Auteur à succès de chez Gallimard dont le dernier ouvrage paru en octobre 2022 raconte l’histoire étonnante d’un fils et sa maman décédé, il sera au Salon du livre africain de Paris qui se tient les 17, 18 et 19 mars 2023 à la Mairie du 6ᵉ arrondissement.

« Je n’ai pas assisté à l’enterrement de ma mère. Pendant une interminable année, des assauts de culpabilité m’ont rongé. Il m’a semblé, pour en sortir, qu’un catafalque de papier me permettrait non point d’ensevelir la disparue, mais de reconstituer son existence et de m’apaiser. L’ancienne danseuse qui ne savait ni lire ni écrire s’est alors redressée, telle qu’elle avait toujours été, opiniâtre, énergique et tournée vers un impératif : faire de chacun de ses nombreux enfants un être accompli. En écrivant ce qu’elle a aimé, détesté ou combattu, m’est bien sûr revenu notre secret ; enfant, alité et agonisant dans un hôpital, un vieil inconnu murmura à Mère une formule qui me sauva la vie : « Mbil idou inga kat kara. » Par-delà nos espaces désormais disjoints, Mère intervient toujours. Ce livre en est la preuve. Il redonne voix et corps à celle qui m’invitait à habiller le ciel de prières pour détourner de mon chemin de furieux orages ».

Un hymne à la vie

La quatrième de couverture est une véritable vitrine de ce que le lecteur retrouve à l’intérieur du livre. On n’en sort pas indemne après avoir parcouru les 261 pages qui relatent, en treize chapitres, cette histoire particulière d’un fil et sa mère, surtout qu’il n’a pas pu lui faire un dernier baiser, lui dire adieu, au moment où elle rejoignait son ultime demeure au ciel. Le chagrin, de la perte de celle qui lui a donné la vie, le rongeait, accentué sans doute par une culpabilité maladive, sont autant preuves témoins des liens très forts qui unissent mère et fils, bien au-delà de la séparation sur terre. Les échanges réguliers entre eux, se remémorant les souvenirs parfois douloureux, ubuesques ou joyeux, les conseils que la mère prodigue son fils en lui racontant comment se passe la vie là où elle est désormais, la lettre que le fils reçoit de Vilaria, sa mère, aux environs de 4 heures du matin, tout cela conforte ce lien invisible, mais tellement présent, quasi mystique, qui continue de les rapprocher infiniment, pour toujours.

Le poète, Birago Diop, ne s’est pas trompé. Les morts ne sont pas morts. Ils quittent la terre pour mieux veiller sur nous au ciel.

« Habiller le ciel », est aussi un formidable exercice de transmission servie, un art incomparable de raconter, de relier les fils de l’histoire.

La mémoire au service de la transmission

Comme lorsque l’auteur se souvient de l’ouverture du journal télévisé de Jean-Claude Ottou, à la télévision publique camerounaise. « Mesdames, messieurs, bonjour ! Au sommaire de cette édition, les bisbilles et autres tourments dont se passerait volontiers notre précieuse et unique planète bleue. Voici les titres de votre journal (jingle) : Bisbilles entre l’Algérie et le Maroc à propos du Sahara occidental, bisbilles entre Américains et la Ligue arabe sur la question palestinienne, bisbilles entre Européens et Turcs autour du devenir de la Macédoine, bisbilles au sein du Comité central du Parti communiste chinois sur le Tibet où le daï-lama n’est toujours pas autorisé par le gouvernement chinois à mettre les pieds, bisbilles au palais de Buckingham entre le prince Charles et la princesse Diana, bisbilles entre Moscou et certains pays frères sur la participation aux jeux Olympiques de Moscou. Le développement de ces titres dans un moment, et sans bisbilles, mesdames et messieurs, si la technique le veut bien ! ». Se souvenir avec autant de précisions de cette introduction du journal de Jean-Claude Ottou, relève d’une capacité exceptionnelle à mémoriser, à observer, à écouter. Or, Yanpoupo, comme aimait l’appeler sa mère, passe une bonne partie de sa vie en revue, rappelant ses échecs successifs à l’école ou avec les filles. Et lorsqu’il y en avait une auprès de qui il trouvait grâce, ce n’était pas bien pour longtemps. Un homme d’arme la lui ravissait. N’est-ce pas Myriam ?

Dans ce dernier roman, on reconnaît la patte d’Eugène Ebodé. Un style captivant, alerte, avec une maîtrise exceptionnelle de la langue de Molière qu’il prend plaisir à malaxer dans tous les sens, pour en ressorti comme un potier, un vase extra-ordinaire. À lire absolument.

Jean-Célestin Edjangué

*Habiller le ciel, Eugène Ebodé, 261 pages, Gallimard, 2022, 20 euros.

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