L’écrivain, Camerounais d’origine, vivant à Lille, dans les Hauts-de-France, publie un texte à la fois sensible et engagé, racontant la vie d’une jeune fille, Kony, enchevêtrée dans le tourbillon de l’amour pris en otage par l’enracinement des traditions culturelles et cultuelles dans la vie quotidienne en Afrique où certaines sociétés restent inflexibles quant à l’émancipation et la condition féminines.
212 pages, VI chapitres, qui se dévorent comme un bon long métrage de plusieurs heures, sans voir le temps qui passe ni se soucier de celui qui vient. En faisant de la condition féminine le cœur de son nouveau roman, Hervé Maya, surprend à plusieurs titres.
Préface de Djaïli Amadou Amal, Prix Goncourt des lycéens
D’abord, en s’appuyant sur un témoin et actrice du combat pour la libération des femmes, notamment dans le Sahel. Djaïli Amadou Amal, Prix Goncourt des lycéens pour « Les Impatientes », a naturellement su trouver le bon angle pour préfacer cet ouvrage. « La condition féminine, thème inépuisable, est sans conteste à l’origine de nombreuses inspirations. Si l’on y retrouve des chefs-d’œuvre artistiques, de temps en temps, on y découvre également de simples plaidoyers. En décrivant avec finesse le processus de l’emprise psychologique qui débouche sur les violences psychiques et physiques, Hervé Madaya a su éviter les stéréotypes qui, plus qu’ils ne la font avancer, desservent la cause ». Dès les premiers mots, les premières phrases, la préface donne le ton. Normal, serait-on tenté de dire. Puisqu’elle est l’œuvre de Djaïli Amadou Amal, Prix Goncourt des Lycéens 2020 avec « Les Impatientes », qui dépeint un tableau détonnant de ces femmes soumises à des pressions multiples et victimes d’abus divers. Elle sait donc de quoi elle parle à ce sujet. « Kony, l’héroïne, se sent heureuse au début, puis progressivement le doute s’installe, mais toujours mêlé d’espoir. Comme beaucoup de femmes qui se retrouvent dans l’incertitude, elle n’ose pas partir. Celles qui sont économiquement dépendantes ont peur d’affronter des lendemains incertains, à juste titre, d’autres sont prêtes à consentir tous les sacrifices pour voir grandir leurs enfants auprès d’un père, et d’une mère, même malheureuse, certaines encore, endurent tous les coups, par amour. Or le bourreau, lui, ne s’arrête jamais », écrit Djaïli, soulignant, comme pour feindre de s’indigner au sujet, ce qui peut apparaître comme une énigme aux yeux de beaucoup d’observateurs ou de lecteurs : « Mais qu’attendait-elle pour partir ! », entend-on souvent après un féminicide », note-t-elle encore, avec de préciser : « Pourtant, aucune de nous n’est à blâmer. Aussi stupides qu’elles puissent paraître à nos juges autoproclamés, ces raisons ont toujours un sens pour les victimes. Elles sont tributaires de nos parcours de vie. Notre vécu, nos blessures, nos vides à combler. L’espoir entretient la patience, et excuse les actes les plus ignobles qu’une femme puisse endurer. Quand on aime et qu’on croit l’être en retour, on attend. L’entourage fait pression et achève de nous déposséder de notre libre arbitre : « Munyal ! » L’amour pardonne-t-il tout ? Faut-il fermer les yeux et supporter jusqu’à ce que mort s’ensuive ? », se demande la préfacière avant d’enchaîner. « Dans un couple, on n’est pas des concurrents, mais des partenaires. Nos pères, Nos frères, fils et amis se battent à nos côtés. Nous en avons la preuve dans ce roman dans lequel l’auteur a su porter avec sincérité, une voix féminine, explorant avec habileté les relations filiales qui poussent parfois de pauvres innocents à se compromettre. En même temps, il interroge nos sociétés sur des valeurs qui malheureusement tendent à se perdre, mais auxquelles il importe de s’attacher : la loyauté, l’altruisme, et bien d’autres encore ». Et de conclure ainsi son propos : « Si une certaine expérience amoureuse peut devenir un fardeau, l’amour reste néanmoins la plus belle chose qui puisse nous arriver ».
Un titre interro affirmatif, des personnages multifacettes et une écriture vivante
Le titre Où se cache l’aube pendant la nuit, est à lui seul une énigme que l’on a envie de résoudre, une randonnée littéraire qui invite ses participants à la découverte des paysages, à l’analyse des personnages et leurs psychologies, la description des lieux et du contexte, sans oublier le synopsis. C’est, en définitive, une problématique sociétale posée sans fard ni maquillage, avec une lucidité et une simplicité à même à créer de l’intérêt pour le lecteur, l’amenant à se demander comment est-ce encore possible aujourd’hui, que des femmes, et spécifiquement des jeunes filles, soient soumises au dilemme de l’amour par contrainte, avec tout ce que cela peut charrier en termes de comportements esclavagistes, avilissants, violents, inhumains, barbares. Mais c’est sans doute aussi la force des personnages de ce roman qui insuffle un fluide, une énergie particulière au récit. On a l’impression qu’ils nous sont familiers, dans la manière de se raconter, de s’interpeller, de se positionner, de se mettre en scène. Le narrateur n’en a que plus de mérite. Où se cache l’aube pendant la nuit, le quatrième roman d’Hervé Madaya, après Les petits soldats, roman, éditions Maïa, 2020 ; Esclaves aux Trois-Rivières, roman, éditions Les Points sur les I, Paris, 2017 et La Morsure des louves, roman, éditions Afrédit, 2012, est un pur bonheur de lecture, dans un style propre à l’auteur, avec une écriture imagée, un contenu fait de phrases concises, précises, qui révèlent une parfaite maîtrise de la langue Zola, pour aborder un sujet à la fois complexe et extrêmement sensible. Hervé Madaya a su s’en saisir pour montrer à quel point il est engagé pour la cause féministe autant que celle des enfants. « L’objectif du romancier est de se cacher le plus possible derrière ses mots », pense Ananda Devi, pour mieux dire l’Autre, serait-on tenté d’ajouter. Surtout que l’Autre, ici, est une héroïne.
Par Jean-Célestin Edjangué
*Où se cache l’aube pendant la nuit, Hervé Madaya, l’Orpailleur, az’art atelier éditions, 2023.