Le témoignage de ce Français d’origine camerounaise, sur une des manipulations judiciaires les plus grossières de l’histoire de l’humanité, est une véritable leçon d’humilité et d’abnégation face à l’innommable.

« Comment as-tu survécu à cet enfer, papa ? C’est la première question de mon fils Éric, après dix-sept ans d’absence. Ce livre est ma réponse ». L’accroche de la quatrième de couverture de ce récit, à la fois froid, douloureux et tellement bouleversant, donne le ton. La romancière Anna Véronique El Baze, auteure notamment de Les Œillets jaunes (Prisma, 2011) ; Merci Papa(2014) et La Fille au 22(2016), au Cherche midi ou encore Je maudis le jour (2019, Plon), raconte l’histoire hors norme de l’affaire Michel Thierry Atangana, Français d’origine camerounaise, dans un style imagé, alerte, rythmé, qui tient en haleine tout au long des dix chapitres et 220 pages du livre. La vie de cet ingénieur financier, expatrié à Yaoundé où il travaillait, bascule en mai 1997. Comme dans un film d’horreur…

Arrestation mouvementée, identité perdue

« Ce matin-là, la circulation était dense et le temps à l’orage. Pas un brin d’air. Nous roulions vitres baissées. Arrivé au carrefour Bastos, je me suis retrouvé à l’arrêt, capot contre capot. Sept heures trente. Dernière minute d’insouciance. Soudain des hommes en uniforme ont surgi de toutes parts. Ils fonçaient droit sur nous. À pied, à moto, en voiture. Tous lourdement armés. Certains dirigeaient déjà leurs mitraillettes dans ma direction. Ils étaient une dizaine, voire une bonne centaine. Ils déboulaient de partout, la haine au fond des yeux. En moins d’une minute, nous avions été encerclés à ne plus rien distinguer d’autre qu’une foule compacte d’hommes en uniforme. Les armes étaient pointées sur moi… », raconte Michel Thierry, poursuivant : « les gyrophares et les sirènes hurlaient de conserve. Ils étaient toujours plus nombreux. Je reconnaissais certains uniformes, ceux de la gendarmerie, de la police, mais aussi ceux des forces spéciales. J’étais dans une confusion totale, pétrifié par un sentiment mêlé de peur et de stupeur. Mon épouse pleurait… ». Il insiste : « Le jour de mon arrestation, j’ai perdu mon identité. Les autorités m’ont confisqué mes papiers, ma carte de séjour d’expatrié, mon passeport, ma carte d’identité. Et l’ambassade de France n’avait plus de trace de mon existence. Les administrations française et camerounaise avaient égaré de concert les documents attestant ma nationalité française. Je m’étais pourtant enregistré dès les prémices de ma future installation à Yaoundé, fin 1993, y laissant copie de ma pièce d’identité française et mon permis de séjour délivré par le Cameroun ». Un enregistrement qui ne suffira pour empêcher la perte mystérieuse de ses papiers d’identité. L’ambassade de France lui en fabriquera une autre, en date du 20 mars 2013, soit après 16 ans de combat, avec comme adresse… Secrétariat d’État à la Défense de Yaoundé(SED). Incroyable non ?

Foi du juste, libération discrète

Condamné à 15 ans de prison, en octobre 1997, puis à 20 ans en octobre 2012, pour « Détournement de deniers publics en coaction dans l’affaire du Copisur, et de tentative de détournement de deniers publics dans celle de l’OUA » (en réalité, il paie sa proximité avec Titus Edzoa médecin et homme politique camerounais, secrétaire général de la Présidence de la république qui a voulu se présenter à la présidentielle et qui n’exclut pas d’être candidat en 2025), Michel Thierry Atangana, sonné, à la manière d’un boxeur ko debout, va puiser dans l’esprit les ressources nécessaires. « Plus que jamais, je me raccroche à la Bible. Amour et vérité y vont toujours de pair », confesse-t-il, martelant : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent (Psaume 84, Verset 11). » Il précise : « La source de la vraie lumière, de mon combat est là, dans cette quête d’amour, de vérité et de paix. J’en ai fait ma devise. La condition de ma survie ». Ses prières, il les adresse souvent à sa mère, partie rejoindre les ancêtres en 2002, sans doute rongée par le chagrin causé par l’état de son fils. « Comme chaque soir depuis ton décès, je prononce distinctement dans ma prière ton nom. Chaque jour qu’il me restera à vivre, je te demanderai pardon. C’est ma solution pour maintenir un lien avec toi, pour t’aider à reposer en paix. À me pardonner aussi ». Le dernier chapitre, sous le titre « J’accuse », indexe les enjeux politico-financiers de l’affaire, citant le député français Olivier Faloni, qui a consacré un film documentaire au sujet en 2018 : « Ce scandale d’État prouve que pour des raisons d’État obscures, qui relèvent de considérations politiques et financières assez sordides, on est prêt à sacrifier l’honneur et la vie d’un homme jusqu’au plus haut niveau de l’État français ». M. Thierry Atangana se bat depuis 27 ans pour sa réhabilitation et l’indemnisation des années volées de sa vie. À lire absolument !

Par Jean-Célestin Edjangué à Paris

*Otage judiciaire.17 ans de prison pour rien, Michel Thierry Atangana avec Anna Véronique El Baze, 219 pages, le Cherche midi, 18 euros.

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