confiance quand on voit ce qui se passe dans le monde ? On se dit que tout le monde est dépassé, à commencer par ces institutions-là. Non ?

C’est vrai que l’ONU ne semble pas jouer pleinement son rôle qui est de veiller à la paix, de la rétablir si elle est rompue. Les Nations unies, ce sont les États qui la constituent qui lui donnent le pouvoir d’agir. Les Nations unies n’agissent, que si ces États le leur permettent. Je pense, au-delà de ces crises, c’est la pertinence même de l’ordre international issu de la Deuxième Guerre mondiale qui est posée. Il est peut-être temps que les puissants de ce monde, mais aussi les moins puissants, se rassoient autour de la table et revoient cet ordre. Nous autres, nous pensons que sans un minimum de multilatéralisme, sans un minimum d’équilibre entre les États du monde, il ne peut pas y avoir un système international efficace. Et si les quelques 190 États de l’ONU n’ont pas les mêmes droits, il y aura une justice à deux vitesses ou à géométrie variable. Si, la plupart des États ne sont là que pour faire de la figuration et que la décision est prise par quelques-uns, ce n’est pas juste. Ce n’est pas représentatif de l’état du monde, ce n’est pas représentatif du monde. Pour le dire tout court, il faut revoir. Il y a quelque chose à revoir, c’est clair. La faiblesse pour ne pas dire davantage, des Nations unies, c’est la question du commandement. Il faut que le commandement soit revu.

LVD : Au sein de cette communauté internationale, aujourd’hui, deux blocs semblent se dégager. Il y a d’un côté, le bloc occidental, et de l’autre, le bloc des BRICS qui est en train d’émerger avec de plus en plus d’adhésions. Que nous dit cette montée en puissance des BRICS ?

Qu’il y ait un début de multilatéralisme, ce n’est pas plus mal. Mais il ne faut pas que cela devienne une seconde guerre froide. Il ne faut pas que l’émergence des BRICS, la montée en puissance des BRICS, nous fasse revenir à l’ère de la guerre froide, de la compétition entre puissances de l’Ouest et de l’Est, entrainant de fait l’invisibilité du reste du monde. Si cette émergence des BRICS va dans le sens du multilatéralisme, des relations internationales plus équilibrées, tant mieux. Mais si c’est pour restaurer la compétition entre puissances, je ne suis pas sûr que cela apporte quelque chose de positif aux relations internationales qui, dans l’intérêt de tous, doivent évoluer positivement.

NA24 : Est-ce que, justement, ces relations internationales ne sont pas faites pour être dominées par l’un ou l’autre bloc ? A l’intérieur des BRICS dont on parle, il y a la Russie, l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud. Et il y a des nouveaux pays qui viennent d’adhérer. Déjà la Chine, est un géant au niveau économique, un géant démographique, n’est-elle pas destinée à devenir un géant politique vu le chao du monde actuel ?

Si je comprends bien votre question, les BRICS sont nés par réaction à l’ordre international dominé disons-le par l’Occident emmené par les Etats-Unis d’Amérique. Donc, ce serait salutaire, si c’est pour rééquilibrer cet ordre dans le sens d’une plus grande représentativité du monde. Mais si c’est pour remplacer une domination par une autre, je pense que nous ne serons pas avancés.

Certes, il est vrai qu’au sein des BRICS, il y a l’Inde, la Chine, le Brésil, que des poids lourds dont il faut prendre en compte la mesure. J’espère qu’ils ne comptent pas utiliser leur poids pour dominer les autres. Il y a des leçons qui doivent être tirées de cette période de domination qui a débuté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Domination occidentale peu inclusive et dont on peut se poser des questions. Qu’est-ce qui a été fait ? Qu’est-ce qui a prévalu jusqu’ici ? C’est peut-être ce qui motive un certain nombre d’autres pays à adhérer aux BRICS. Je pense notamment à l’Argentine, l’Éthiopie,  l’Égypte, à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes-unis et à l’Iran. Donc les BRICS ne peuvent être une alternative que s’ils sont tenus par une vision inclusive pour un système international réellement multilatéral où le monde entier s’y reconnaît.

LVD : Justement, si on regarde dans ce monde qui est en train de se recomposer, quel rôle pour l’Afrique ? On a l’impression que c’est en train de bouger en Afrique, il y a beaucoup de mouvements qui sont en train de se passer. Il y a eu pas mal de coups d’État. Certains ont parlé « d’épidémie » des coups d’États. Dans ce monde qui est en train d’évoluer. Quel rôle doit jouer l’Afrique ? Et en particulier l’Afrique francophone qui concentre la majeure partie des problèmes d’Afrique ? Et, c’est justement dans cette Afrique Francophone où il y a eu les coups d’états : Mali, Guinée, Burkina Faso et le Niger.

Pour compléter Dr Daher, est-ce que les pays africains doivent accepter des bases militaires des puissances occidentales ?

L’Afrique d’abord n’est pas absente. L’Afrique s’exprime d’une seule voix, essaye de se faire entendre. Pas plus tard qu’au mois de septembre dernier, l’Afrique a parlé d’une seule voix à l’Assemblée générale des Nations unies. Parmi les BRICS, il y a un pays africain, l’Afrique du Sud, et il y a l’Union africaine comme organisation continentale.

A partir du 1ᵉʳ janvier 2024, il y aura l’Éthiopie et l’Égypte aussi parmi les membres des BRICS. Et, il y a l’Union africaine avec ses difficultés, certes, mais elle est là et fait ce qu’elle peut. Il est vrai qu’il y a eu une série de coups d’État en Afrique, en Afrique de l’Ouest, particulièrement en Afrique francophone. Après le Mali, il y a eu la Guinée, le Burkina Faso et plus récemment le Niger, sans parler du Gabon. Il faut se demander pourquoi cette série de coups d’État ? Qu’est-ce qui explique que dans certains pays, la démocratie qui fonctionnait par exemple au Mali avec la Charte du Mandé. Au Niger, c’est un président démocratiquement élu qui a été renversé.

Pourquoi ? Je pense que ça interpelle. Est-ce qu’il y a un point commun à ces coups d’États ? Il y a comme un sentiment, je ne sais pas si l’expression est bonne, mais à un sentiment anti-français.

a un phénomène de rejet de la présence française dans cette partie du monde, particulièrement de la part de la jeunesse africaine. Il faut se demander pourquoi des jeunes Africains manifestent ce rejet. La population en Afrique, vous le savez, est majoritairement très jeune.

Et je ne pense pas que ce soit seulement un excès d’émotion. Si ces jeunes vivent dans leur pays, ils vous font un certain nombre d’expériences. Ils sont au chômage. Ils sont dans la pauvreté. Ils ne peuvent pas participer à la conduite des affaires dans leur pays. Ils voient, ils entendent et ils sentent ce qui se passe. Ils voient aussi les relations entre l’Afrique et l’ancienne puissance coloniale, et les gouvernants en place… Et l’impact est là.

« Entre la France, l’ancienne puissance coloniale, et les gouvernants en place, en Afrique, ces jeunes ressentent un impact de ces relations sur leur vie quotidienne »

NA24 : La France en général ou la classe politique en France ?

Entre la France, l’ancienne puissance coloniale, et les gouvernants en place, en Afrique, ces jeunes ressentent un impact de ces relations sur leur vie quotidienne. Disons les choses comme elles sont la France officielle. Je ne parle pas du peuple français, la France officielle, la France politique, la France gouvernante à des degrés divers et d’une manière ou d’une autre, qui soutient les dictateurs en Afrique, même si ces coups d’état n’ont pas concerné que des dictateurs.

Je viens de le dire, des présidents démocratiquement élus ont été renversés. Je pense qu’il y a là un vrai problème à considérer et à analyser de manière à avancer. On ne peut pas comme ça jeter le bébé, et l’eau du bain pour reprendre une expression bien connue.

NA24 : Vous parliez de cette jeunesse africaine qui visiblement semble avoir pris conscience des conséquences dramatiques des relations entre l’Afrique et l’ancienne puissance coloniale, sur l’immense majorité de la population. Conséquences dues à la colonisation et les rapports biaisés entre cette France colonialiste et ces États africains supposés être indépendants aujourd’hui, pour la plupart en tout cas. Et cette jeunesse, le fait qu’elle prenne conscience, c’est une bonne ou une mauvaise chose ?

Que les jeunes prennent conscience de leurs problèmes, de leurs pays, est une bonne chose. Et parce qu’après tout, il y va de leur avenir. Le jeune d’aujourd’hui sera le dirigeant de demain. Les jeunes d’aujourd’hui sont l’écrasante majorité de la population, en moyenne entre 60 et 70 % des moins de 25 ans en Afrique. Donc que les jeunes prennent conscience des problèmes qu’ils vivent au quotidien dans leur vie de tous les jours, est une bonne chose. Maintenant, il faut que les jeunes posent aussi les bonnes questions. Il ne s’agit pas de réagir de manière émotionnelle et passionnelle. Il s’agit de poser les vraies questions de manière à obliger les gouvernants à être démocratiques à les écouter, mais aussi que les partenaires les entendent. Parce que si les jeunes ne sont pas entendus, que se passera-t-il ? Ce sera l’explosion. Aujourd’hui, ce sont peut-être des coups d’État. Ce sont les militaires qui essayent de capter ou commander ces mouvements de jeunes. Mais demain, on ne sait pas ce que ce sera. D’autant qu’il y a le djihadisme et d’autres marchands de rêves qui ne manquent pas en Afrique. Il faut donc que les jeunes non seulement prennent conscience, mais qu’ils soient également entendus et qu’eux-mêmes fassent preuve de sagesse, même si jeunesse ne rime pas toujours avec sagesse. Mais je pense qu’il y a une jeunesse suffisamment mûre aujourd’hui en Afrique pour poser les vraies questions et essayer de trouver les vraies solutions.

LVD : Dans cette Afrique globale, il y a quand des zones où il y a beaucoup plus des problèmes. Nous avons parlé de l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, mais il y a aussi la Corne de l’Afrique où le sang coule souvent. Il y a la guerre au soudan du sud, en Éthiopie, Somalie ou même à la région autoproclamée de Somaliland, où il y a eu de sang qui a coulé. Quel regard portez-vous sur cette Corne de l’Afrique ?

Je ne peux exprimer qu’un sentiment de tristesse face à ce qui se passe dans cette Corne de l’Afrique, qui a malheureusement trop souvent été troublée. Comme vous le dites, le sang continue de couler. La Somalie n’a toujours pas retrouvé sa stabilité. Les shebabs sont encore actifs.  Au Soudan, c’est la crise. L’Éthiopie ne s’est pas encore vraiment relevée de la guerre civile. C’est vrai. Tout cela est très préoccupant et encore une fois, c’est le manque de dialogue qui explique encore cela. Si les uns et les autres s’écoutaient… Et, si la société civile était entendue, s’il y avait un minimum de vie démocratique dans ces États, si le peuple avait droit au chapitre. Pour le dire autrement, peut-être que nous n’en serions pas là.

Et vous le savez, il y a eu des dictatures en Afrique, dans la Corne de l’Afrique. La Somalie a longtemps été dirigée par un régime militaire. L’Éthiopie aussi. Au Soudan, c’était le cas, c’est toujours le cas. Ce sont deux généraux qui se disputent les pouvoirs de manière sanglante et c’est triste. Il y a aussi Djibouti qui fait partie de cette Corne de l’Afrique des régimes dictatoriaux.

Voilà, il faut que le peuple soit écouté. L’on ne peut pas éternellement considérer les peuples africains comme des grands enfants. Il faut arrêter avec cette logique qui a quelque chose à voir avec la colonisation qui consiste à ignorer le peuple pour les gouvernants, à occuper seul l’espace politique et civil. Ce n’est plus tenable. L’Afrique a une longue histoire, c’est le berceau de l’humanité, c’est le berceau des premières civilisations, des civilisations brillantes. Je pense à l’ Égypte antique, je pense au royaume des couches. Et à bien d’autres. Donc, il faut écouter les Africains, ils ont beaucoup à dire à l’humanité.

« J’espère que l’Éthiopie n’envisage pas de recourir à la violence pour obtenir un accès à la mer, car ce n’est pas une solution »

LVD : Dr Daher, il y a une déclaration qui a fait couler beaucoup d’encre dans la région. C’est la déclaration du Premier ministre éthiopien, Aby Ahmed qui a déclaré que 150 millions d’Ethiopiens ne peuvent pas être privés d’accès à la mer. Il a proposé un certain nombre d’options dont fait partie « l’usage de la force » pour avoir cet accès.  Il a mentionné Cyela dans la région autoproclamée de Somaliland, Djibouti et Asmara pour permettre à l’Éthiopie d’accéder à la mer. Il a ajouté que l’accès à la mer conditionne l’existence même de l’Éthiopie. A votre avis, ceci ne présage-t-il pas des guerres et d’autres malheurs pour les populations de cette région ?

J’espère que non. J’espère que l’Éthiopie n’envisage pas de recourir à la violence pour obtenir un accès à la mer, car ce n’est pas une solution. Ce serait ajouter la violence à la violence si l’Éthiopie essayait de s’attaquer aux côtes somaliennes, les Somaliens réagiront comme un seul homme. Cela s’est vu à travers l’histoire lorsqu’en 2006, l’Éthiopie a envahi la Somalie, elle s’est réunifiée. Il y a eu un élan unitaire national en Somalie qui a fini par bouter les forces éthiopiennes hors du pays. Et c’est vrai que l’Éthiopie est un grand pays. C’est le géant de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique de l’Est. C’est le deuxième pays le plus peuplé du continent. Et il est vrai que tout pays a besoin d’un accès à la mer. Mais la violence n’est pas la voie la plus appropriée. Et j’espère que le Premier ministre aura bien pris le temps d’y réfléchir à deux fois avant de passer à l’acte. Si tel est son intention ou c’était son intention. Il y a des pays côtiers qui entourent l’Éthiopie. Il y a Djibouti dont le port est utilisé par l’Éthiopie qui peut aussi utiliser les ports érythréens. Pourquoi l’Éthiopie ne diversifie pas ses accès ? Et je crois que le projet avec le Kenya est assez bien avancé. Il y a un accès à la mer par le Kenya, il y a donc des possibilités. Il y a les ports somaliens, il y a aussi l’Érythrée. Les possibilités ne manquent pas. Je ne pense pas que l’Éthiopie soit condamnée à user de la violence pour accéder à la mer. Ce serait, et je le redis, ajouter la violence à la violence. Or, la Corne de l’Afrique n’en a vraiment pas besoin.

NA24 : Par sa situation géographique qui est préoccupante, notamment en raison de différents conflits et  antagonismes. Moi, j’ai une pensée particulière pour la jeunesse de cette partie du continent, en particulier de cette région de la Corne de l’Afrique. Comment la regardez-vous aujourd’hui et quelles sont ses perspectives dans cette situation un peu chaotique d’instabilité politique ? Comment est-ce que ces jeunes vont pouvoir se projeter à l’avenir ?

C’est peut-être ce qui nous donne espoir. Cette jeunesse dont vous parlez effectivement, qui représente 70 % de la population. C’est à peu près la même proportion en Somalie et en Éthiopie. C’est peut-être cette jeunesse-là qui représente l’espoir de la Corne de l’Afrique. Elle prend de plus en plus conscience des problèmes, elle agit de plus en plus. C’est la jeunesse qui a permis le changement en Éthiopie, qui a permis l’avènement du Premier ministre et de lui-même « jeune Oromo ». Et, c’est eux les jeunes qui ont permis le changement en 2018 en Éthiopie. Et c’est cette jeunesse qui est en première ligne en Somalie aussi, et travaille au changement, à la reconstruction et à la renaissance de ce pays et elle fait ce qu’elle peut aussi à Djibouti.

Je crois que vous la connaissez cette jeunesse, si je me souviens bien, pour avoir été dans ce pays (Djibouti) quand nous étions là-bas. Nous comptons beaucoup sur la jeunesse, nous autres, acteurs politiques mais aussi citoyens tout courts. Nous n’avons pas le choix. De toute façon, nous ne pouvons que faire avec les jeunes, dans un pays où les jeunes représentent 70% des moins de 34 ans. Qui peut ignorer la jeunesse ?

LVD : Sur la Somalie, vous avez parlé de la jeunesse qui représente l’espoir pour la renaissance du pays. Il y a aussi une déclaration qui a été faite par le président somalien dans le thème de la reconstruction de la Somalie avec la création de deux parties. Est-ce que ce n’est pas l’option qu’il faut envisager dans le reste de la Corne de l’Afrique pour éviter d’avoir des tensions tribales ou claniques ? Est ce qu’il ne faut pas s’orienter vers la création d’un regroupement des partis politiques ?

Il faut un dialogue national pour cela. Mais on ne peut pas décréter un multipartisme, un bipartisme ou un multipartisme limité. Il faut un dialogue national. Le président somalien, est-il prêt à engager dans ce sens, le dialogue avec la population, avec la société civile et avec les autres acteurs politiques, avec la jeunesse notamment ? Et, si les Somaliens veulent se mettre d’accord sur cette formule,  pourquoi pas. Mais, je ne pense pas que d’imposer d’en haut comme ça, est une idée ou un format politique, soit une bonne chose. Je me souviens en 1992, le multipartisme a été limité à quatre pendant une période de dix ans. Puis en 2002, il a été rouvert et il est devenu intégral. Je pense qu’il y a ce qu’il faut savoir en matière de multipartisme parce qu’il s’opère une sélection naturelle. Si les partis sont laissés libres de se former et que les systèmes démocratiques fonctionnent normalement sans entrave inutile. Je pense qu’avec le temps, il y aura des regroupements de sensibilités, et de ces regroupements il restera du foisonnement initial. Il y a toujours un foisonnement. Au début du foisonnement initial, il restera quelques grandes forces. Il faut peut-être faire confiance au génie du peuple, faire confiance aux jeunes et aux autres. Et en mettant en place un cadre qui permette une émulation, un fonctionnement sans débordements. Plutôt que de chercher à décréter tel ou tel dispositif.

LVD : C’était aussi une crainte formulée par le président Guelleh à l’époque de l’USN. Il avait dit que le pays ne pourrait pas être gouvernable s’il y a trop de partis. Quel est l’état des partis politiques à Djibouti aujourd’hui ?

Ph d’après ITW Jean-Célestin Edjangué, Djama Mahmoud et Daher

A Djibouti, il y a un parti qui fonctionne comme s’il était unique. C’est le parti au pouvoir, le Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), pour ne pas le nommer, qui est au pouvoir depuis l’indépendance. Et, il y a l’opposition qui est composée de plusieurs partis, dont le nôtre, le MRD. Le premier parti à être légalisé en 1992 sous l’appellation de PRD.

Nous avons été obligés de changer de nom pour retrouver notre légalité qui nous a été arrachée de manière arbitraire. Donc, l’opposition aujourd’hui est là, elle agit. Il y a des efforts qui sont en cours pour qu’il y ait une coalition entre partis crédibles. Une coalition digne de ce nom, si j’ose dire. Qu’elle soit différente, par exemple, de l’expérience de 2013 avec cette coalition plutôt électorale qui a tenu trois ans et qui a fini par éclater parce qu’elle était, j’allais dire, condamnée à l’éclatement dès le départ parce qu’elle était trop hétéroclite pour durer, et il y a donc des efforts en ce sens. Sinon, d’une manière générale, le pays reste bloqué du point de vue politique. Dans la pratique, le parti au pouvoir se comporte comme il se comportait avant 1992. Entre l’indépendance et 1992, au moment où les systèmes des partis uniques étaient inscrits dans la Constitution et qu’aucune voix discordante ne pouvait se faire entendre. L’opposition n’est pas représentée par une opposition crédible. Je ne parle pas de l’opposition domestiquée. Il y a officiellement quelques députés dits de l’opposition à l’Assemblée nationale aujourd’hui. Ce ne sont pas des vrais opposants. Ce sont des gens qui ont été cooptés par les pouvoirs en place. Donc, l’opposition crédible n’est pas représentée à l’Assemblée. Elle n’est pas représentée non plus dans les instances locales, encore moins au gouvernement. Et ça, ce n’est pas tenable. Vous vous en souvenez lorsque, aux dernières élections pluralistes, celles de 2013, l’opposition est allée en ordre dispersé. Mais ensemble, aux élections, elle a gagné jusqu’à 80 %. Le régime a été incapable de justifier les résultats par lesquels il s’est déclaré vainqueur. Nous autres, de l’opposition, avions la preuve qu’il fallait pour montrer notre victoire. Le régime, non. D’où la crise post-électorale qui a obligé le régime à signer un accord cadre avec l’opposition. Accord qui permettait donc de sortir de cette crise, mais moyennant des réformes immédiates des réformes démocratiques. C’était en fait une manière de reconnaître pour le régime qu’il avait tout simplement volé la victoire à l’opposition. Malheureusement, cet accord n’a pas été appliqué.

LVD : Justement dans cet accord. Le président Guelleh vous accuse aujourd’hui d’avoir déserté la table des négociations et qu’il n’a personne pour négocier avec ?

Ce serait plutôt l’inverse. C’est le président Guelleh et son gouvernement qui ont tourné le dos à l’accord, qui ne l’ont pas appliqué. Qui, par exemple, refuse toujours de mettre en place cette fameuse Commission électorale nationale indépendante sans laquelle il ne peut pas y avoir des élections d’élections libres et transparentes à Djibouti comme ailleurs. Ce n’est pas de la responsabilité de l’opposition, mais plutôt du pouvoir en place. C’est évident. Tous les observateurs qui suivent de manière un peu attentive la situation à Djibouti le savent. Je ne parle même pas des Djiboutiens à qui l’on ne peut pas raconter d’histoires en la matière.

NA24 : Vous parlez du président Guelleh. Vous parlez peu de la situation politique de manière globale, on sait qu’il a été réélu en 2021et que la prochaine présidentielle devrait se tenir en 2026. De manière plus globale, quel bilan vous faites de sa gestion du pouvoir depuis qu’il est là et pensez-vous que vous serez candidat à la présidentielle de 2026 ?

Quel bilan pour le président Guelleh ? Depuis 1999, date de sa prise du pouvoir. Il n’a pas été élu, il a pris le pouvoir, mais c’est une situation en ruine qui laisse le président Guelleh aujourd’hui vieillissant. Ce qui saute aux yeux lorsque l’on rentre au pays, c’est de voir l’état de nos routes qui sont en lambeaux, dans nos villes où même les ordures ménagères ne sont pas enlevées. Je ne parle même pas des eaux usées ni de la pauvreté, du chômage, notamment des jeunes, du mal logement, de l’absence de perspectives. C’est vrai que quelques infrastructures ont été réalisées. Je parle notamment de ports. Mais à qui profite ces ports ? Le Fonds monétaire international fait régulièrement des missions d’évaluation à Djibouti et régulièrement pointe l’insuffisance pour ne pas dire l’absence de redistribution, des investissements coûteux et qui endettent l’État, Djibouti et donc le peuple de Djibouti. Ses investissements ne profitent pas de manière équitable à tous les Djiboutiens. Les retombées économiques, le bénéfice tiré de ces investissements vont à une minorité, vont au chef de l’État et à son entourage. Donc, tel est le bilan ! Si vous allez aujourd’hui à Djibouti en vous limitant à la capitale, c’est 60 % de la population qui y vit, c’est l’essentiel de l’activité économique du pays. C’est ça la capitale politique et administrative évidemment. Si, vous allez à Djibouti, vous allez tout comprendre. Le président vit dans une bulle, dans un quartier qui s’appelle Haramous. C’est vrai que c’est un quartier huppé, mais cela n’a rien à voir avec le pays réel. Le pays réel se trouve dans une situation catastrophique. Je pèse mes mots dans une situation catastrophique. Je lisais hier un document qui, je pense, a été fait par un organisme français et qui évoquait la situation en Palestine.

Ce document disait de la Palestine que c’était la plus petite économie de la région et que le Palestinien était le plus pauvre dans la région. Et pour cause ! Et que dans le monde arabe, le seul pays qui fait moins bien, c’est Djibouti. C’est pas très glorieux.

« Je suis candidat à l’élection présidentielle en 2026, bien sûr s’il y a élection digne de ce nom »

NA24 : Il y a une question à laquelle vous n’avez pas répondu. Serez-vous candidat à la présidentielle 2026 à Djibouti ?

Oui, c’est vrai. Je suis candidat à l’élection présidentielle en 2026, bien sûr s’il y a élection digne de ce nom. Un parti politique existe pour conquérir de manière démocratique le pouvoir et de ce point de vue-là, il n’y a pas de doute, le Mrd sera présent. Si évidemment, les militants et sympathisants, en décident ainsi. Je ne suis pas un dictateur, je ne serai candidat que si les membres du Mrd me désignent comme candidat à cette élection et si cette élection est digne d’être disputée, bien sûr, je pense que les vrais problèmes qui se posent aujourd’hui à nous, c’est de faire en sorte que la prochaine élection se déroule d’une manière démocratique et dans un cadre démocratique pour que les voix des djiboutiens comptent enfin.  Il faut qu’il y ait un vrai cadre démocratique, pas une démocratie de façade. C’est vrai que sur le papier Djibouti une démocratie, il y a une constitution, il y a des principes démocratiques, etc, une certaine séparation des pouvoirs. Mais dans la réalité, c’est le système du parti unique. Donc, il nous faut en sorte pour qu’il y ait une vraie démocratie, qu’il y ait des élections libres et transparentes, qu’il y ait une commission électorale nationale indépendante. Et dans ces conditions-là, il n’y aura pas de raison pour que le candidat du MRD ne soit pas présent.

LVD : Pour cette prochaine élection 2026. Le président Guelleh a dit dans un entretien à Jeune Afrique qu’il n’irait pas cette fois-ci et le cinq mandat était son dernier ? Est-ce que vous y croyez ?

Qui peut croire, Monsieur Ismaïl Omar Guelleh ? Cette promesse que vous dites-là, il l’a faite et refaite combien des fois ? Combien de fois, au cours de son deuxième mandat, il a déjà promis de ne pas se représenter une troisième fois. Il a fait modifier la Constitution. Il s’est représenté. Il s’est auto reconduit, il a fait une quatrième fois. Il en est à son cinquième mandat illégitime puisqu’il n’a pas été élu de manière démocratique. Je pense que ce n’est un secret pour personne. Donc, il est difficile de croire Ismaïl Omar Guelleh. C’est plutôt le genre à mourir au pouvoir. C’est quelqu’un qui se voit président à vie. Cela se voit à la manière dont il dirige le pays, à la manière dont il foule au pied les principes démocratiques, et notamment la Constitution.

Donc, à la limite, Ismaïl Omar, ne doit pas être un problème pour les Djiboutiens. Ismaïl Omar Guelleh a fait son temps. C’est aux Djiboutiens de prendre leurs responsabilités et de faire en sorte que ce pays soit enfin dirigé de manière digne, c’est-à-dire démocratique. Pour qu’en fin la société djiboutienne, qui est une société fraternelle, il y a de liens profonds entre les uns et les autres, soit prospère et vive dans la dignité et la décence.

LVD : Quelle est la situation économique et sociale de cette population djiboutienne ? Comment vivent les Djiboutiens ?

Je le disais tout à l’heure. Dans la pauvreté, pour ne pas dire dans la misère sociale, à part les gens qui sont au pouvoir, à part Ismaïl Omar Guelleh et son entourage, et les quelques milliers d’obligés qui gravitent autour de lui. Qui vit aujourd’hui décemment à Djibouti ? Sincèrement, c’est ça le paradoxe dans un pays qui ne manque pas de ressources, qui est le principal accès à la mer de l’Éthiopie. Un pays qui abrite des bases militaires qui payent des loyers. Qui peut dire qu’il y a un vrai problème ? Il y a un problème qui s’appelle Ismaïl Omar Guelleh et son système. L’homme approche peut-être à sa fin. L’homme est vieillissant. Il y a une solution biologique à tout un chacun. Personne n’est éternelle sur cette terre, pas plus lui que nous. Même s’il y a les sciences, il se trouve qu’il est âgé. C’est pourquoi je disais que ce n’est plus un problème. Mais le système est là. Ce qui place les Djiboutiens devant leurs responsabilités. Il ne s’agit pas de constater et de commenter ou de se lamenter en permanence. Il s’agit d’agir, il nous faut agir, ils doivent comprendre qu’il y a besoin d’actions. La parole ne suffit pas, il faut agir.

LVD : Dr Daher, nous arrivons presque au terme de notre entretien. Vous avez dévoilé qu’en 2026, si les conditions s’y prêtent et que si les membres de votre parti vous investissent, vous serez candidat à la prochaine élection présidentielle. Qui pensez-vous avoir en face ? Le président Guelleh malgré sa promesse de retraite et son état vieillissant ? Qu’est-ce qui pourrait l’empêcher d’y aller ? Et, pour finir, comment entrevoyez-vous l’avenir Djibouti après cette élection ?

 L’avenir de Djibouti sera ce que nous autres, Djiboutiens, en feront. Si, comme je le disais nous faisons bloc et que nous agissons comme il se doit, je pense que nous pourrons imposer le changement. Nous avons failli arriver dans le passé, en 2003 et 2013, lorsque l’opposition était unifiée et que le peuple a suivi. Nous avons créé un vrai rapport de force, de manière pacifique, sans recours à la violence, sans effusion de sang. Je pense que les Djiboutiens en sont capables. Seulement, il faut qu’ils le veuillent et qu’ils le fassent. Donc l’avenir, il est entre nos mains et notre avenir ne réside ni en Europe, ni ailleurs. Il réside à Djibouti, entre nos mains. C’est à nous autres de forger cet avenir.

« Les pays qui sont militairement présents à Djibouti, le sont pour leurs intérêts »

LVD : Dr Daher pour être souverain, un pays doit éviter la présence sur son sol d’une puissance étrangère et d’être endetté. Djibouti cumule les deux. Si vous arrivez aux responsabilités, que ferez-vous des bases militaires et de la dette ?

Pour ce qui est de la dette, la question se posera sur les conditions dans lesquelles cette dette a été contractée. Je reste convaincu que nous pourrons nous entendre avec les bailleurs de fonds et avec les partenaires, puisque si la volonté du peuple fait qu’il y a un changement démocratique, cela ne pourra pas être ignoré par les uns et les autres. Pour ce qui est des bases militaires, c’est vrai que Djibouti occupe une position stratégique. Les pays qui sont militairement présents à Djibouti, le sont pour leurs intérêts. Nous le savons aussi. Nous pouvons citer la France, ancienne puissance coloniale présente à Djibouti depuis notre indépendance dès 1977, les États-Unis d’Amérique, le Japon, l’Allemagne qui n’a pas de base permanente mais est là quand même, avec des soldats espagnols qui sont stationnés dans la base militaire française. Il y a une forte base américaine, une grande base chinoise, une autre japonaise moins importante. Ces pays-là sont là pour leurs intérêts. Nous autres avons aussi des intérêts. Il faut que les Djiboutiens trouvent aussi leur compte dans cette présence militaire multiple. Du point de vue économique, il ne faut pas que ces bases soient une forme de soutien à la dictature. Et la plupart des pays qui ont une base militaire à Djibouti sont des démocraties. Les Etats-Unis, la France, le Japon, l’Italie etc mais il faut que cette démocratie qui fonctionne chez eux et ait droit de cité aussi à Djibouti.

Il faut arrêter l’hypocrisie qui consiste à discourir sur la démocratie et les droits de l’homme, de le respecter de sur son propre sol et de ne pas le soutenir comme il se doit ailleurs. C’est d’ailleurs de cette hypocrisie que profitent d’autres acteurs puissants du monde. La Chine a beau jeu de dire et l’on nous accuse nous d’autocratie. Mais que fait l’Occident ? Et que fait l’Occident dans les pays où il y a des dictateurs ? Est-ce qu’il sait ce qui est, ce qui ne s’accommode pas quand il ne le soutient pas de ces gens-là ? l’Occident est-il dans ces conditions bien placées, qualifiées pour nous donner des leçons de démocratie ? Donc il faut que l’Occident soit cohérent avec lui-même sur le plan de la démocratie et des droits de l’homme. Ici, Djibouti est demandeuse de démocratie, le peuple djiboutien aspire à la démocratie ailleurs en Afrique, c’est le cas. Là-bas, il ne faut pas que l’Occident fasse partie du problème des dictatures et il double ses intérêts, les situe objectivement du côté des peuples, pas du côté des gouvernants. Nos gouvernants ne sont pas éternels, ce sont des individus. Ce qui prime, ce qui importe, ce sont les peuples.

LVD : Avant de passer à la dernière question, Jean-Célestin va clôturer notre émission. Ma question, concerne une affaire pendante devant les tribunaux internationaux entre Djibouti et Dpworld. Djibouti perd devant chaque tribunal dans le monde. Si vous arrivez aux responsabilités, quelle sortie envisageriez-vous ?

De prendre langue avec les Emiratis et nous réglerons avec eux le problème. Cela fera partie de l’héritage négatif de ce régime. Mais il faudra les régler et en accord avec les Emiratis. C’est vrai, vous faites allusion au procès qui a suivi la rupture du contrat de concession du port de Doraleh entre les pouvoirs djiboutiens et Dpworld : port international de Dubaï World. C’est vrai, Djibouti a perdu à plusieurs reprises, mais c’est un problème qui reste sur la table et qu’il nous faudra régler en cas de changement.

 NA24 : Je voudrais en guise de conclusion, poser une question qui permettra peut-être de terminer avec une note plus optimiste. Parce qu’on arrive, comme on a dit dans un monde qui est en construction, en destruction. D’abord parce que l’ancien sera détruit  et ensuite il va falloir qu’un nouveau soit construit. Et dans ce monde à reconstruire, je pense que l’Afrique aura probablement sa chance, son rôle à jouer. Comment vous pensez dessiner les contours de cette Afrique qui va naître où la projeter à l’horizon 2050 ?

Moi, je suis plutôt optimiste. Je ne suis pas le seul. L’Afrique, elle est dynamique. Il y a beaucoup de jeunes en Afrique, il y a une bonne partie de l’Afrique qui avance. S’il y a des crises dans certaines zones du continent. Il y a une Afrique qui avance, qui crée, qui se développe, qui va de l’avant. L’Afrique est l’avenir, de la même manière qu’elle a été le berceau de l’humanité. L’Afrique est l’avenir de ce monde et peut être qu’elle a aussi les problèmes que rencontre l’humanité. Aujourd’hui, il se trouve en Afrique la sagesse africaine, la créativité africaine, le dynamisme africain, la jeunesse de la population africaine, le regard africain sur le rapport au monde. Car l’Afrique n’est pas le continent. Comment dire de ce que l’on appelle la maîtrise de la nature, cette maîtrise qui n’en est pas une et qui nous a menés au réchauffement climatique ? l’Afrique, c’est un certain rapport à la nature, c’est un certain rapport au monde, c’est un certain rapport à l’autre. Tout cela, je pense, est aujourd’hui indispensable pour que ce monde retrouve quelque part sa raison et reparte sur de nouvelles bases. Et donc, pour moi, l’Afrique, je vois de manière tout à fait positive pour l’Afrique de demain, qui est bien sûr en gestation, c’est l’Afrique d’aujourd’hui qui prépare l’Afrique de demain.

Mené par Mahmoud Djama, La Voix de Djibouti (LVD)et

Jean-Célestin Edjangué, NewsAfrica24(NA24)