Collaborateur de nombreux titres dont l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique et l’agence Reuters, il a été arrêté le 8 septembre 2023 à Kinshasa et incarcéré dans la prison de Makala, pour avoir commis un article sur la mort de l’ancien ministre et opposant politique Chérubin Okende proche de Moïse Katumbi.

Correspondant de Jeune Afrique, l’hebdomadaire panafricain, à Kinshasa depuis janvier 2019, collaborateur avec l’agence Reuters et co-fondateur, en 2016, avec le journaliste Patient Ligodi, du site d’information Actualité.cd, Stanis Bujakera Tshiamala a été arrêté le 8 septembre 2023, à l’aéroport de Ndjili, placé en garde à vue dans le commissariat provincial de Kinshasa, a ensuite été auditionné le lendemain au commissariat général de police par la commission en charge de l’enquête sur le meurtre de Chérubin Okende, avant d’être incarcéré à la prison de Makala, à Kinshasa, la capitale de la RD Congo. Après avoir « été mis en cause à la suite de la publication d’un article sur le site de Jeune Afrique. Celui-ci faisait état d’une note attribuée à l’Agence nationale de renseignement (ANR) impliquant les renseignements militaires congolais dans l’assassinat de l’ancien ministre et opposant Chérubin Okende. D’autres médias l’ont également exploitée. Les autorités ont réagi, assurant qu’il s’agissait d’un faux, comme nous l’a fait savoir le ministre de l’Intérieur dans un courrier que nous avons reçu le 9 septembre, au lendemain de l’arrestation de Stanis », indique un article paru dans les colonnes de Jeune Afrique en ligne du 3 octobre dernier sous le « #FreeStanis : cinq questions pour comprendre l’incarcération du journaliste le plus suivi de RDC », avec comme sous-titre « Le décryptage de JA », sous la plume de Justine Spiegel. L’hebdomadaire de la rue d’Auteuil, dans le 16ᵉ arrondissement de Paris, révèle dans cet article que son correspondant à Kinshasa vivait sous pression depuis plusieurs mois. « Ces derniers mois, il avait plusieurs fois subi des tentatives d’intimidation sur les réseaux sociaux et été menacé par certains responsables politiques congolais. En mars dernier, un ministre avait d’ailleurs déposé une plainte contre lui, pour finalement la retirer ».

Incarcéré sans preuve

Réputé pour sa rigueur et sa méticulosité dans l’exercice de sa profession, celui qui aimait à frapper les documents du sceau « l’information certifiée » pour en attester l’authenticité, n’avait pas hésité à décliner une offre qui lui avait été faite, en 2020, de rejoindre le pool de la presse présidentielle en RD Congo, préférant garder sa liberté de ton, marque des esprits indépendants et des plumes trempées dans le vitriol, usant les mots comme arme pour indexer les maux de la société. Dès le 9 septembre, soit le lendemain de l’interpellation de son collaborateur, Jeune Afrique reçoit du ministre de l’Intérieur de la Rd Congo, une note soutenant que l’article incriminé faisant état d’une note attribuée à l’Agence nationale de renseignement (ANR) laissant entendre que les renseignements militaires congolais pourraient être impliqués dans l’assassinat, le 13 juillet 2023, de l’ancien ministre et opposant politique Chérubin Okende, proche de Moïse Katumbi. « Mort de Chérubin Okendé. Les renseignements militaires ont-ils joué un rôle ? », s’interrogeaient le journaliste, dans l’édition en ligne de Jeune Afrique du 31 août 2023. Une simple interrogation… Et comme souvent, dans le cas de Stanis Bujakera Tshiamala comme dans bien d’autres, l’arrestation puis l’incarcération interviennent sans le moindre début du commencement de la preuve, des allégations des décideurs, des détenteurs du pouvoir. « À ce jour, aucun élément concret permettant de prouver que nous avions commis une erreur ne nous a été apporté et de lourdes charges pèsent sur Stanis Bujakera Tshiamala. Il est poursuivi pour « faux en écriture », « propagation de faux bruits », « falsification des sceaux de l’État » et « transmission de messages erronés et contraires à la loi ». Il risque, selon le Code pénal congolais, dix à quinze ans de prison », s’inquiète, à juste titre, Justine Spiegel.

Mobilisation internationale

La nouvelle de l’incarcération de Stanis Bujakera Tshiamala, dont la popularité en RD Congo comme ailleurs ne souffre d’aucun doute (en témoigne son compte X anciennement twitter créé en 2016, avec un demi-million d’abonnés en 2023), provoque l’émotion et l’indignation un peu partout dans le monde. « Cette affaire a largement dépassé les frontières du pays, suscitant une importante vague de mobilisation sur les réseaux sociaux et de nombreuses réactions sur le plan international, de Paris à Washington, en passant par Bruxelles. Tous sont unanimes : il est urgent de libérer Stanis. Sa détention constitue une atteinte grave à la liberté de la presse, à moins de trois mois de la présidentielle. Surtout, rien sur le fond ne permet de la justifier », affirme nos confrères de JA. Une mobilisation qui contraste avec l’indifférence des autorités congolaises. « Il n’y a eu ni communiqué ni déclaration officielle. Toutefois, le président Félix Tshisekedi a été interpellé par plusieurs journalistes à ce sujet lors d’un déjeuner avec la presse le 19 septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York. « Stanis Bujakera, c’est un jeune homme que j’aime bien, a-t-il dit. Pour la petite histoire, il a couvert notre campagne électorale, il était de tous les combats avec nous, j’ai de la sympathie pour [lui]. Je regrette ce qui lui arrive, mais je ne peux pas faire entrave à la justice et ne pas lui permettre de faire toute la lumière. »

Il est vrai que la justice congolaise semble avoir fait de l’arbitraire, notamment en matière de liberté d’expression, sa marque de fabrique. « S’il devait être condamné, ce ne serait pas une première en RD Congo. En 2015, Daniel Safu (aujourd’hui député) avait été puni de deux ans d’emprisonnement à la suite d’une plainte pour outrage déposée par deux députés nationaux. Il a finalement été remis en liberté conditionnelle en janvier 2016 », rappelle tristement l’hebdomadaire panafricain. Cette affaire illustre, à suffire, la difficulté d’exercer le métier de journaliste en Afrique, continent où la liberté d’expression, pilier essentiel de la démocratie, reste encore surveillée. Le regretté Pius Njawé, fondateur du premier quotidien indépendant camerounais, Le Messager, décédé le 10 juillet 2010, dans un accident de la circulation sur la route de Virginie, aux Etats-Unis, avait été interpellé plus d’une centaine de fois et incarcéré à plusieurs reprises pour avoir usé de cette liberté. En janvier 2023, Martinez Zogo, journaliste et animateur radio camerounais, spécialisé dans la dénonciation, est été enlevé, torturé, séquestré et assassiné dans la région de Yaoundé. L’enquête sur l’affaire continue.

Par Jean-Célestin Edjangué

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