Camerounais d’origine, docteur en connaissance du Tiers-Monde et enseignant de lettres à l’académie de Versailles (78), en France, auteur de plusieurs ouvrages, présente sa nouvelle production littéraire, parue aux éditions Baudelaire, il y a quelques semaines. À lire absolument.
« À travers une exploration rigoureuse de la philosophie antique et des écrits de la prêtresse Diotime de Mantinée, l’auteur déconstruit l’idée d’un Dieu animé par le désir et la volonté. En s’appuyant sur Le Banquet de Platon, ce livre révèle que l’attribution d’une volonté à Dieu impliquerait l’existence d’un manque, une imperfection inconcevable pour l’Être suprême. Ce texte vous invite à repenser la nature de la divinité, loin des conceptions traditionnelles, et à envisager une transcendance dépourvue de désir, dans une quête de perfection absolue. Une lecture essentielle pour les chercheurs de vérité et les esprits philosophiques qui osent défier les dogmes établis ». Le résumé de la quatrième de couverture, campe parfaitement le décor. L’invitation à l’exploration d’un univers à la fois habituel, celui du religieux, mais également complexe, puisqu’il touche à la transcendance, analysée par une postface dense, riche, surprenante.
« L’idée même de Dieu »
L’introduction revient sur la genèse du projet d’écriture, en relatant notamment le contexte dans lequel est né ce projet : « Ce livre est le fruit du hasard », écrit d’emblée l’auteur, en guise de phrase d’attaque, précisant par ailleurs « Je ne suis ni théologien ni exégète. Je ne m’adresse pas à la secte des chrétiens. Il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour aimer la littérature biblique. Pour comprendre les Écritures, le détour par les Pères de l’Église n’est pas obligatoire ». Il prévient : « Par conséquent, le lecteur ne trouvera pas dans ces méditations des jongleries théologiques. Je me suis contenté de prendre les textes bibliques pour ce qu’ils sont : des objets littéraires ; rien de plus », indique M. Yetna, soulignant : « Je les ai passés aux grilles de lecture applicables à n’importe quel autre texte : analyse du champ d’énonciation, des champs lexicaux, des figures de rhétorique, de l’intertextualité… Ces outils m’ont permis de comprendre le registre des textes et leur dimension universelle ». Comme pour dissiper tout malentendu éventuel quant aux motivations et à la méthodologie qui ont présidé à la confection de l’ouvrage. Pour ce qui est de la postface, elle présente une réflexion profonde sur « l’idée même de Dieu ». Avec tout ce qu’elle peut véhiculer dans la conscience collective et le subconscient. « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Je crois en Dieu ou sa négation, je ne crois pas en Dieu. Vous vous prenez pour Dieu. Dieu est en nous. « Dieu est mort » crie un personnage de Nietzsche dans son ouvrage Le gai savoir. Que couvrent ces expressions ? », s’interroge l’auteur, insistant : « Quand un individu professe son athéisme, quelle idée se fait-il de Dieu ? Peut-on admettre l’idée de Dieu sans être religieux ? Voilà autant de questions auxquelles je vais tenter de répondre ».
45 textes de méditations, 134 pages
Pour répondre aux questions qui précèdent, Jean-Pierre Yetna s’appuie sur 45 textes de méditations, puisés dans le Nouveau Testament, sur 134 pages. Jean, Marc, Luc, Mathieu, l’analyse des évangélistes est captivante, passionnante, parfois surprenante. Comme dans la Méditation 25 (Jn 21 ; 1-14) : « Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus leur dit : les enfants, avez-vous quelque chose à manger ? Ils lui répondirent non. Il leur dit : jeter le filet à droite de la barque et vous trouverez… ». L’auteur contextualise l’évènement : « C’est une nouvelle manifestation de Jésus après sa résurrection. Ici, il ne se manifeste pas aux dix comme dans le chapitre précédent de l’Évangile de Jean, mais aux sept. Faut-il y voir un signe ? ». Il poursuit : « Lee narrateur glisse dans le récit un élément sur lequel il faut s’arrêter : « Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. » Il note par ailleurs : « Avant l’intervention de Jésus, la pêche des disciples est infructueuse, mais dès que le Christ s’en est mêlé, la pêche est devenue fructueuse. Le narrateur prend soin de noter le chiffre 153 poissons. Pourquoi 153 ? 153=1+5+3=9=3 au carré. 3 est le chiffre de Dieu », conclut-il.
Un autre texte méditatif a retenu mon attention. Méditation 39 (Lc 13 : 10-17) : « Jésus était en train d’enseigner dans une synagogue, le jour du sabbat. Voici qu’il y avait là une femme possédée par un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans ; elle était toute courbée et absolument incapable de se redresser. Quand Jésus la vit, il l’interpela et lui dit : femme, te voici délivrée de ton infirmité […] les actions éclatantes qu’il faisait ». Pour Jean-Pierre Yetna « Le narrateur de ce récit évangélique n’adopte pas un point de vue omniscient ; en effet, il ne sait pas grand-chose des lieux, des auditeurs, du sujet de prédication, de l’histoire de cette femme. Est-ce un parti pris ? Pourtant, ce n’est pas un apologue. C’est le récit d’un témoin ». Il ajoute « Cette femme est dans l’incapacité de s’élever. On peut se demander ce qui la distingue des animaux. Cette infirmité l’exclut de la catégorie des êtres humains dont l’univers n’est pas borné par les nécessités temporelles […]. Dans la numérologie hébraïque, 18 symbolise la vie. On peut donc faire l’hypothèse que cette femme a perdu toute sa substance vitale ». Quelle leçon l’auteur tire de cette histoire ? « La communauté ecclésiale doit avoir le souci des plus fragiles si elle ne veut pas être en contravention avec l’Évangile ».
À lire absolument.
Par Jean-Célestin Edjangué à Paris
*Jean-Pierre Yetna, Méditations sur les parvis du temple, 134 pages, éditions Baudelaire, 14 euros