Ancien ministre des Finances du Congo, ancien banquier, aujourd’hui retraité. Homme politique, président de la plateforme de l’Alliance pour la république et la démocratie(ARD), il est aussi président de l’Initiative panafricaine pour la défense de la démocratie(IPDD), qui œuvre pour l’alternance politique par les urnes en Afrique. Dans cet entretien exclusif à Newsafrica24 avec La Voix de Djibouti, il parle de l’actualité au Congo et en Afrique. Lisez plutôt.

L’actualité au Congo, votre pays, est dominé par plusieurs faits majeurs. Entre le couvre-feu imposé aux Congolais, les soupçons de détournements de deniers publics via la société Orion oil fondée par Lucien Ebata, ou encore le couvre-feu décrété à partir de 21 heures sous prétexte de lutter contre-combattre le grand banditisme, notamment en milieu urbain, où sévissent les gangs « Koulounas ». Quel regard portez-vous sur la réalité quotidienne au Congo ?

Le couvre-feu ? C’en est bien un. Même comme selon le gouvernement, il s’agit d’une simple vérification d’identité. Or, dans notre pays, le Congo, très peu de gens disposent de carte d’identité. Il faut avoir de l’argent, les Congolais sont pauvres. Aujourd’hui, en raison des déchirements au sein du pouvoir, il y a un bon bout de temps, les Congolais sont au courant, que le président Sassou Nguesso qui avait déjà promis la succession du pouvoir à son neveu a déclaré que c’est finalement son fils qui en héritera. D’où les mécontentements au sein de l’appareil d’État. Au point où, comme ils disposent d’armes, il n’est pas impossible qu’un jour, ils s’en servent. Ce qui créera des problèmes d’insécurité et on prétend que certains mobilisent des forces de l’extérieur, notamment Denis Christel Sassou Nguesso, le fils de l’actuel Sassou. Et des analystes disent que c’est pour détecter ces gens-là que le couvre-feu a été instauré pour contrôler la carte nationale d’identité. Si vous n’en avez pas, c’est que vous n’êtes pas Congolais.

D’une manière plus générale, la situation du Congo est extrêmement difficile. Le pays traverse une crise multidimensionnelle sur fond de fin de règne du président Sassou. Au niveau politique, avec des élections toujours truquées ; la crise économique est également grave. Les paiements courants ne se font pas normalement, ils sont aux arrêts. Pourtant, c’est un pays pétrolier, mais on ne sait pas où va l’argent du pétrole. Et un pays comme le Congo qui vend le pétrole, qui est donc exportateur net, est aujourd’hui dépourvu des réserves de change international pour payer ses importations. Nous payons les importations grâce à la solidarité au sein de la CEMAC avec le compte d’opération ouvert au niveau du Trésor public français conformément aux dispositions de la zone Franc. Il y a un autre problème très grave, c’est la crise sanitaire. L’explosion de la mortalité au Congo fait penser à une épidémie. Or, il n’y a plus d’épidémie. Mais comme les hôpitaux ne sont pas équipés, il y a une carence notoire du système sanitaire. Dans tous les secteurs, les Congolais en ont marre. De telle sorte qu’on n’hésite pas à dire que la seule solution aujourd’hui, c’est que les Congolais se retrouvent autour d’une table pour savoir comment changer le gouvernement.

Le Congo, producteur de pétrole, est aussi un des champions du monde de l’endettement. Pourtant, le pays dilapide l’argent comme il veut. L’affaire Orion oil, société dont Me Lucien Ebata est à la tête, aurait distribué des sommes colossales à des proches du président de la République. Que dit cette affaire de la morale publique au Congo ?

Nous, Le Congo, pays producteur de pétrole, avons conclu avec les pays producteurs de pétrole, un accord de partage de production qui stipule qu’après amortissement de toutes les charges pour les investissements, après les prélèvements des provisions nécessaires, il reste ce qu’on appelle le profitons net sur lequel le Congo à une part qui varie entre 35 et 40% suivant la situation réelle du gisement. Nous sommes donc en partage de production et nous avons créé pour cela une société nationale, la SNPC (Société nationale des pétroles du Congo, créé en 1998, ndlr). C’est elle qui est chargée de vendre la part du Congo sur le marché international, soit directement, soit à travers les traders. Or, le vendeur du pétrole est le fils du président, Denis Christel Sassou, qui s’est permis de créer des sociétés relais lui appartenant, dont Orion oil, qui vendent du pétrole à l’extérieur. Le problème vient de ce que cet argent ne rentre pas dans les caisses de l’État. J’ai eu à dénoncer cette situation à plusieurs reprises. Quand j’étais ministre des Finances, j’ai proposé qu’on signe une convention entre la SNPC et l’État qui permettrait que 72 heures après encaissement des fonds de la vente du pétrole par la SNCP, cet argent doit être rétrocédé au trésor moyennant une rémunération à la SNPC qui ferait donc son chiffre d’affaires. Malheureusement, cette convention n’a jamais été appliquée à ce jour. L’affaire Ebata Lucien vient de là. Il n’agit pas en tant que Ebata Lucien, mais comme prestataire au service de ceux qui ont la décision, c’est-à-dire le président, son fils et autres…

On peut dire que c’est tout un système mafieux autour de lui ?

C’est tout un système autour de lui. Même les traders pétroliers qui vendent notre pétrole, ne sont pas payés, l’argent n’est versé dans aucun compte. En tout cas, il n’y a pas de trace sur ces versements. Je vais vous raconter une histoire. Quand le ministre des Finances a besoin de payer les salaires, on demande à la SNPC d’envoyer tant de milliards pour payer les salaires. On ne voit jamais les restes de cette somme. Et c’est ça le vrai problème.

Il y a aussi le système sanitaire congolais dans un état déplorable. Explication ?

Tout dépend de la gouvernance, de ceux qui font la politique. Si vous n’avez pas une bonne gouvernance, vous arrivez à ce genre de résultat. Il n’y a aucune politique sanitaire viable. Chacun, dès qu’il est nommé, vient s’asseoir et remplir les poches. Personne ne se préoccupe de l’intérêt général des populations, de leur santé.

Cette situation peut-elle être élargie aux autres secteurs de la vie quotidienne ?

Exactement. 70% des jeunes diplômés congolais sont au chômage. Il n’y a pas d’emplois qui se créent. Pourtant, le Congo dispose d’un sous-sol riche, des terres agricoles, un bassin forestier… Nous ne sommes que 5 millions d’habitants, on devrait vivre heureux. Mais ce n’est pas le cas. Aucune vision politique, aucun cap n’est fixé. Le pays navigue à vue.

La question des terres congolaises données au Rwanda, alors que les paysans locaux en auraient besoin. Comment cette situation est vécue au Congo et qu’elles implications pour l’agriculture ?

Ça fait rire tous les Congolais. Le Congo ne manque pas d’argent. Mais l’argent est détourné, mis dans les paradis fiscaux à travers le monde. Pas de rapatriement de fonds après la vente du pétrole. Le Congo est un pays agricole. Voilà qu’on a signé un accord avec les Rwandais pour développer l’agriculture. Curieusement, depuis que l’accord a été signé, on ne voit personne travailler la terre. Pour les Congolais, c’est un prétexte pour permettre une intervention des Rwandais visant à défendre l’élu au cas où le pouvoir échapperait au régime en place. On a donc compris que c’est affaire politique.

Si la situation est dramatique, c’est aussi qu’il y a un espoir qui pourrait venir de l’opposition. Quel est l’état actuel de l’opposition au Congo ?

On ne peut pas dire que chez les autres ça ne va pas, alors que chez nous ce n’est pas mieux. L’opposition a des problèmes au Congo. Le premier problème de l’opposition congolaise est la corruption. Le gouvernement actuel, le président Sassou, a déployé beaucoup de moyens pour corrompre beaucoup d’opposants. Et dans l’état de misère généralisée, la tentation est grande de succomber quand on n’a pas les moyens. Mais la vraie opposition tient toujours, reste debout. Nous pensons qu’il y a un avenir et il faudra compter avec nous.

Parlons maintenant de politique internationale. Il y a un climat général qui se développe avec un nouveau monde en gestation. La guerre en Ukraine, la crise du blé, guerres civiles, coups d’État… Quel est votre analyse ?

La guerre d’Ukraine a amené beaucoup de conséquences en Europe, l’inflation, mais les plus graves conséquences sont subies par l’Afrique. C’est le continent le plus faible. Nos gouvernements n’ont pas de politique pour faire face. L’importation frappe durement nos économies, nous ne mangeons que ce que nous importons. Il faut espérer que la paix revienne vite, d’autant plus que la multiplication des mercenaires, Wagner et les autres, plus intéressés à exploiter nos matières premières. Travaillons de sorte que les générations à venir puissent bénéficier des bases qui leur permettent de développer cet état de gestion démocratique, participative, de gestion sociale pour bénéficier des efforts des uns et des autres. C’est très important.

Quel est le rôle de l’Initiative panafricaine pour la défense de la démocratie (IPDD) dont vous êtes le président et quelles sont les initiatives que cette plateforme a déjà prises ?

L’IPDD a été créée, non pas pour aller prendre le pouvoir en Afrique, mais pour faire éclore, faire accepter par la majorité des Africains l’idée du développement de la démocratie et de sorte que la dictature n’ait pas de place. Rendez-vous compte qu’un président africain peut gérer mal et rester au pouvoir une quarantaine d’années. Il y en a aussi qui prennent le pouvoir par la force des armes. Voilà pourquoi l’IPDD a été créée pour faire avancer l’idée de la démocratie auprès des Africains. Notre travail, c’est de diffuser cette idée, faire en sorte qu’elle soit reçue et intériorisée, y compris dans les diasporas africaines. J’ai vu un jour à la télévision, une Africaine au Trocadéro, à Paris, se déshabiller. Ça ne sert à rien, si ce n’est de faire rire les Africains. La tradition africaine pour régler les différends, c’est d’abord la concertation, on se réunit pour prendre la décision face à un problème, même dans la famille. C’est ça la démocratie.

Mais la démocratie fait-elle partie de la culture africaine ?

Par essence, la démocratie fait partie de la culture africaine. Ce n’est pas parce que ici, en France ou ailleurs en occident, les gouvernements se sont organisés sur le plan démocratique. Comment procédaient nos chefs traditionnels ? À chaque fois qu’il y avait un problème à résoudre, on appelait les notables et autres chefs de village, les femmes, les jeunes, les habitants pour le leur soumettre et réfléchir ensemble à la manière d’y répondre. La démocratie, c’est l’échange et l’acception de l’avis de l’autre, l’acceptation de la contradiction et non l’imposition d’un point de vue. Dès l’instant qu’on impose, ce n’est plus la démocratie.

Depuis quelques mois, voire quelques années maintenant, des pays, notamment d’Afrique de l’Ouest et ceux d’Afrique centrale, prennent leurs distances avec la France, demandant même aux troupes françaises de quitter leur territoire. Dernier exemple en date, le Burkina Faso, qui exige que la France quitte son sol dans un délai d’un mois. Comment vous analysez ce désamour et que faudrait-il pour renouer le fil du dialogue entre la France et les pays d’Afrique concernés ?

C’est une bonne question. Je crois que ce sont les pouvoirs qui sont en train de tromper leurs populations. Ils n’assument pas leur mauvaise gestion, préférant mettre le tort sur la France. La coopération est basée sur un partenariat gagnant-gagnant. Il n’y a pas de perdant. Si nos gouvernements l’avaient compris, il n’y aurait pas de problème. Quelqu’un se lève un matin, il vient faire un coup d’État sans aucun projet de société viable. En espérant se démarquer du régime précédent et s’attirer la sympathie des citoyens, il dit qu’il faut chasser les Français. Or aucun coup d’État n’a réglé les problèmes en Afrique. C’est à nous de réfléchir sur ce que nous pouvons faire pour gagner dans la coopération avec la France. À Ouagadougou, le pouvoir en place chasse la France pour accueillir Wagner. Mais ce dernier ne fera pas mieux. Il est même plutôt réputé pour son exploitation des matières premières. C’est tout ce qui l’intéresse.

Ce rôle de protection que réclament les peuples Africains, n’est-ce pas à l’Union africaine de l’assurer ?

C’est à nous-mêmes Africains d’organiser notre protection. L’Afrique n’est en guerre contre personne pour demander une quelconque protection. S’il y a des guérillas ou d’autres évènements de ce genre, étudions les moyens d’y faire face.

Un certain nombre de pays souffrent aujourd’hui de menaces djihadistes dans le Sahel. Les groupes terroristes ont pris en otage ces pays et leurs populations. Que faut-il faire ?

Quelles politiques nos propres gouvernements ont développé pour barrer la route à ces menaces djihadistes. Ces groupuscules viennent avec une offre, c’est à nos états de proposer une contre-offre avec la mise en place de vraies politiques de développement. Si nos pays sont développés, vous verrez qu’on ne parlera plus de cette menace.

Merci président Mathias Dzon de nous avoir accordé cet entretien exclusif, en compagnie de notre confrère de La Voix de Djibouti.

C’est moi qui vous remercie d’être venus jusqu’à moi. Ayons confiance à l’Afrique. C’est le continent à venir.

Entretien mené par Jean-Célestin Edjangué

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