L’étudiante a présenté brillamment ses travaux à l’université de Rennes 2, en France, mardi 20 septembre 2022. Le jury, dirigé par le Pr. Blanchet, comprenait Ronan Le Coadic, Anne Morillon, Nadia Ouabdelmoumen, Nelly Quemener, Marielle Rispail et Alain Joseph Sissao, venu de Ouagadougou pour l’occasion.
C’est à l’Université de Rennes 2, dans le département de l’Ile et Vilaine (35) en France, que l’impétrante a souhaité interroger, accompagnée par le Professeur Sissao, des pratiques humoristiques en France, au regard des mécanismes de médiation des alliances et des parentés à plaisanterie.
Les membres de son jury, Ronan Le Coadic, Anne Morillon, Nadia Ouabdelmoumen, Nelly Quemener, Marielle Rispail et Alain Joseph Sissao ont validé ce travail original permettant de s’inspirer du patrimoine immatériel burkinabè pour penser des difficultés de communication en France, particulièrement dans le contexte postcolonial.
Cette recherche s’inscrit de manière interdisciplinaire dans les champs des sciences de la communication et du langage, spécialisée dans la communication alterculturelle (BLANCHET et COSTE) au croisement des approches sociolinguistiques et sociodidactique. Partie du constat qu’il semble nécessaire de prendre en compte les difficultés de relations liées de manière directe ou indirecte au contexte pluriculturel de la société française, il m’a semblé intéressant de questionner des freins et obstacles (CAMILLERI) mais aussi des leviers pour améliorer les relations interindividuelles et intergroupes en France, particulièrement en contexte postcolonial. Ainsi, après une observation et une analyse des pratiques des alliances et des parentés à plaisanterie au Burkina Faso, plus précisément à Fada N’Gourma et Ouagadougou, j’ai souhaité interroger ce que ces joutes verbales peuvent nous apprendre sur nos mécanismes de médiation alterculturelle par l’humour en France. Ces pratiques socioculturelles, en Afrique de l’Ouest, considérées comme un ciment social par Alain Joseph Sissao, regroupent un ensemble de mécanismes de médiation alterculturelle qui se manifestent, entre autres, par l’exaltation d’un sentiment de communauté qui passe par l’affirmation des différences. En repartant de ces observations, j’ai donc souhaité analyser des pratiques humoristiques, à la fois semblables et dissemblables, afin d’en percevoir des éléments originaux (BLANCHET) pouvant constituer des mécanismes de médiation altercutlurelle en formation par transposition. En effet, est-ce que certaines pratiques humoristiques peuvent permettre d’améliorer des relations alterculturelles en France ? Qu’est-ce que certaines pratiques humoristiques peuvent nous dire sur ces rapports sociaux marqués par des rapports de pouvoir ? Au Burkina Faso, les alliances et les parentés à plaisanterie favorisent une didactique de la pluralité et une éthique de l’altérité, qu’en est-il de certaines pratiques humoristiques en France ?
L’intervention du Pr SISSAO Alain Joseph
Avant de prendre la parole pour présenter mes observations sur le travail de Lauriane PETEL, permettez-moi de sacrifier à une tradition d’hospitalité qui est tout d’abord de remercier le Pr Philipe Blanchet qui a bien voulu accepter m’associer à la soutenance de cette thèse. Je remercie aussi, l’université de Rennes, les autorités universitaires et administratives qui ont permis la prise en charge de mon voyage jusqu’à Rennes. J’espère que cette première participation à un jury de thèse dans votre université va ouvrir des perspectives heureuses de partenariat entre mon institution, l’INSS/CNRST, l’Université Joseph KI Zerbo et le laboratoire Littératures, Espaces, et Sociétés (LLAES) dont je suis membre ainsi que le LABOLAC à l’Université Nobert Zongo de Koudougou où j’enseigne aussi. C’est un plaisir et un honneur pour moi, de pouvoir siéger à ce jury avec les collègues Pr Ronan LE COADIC de l’Université de Rennes 2, Mme Anne MORILLON, Docteur du collectif de recherche TOPIK, Mme Nadia OUBDELMOUMEN, Maitre de Conférences, Université de Rennes 2, Mme Nelly QUEMENER, Maitre de conférences, Sorbonne Université, Mme Marielle RISPAIL, Professeur des Universités, Université de Saint- Etienne.
Le travail de Lauriane PETEL traite d’une thématique d’actualité « Comment penser les mécanismes de médiation alterculturelle en France par l’humour : que nous apprennent les alliances à plaisanterie (Burkina Faso). D’emblée, je voudrais féliciter l’impétrante d’être arrivée au terme d’un parcours qui montre les qualités scientifiques, humaines et résilientes de la candidate que je me permets de brosser par quelques mots à partir de la rencontre scientifique que j’ai eue lors de nos premiers échanges : discrétion, politesse, ouverture, curiosité et détermination comme une vraie bretonne. Je lui ai ouvert mes tiroirs scientifiques à travers d’abord, les entretiens, ensuite les interviews et la porte de mon institut à travers l’occasion que je lui ai donnée de faire une présentation lors d’un séminaire à mes collègues de l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS) du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) du Burkina Faso. Les réactions positives lors de sa présentation et les questions posées lui ont sans doute raffermi dans sa volonté d’aller toujours de l’avant.
Son sujet touche à une thématique centrale de mes travaux (SISSAO, 2002)à savoir comment implémenter les valeurs de l’alliance et de la parenté à plaisanterie dans un monde plus globalisé en l’occurrence les terrains européens la France, la Belgique qui vivent dans une relation alterculturelle en raison de nombreuses communautés qui y vivent, mais aussi le passé colonial qui charrie les imaginaires et dont le passif n’est pas encore soldé et Lauriane PETEL appelle à gérer ce contentieux qui ouvrirait sans doute une nouvelle ère dans les relations de la métropole avec ses anciennes colonies autrement comment restaurer ce passé mémoriel en tenant un véritable discours de vérité qui pourra ainsi casser la glace des préjugés et panser les plaies pour instaurer une vraie relation de dialogue qui peut être permettrait ainsi l’audace d’une relation assumée à travers la pratique possible de l’alliance à plaisanterie. Tel est le cri scientifique, et la conjecture principale de ce travail, que je salue à travers sa dimension heuristique pour installer entre les hommes des relations plus humaines, plus vraies.
Elle analyse le phénomène de l’alliance à partir d’une démarche méthodologique empirico-inductive qui part des faits observés sur le terrain pour comprendre le phénomène des alliances à plaisanterie.
Ce décentrement lui a permis ainsi d’interroger les principes de reconnaissance, et de stéréotypage, l’humour à travers l’intentionnalité et la réciprocité. Pourquoi cela est possible au Burkina Faso et pourquoi pas ailleurs. Elle touche ainsi sur les principes de la pédagogie didactique et de l’altérité.
Les nombreux terrains africains, Burkina Faso, Sénégal et son background africain lui ont permis de comprendre ce hiatus entre sa culture européenne et africaine. C’est ainsi que son regard se pose sur la dimension didactique, éthique de l’altérité, les joutes oratoires, les théâtralisations sociales et les transformations ou modernisation qui pouvaient permettre de penser des passerelles avec d’autres cultures.
Elle fait appel à l’anthropologie évolutionniste pour analyser l’altérité en France à travers la condamnation des zoos humains, les discriminations, les crimes coloniaux comme des freins et leviers de l’évolution des rapports sociaux en France. Les nombreux travaux de son Directeur de thèse (Philipe Blanchet et Daniel Coste, 2010) lui ont permis de pouvoir élucider la question.
Elle explore le cadre théorique pour analyser les pratiques humoristiques avec les travaux de Charadeau et Nelly Quemener.
Elle essaie de voir comment peut-on relier les pratiques humoristiques bretonnes avec celles interrégionales, et internationales, belges et Français. Une réflexion est consacrée à l’analyse des pratiques alterculturelles en situation postcoloniale avec le terrain des humoristes anciennement colonisés qui permettrait de quitter des imaginaires ou stéréotypes coloniaux pour une meilleure connaissance et reconnaissance. Sur ce terrain, nos humoristes burkinabè Petit Sergent et Roukia Ouédraogo ne manquent pas d’imaginations pour charrier les clichés coloniaux.
Puisque ce travail est si riche par la qualité des documents de terrains, des outils théoriques, des analyses, permettez-moi de m’appesantir sur un aspect qui retient du reste les réflexions de mes travaux sur les alliances et parentés, à plaisanterie notamment mon ouvrage que Lauriane cite abondamment et qui je pense me font pencher vers cette communion scientifique que je partage avec cette thèse.
Je m’appesantirai sur le chapitre I de la thèse pour relever la démarche qui a consisté à s’inspirer de mes travaux pour interroger les effets sociaux, l’histoire des protagonistes, les mécanismes cathartiques. Elle montre bien que ces alliances ont quitté le terrain social pour aller vers les médias, notamment la presse à travers le Journal du jeudi, la musique (pp.20-21-23), mais aussi les radios, le cinéma, la littérature, les romans, le théâtre qu’elle ne souligne pas dans ce chapitre. Cette alliance se retrouve ainsi dans les cultures ouest africaines, du Burkina au Sénégal, de la Côte d’Ivoire au Niger, Togo, Bénin pour ne citer que ces pays-là.
Elle montre bien que c’est un véritable ciment social au pays des Hommes intègres, mais les frontières créées par la colonisation sont venues ainsi séparer des groupes ethniques. La pratique est effectivement dans un système de fonctionnement d’institutions de pacification dans une société plurielle au niveau de la Nation. N’eût été l’apparition des mouvements terroristes qui l’ont mis à mal, elle continue d’assurer une certaine stabilité de la Nation au niveau moderne. Les religions révélées ont un peu mis à mal son épanouissement.
La pluralité des groupes sociolinguistiques, près de 63 groupes ethniques au Burkina Faso, fait de l’alliance à plaisanterie une supra langue ou langue véhiculaire (p. 29). Il faut dire que Lauriane PETEL a pris le soin de faire la clarification conceptuelle en fonction des pays et des terrains. On parle de cousinage à plaisanterie au Niger et Sénégal, et d’alliance à plaisanterie au Burkina Faso. Elle mentionne d’ailleurs la clarification conceptuelle que je donne dans mon ouvrage (SISSAO Alain Joseph, 2002, 6) car la parenté à plaisanterie se pratique dans une situation de consanguinité, Grand-père/Petit fils, Grand-mère/Petit fils, mari de la tante de tante paternelle, sœur cadette de l’épouse et époux alors que l’alliance à plaisanterie vient d’un pacte scellé par les ancêtres et souvent deux individus dans le passé se manifeste par un pacte de non-agression assorti d’assistance mutuelle en cas de situation heureuse comme malheureuse comme les deuils. C’est ainsi qu’on voit les théâtralisations sociales se mettre en branle (Lauriane Petel.p.33).
Une revue de littérature permet de noter le terrain anglo-saxon avec des chercheurs comme LOWIE, Radcliffbrown, Marcel Mauss, pour l’ethnologie française.
Des démarches déconstructivistes ont fait de cette démarche une approche fonctionnaliste avec les travaux de Jean-Louis Amselle, Cécile CANUT, Etienne Smith. Personnellement, je ne nie pas la démarche irénique, mais faire des recherches de ces pionniers français sur le terrain africain, comme des approches naïves, malgré leurs limites, serait franchir un pas. Les limites de ces recherches sont dégagées par l’impétrante, mais la prudence s’impose à travers les théories de la déconstruction qui sous-tendent ces approches dites modernes.
L’élucidation du terrain permet d’ailleurs à l’impétrante de nouer avec l’étymologie du terme « dog n mik « né trouvé » pour paraphraser les moose, ce qui montre l’antériorité de la pratique à l’existence de l’individu d’où son caractère sacré et communautaire. Les notions de solidarité, de rencontre, d’apprivoisement, de familiarité sous-tendent la pratique, d’où une éducation à l’altérité. Son rôle de régulation des tensions sociales se manifeste à travers la médiation au quotidien avec une certaine force thérapeutique comme je le souligne dans mes travaux. La dédramatisation du conflit permet sa résolution. C’est un pacte sacré, car il s’agit d’une forme de dette qu’auraient contracté deux groupes les uns avec les autres, c’est pour cela qu’il transcende l’individu pour s’ancrer dans la communauté. PETEL Lauriane montre qu’au niveau moderne, les lieux privilégiés sont les « grins », lieux de rencontres des jeunes qui sont aussi des lieux de socialisation.
La pratique est caractérisée par l’humour et un besoin de plaisanter. Les joutes oratoires entrainent un besoin de réciprocité.
Lauriane aborde (p.86), la nécessité des passerelles en France. Comment l’implémenter en France. Cela peut se faire à travers la médiation avec les travaux de Mark Davidheiser en Gambie et mes propres travaux (SISSAO, 2002).
Cela peut se faire aussi par la création de nouveaux pactes, notamment Bretons/Gourmantché comme l’a expérimenté elle-même Lauriane PETEL. Elle n’a pas de frontières, il suffit d’une volonté, et d’une posture.
Pour le chapitre II, je laisserai mes autres collègues intervenir. Je voudrais juste dire que sa démarche est intéressante, car il s’agit de « laver le linge sale » de la colonisation en famille pour retrouver une nouvelle relation plus humaine, plus fraternelle qui ose l’humour. La partie sur les zoos humains retient aussi mon attention, car ce passif a déteint sur les relations entre les colonies et la France. Il s’agit de reconnaitre ces/ses torts et ces/ses manquements pour repartir sur de bonnes bases. Les polémiques sur les effets positifs de la colonisation s’inscrivent aussi dans cette dialectique. Ces débats sont d’ailleurs toujours en vigueur, car il s’agit d’aller sur des bases saines, reconnaitre que tout n’a pas été positif dans la colonisation, notamment les taches noires, les travaux forcés, les crimes coloniaux, les expéditions punitives. Et le célèbre Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire est un réquisitoire sévère de ces exactions qui sont désormais acceptées comme réalités littéraires et historiques. Il faut éviter les discours scientifiques au service d’imaginaires discriminants (p.123), les stéréotypages et invisibilisation des rapports de domination. Les rapports postcoloniaux ne sont pas en reste avec le rappel des travaux d’Achille Mbembe. La condition pour implémenter cette alliance à plaisanterie serait de solder ce passé colonial pour repartir sur de nouvelles bases.
Le chapitre III décrit les terrains de recherches qui sont bien décrits, du Burkina (Fada N’Gourma, Ouagadougou, en France (Rennes), en Belgique (Bruxelles, théâtre) Association Théâtre et réconciliation de Marie Soleil-Frère), etc. En Belgique, elle explore le travail de Frédérique Lecomte avec le théâtre de la réconciliation. Le théâtre pourrait puiser ses approches scéniques dans « le principe général de l’altérité comme source d’enrichissement au lieu d’être le fondement naturel et classique de l’intolérance ou de l’exclusion. C’est une procédure d’accueil et d’harmonisation des différences par le moyen de l’intégration réciproque qui permet de faire de l’étranger, de l’autre un parent » (SISSAO, 2002, p.28).
Lauriane PETEL s’intéresse aussi aux effets des actes humoristiques avec des comédiens comme Djamel Club, les comédiens burkinabè internationaux, Petit Sergent et Roukia Ouédraogo qui revisitent les stéréotypes coloniaux pour les déconstruire et installer des vraies relations de connaissance réciproques.
On pourrait terminer en disant qu’il s’agit en fait de sortir des imaginaires coloniaux en tendant vers une connaissance et une reconnaissance de l’autre.
Les annexes de la thèse montrent les nombreux entretiens qu’elle a menés ainsi que les textes fondateurs de certains littéraires, textes controversés d’hommes politiques ainsi que personnes-ressources (SISSAO, COMBARY) permettent de nourrir cette thèse et lui apporter l’authenticité et la véritable valeur didactique d’un monde qui peut s’inspirer d’une pratique endogène africaine pour apporter plus d’humanité entre les hommes.
Au total, la thèse de Lauriane PETEL est bien rédigée et fait un apport scientifique important dans le dialogue des cultures, de l’alter culturalité, de l’interculturalité et la meilleure symbiose des cultures pour une connaissance et reconnaissance des peuples. Son implémentation dans les cercles culturels, sociaux, théâtre en France et Belgique augure d’un monde de partage du donner et du recevoir pour paraphraser le chantre de la Négritude Léopold Sédar Senghor. Une thèse qui donne la visibilité des valeurs endogènes du Burkina Faso qui peuvent encore s’exporter culturellement.
C’est pourquoi la thèse de Lauriane PETEL au regard de la qualité scientifique a reçu la mention TRES HONORABLE avec les félicitations du jury.
Pr SISSAO Alain Joseph